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CRITIQUE | Orchestre Métropolitain, Duets: tout près du but

Par Dominique Joucken le 4 novembre 2017

Ildar Adbrazakov, Yannick Nézet-Séguin, Rolando Villazon, une belle collaboration pour l'album Duets avec l'Orchestre Métropolitain, qui fait ses débuts sur Deutsche Grammphon (Crédit: Dario Acosta)
Ildar Abdrazakov, Yannick Nézet-Séguin, Rolando Villazon: une belle collaboration pour l’album Duets avec l’Orchestre Métropolitain, qui a fait ses débuts sur Deutsche Grammophon (Crédit: Dario Acosta)

C’est peu dire que ce disque, Duets, était attendu! Rolando Villazon, l’un des meilleurs ténors de sa génération, qui a la réputation de se consumer sur scène; Ildar Abdrazakov, une basse dont la carrière vole de sommet en sommet, qui triomphe en ce moment en Philippe II dans Don Carlos sur la scène de l’Opéra de Paris, et Yannick Nézet-Séguin, un chef jeune qui semble personnifier à lui seul le renouveau de la musique classique. Le tout ficelé par Deutsche Grammophon, une maison de disque prestigieuse qui a mis en branle sa puissante machine marketing … Bref, tout était réuni pour aboutir à un disque qui allait marquer les esprits. Autant y aller sans détour : le compte n’y est pas tout à fait, pour des raisons qui ne sont pas faciles à démêler. Tentons quand même le pari de l’analyse objective, dans un domaine où les goûts personnels semblent souvent s’imposer.

Commençons par mentionner les nombreuses qualités de l’enregistrement de Duets. Le répertoire d’abord : ils ne sont pas si courants, les albums qui réunissent un ténor et une clé de fa, et qui font l’effort d’extraire du répertoire les duos de L’elisir d’amore, de Mefistofele ou même de Carmen, au-delà des sempiternels Pêcheurs de perles. Le mariage des deux tessitures donne souvent des résultats musicaux très originaux, les compositeurs devant rivaliser d’ingéniosité pour harmoniser les lignes sans les confondre. Gounod est probablement celui qui excelle le plus dans l’exercice, mais les pages de Simon Boccanegra ou de Don Pasquale valent aussi largement le coup d’oreille.

Les voix

Sur le plan purement vocal, on ne boudera pas son plaisir. Remis de ses multiples déboires, Rolando Villazon fait entendre un chant plein et sain, loin des errements qu’on lui a connus au disque récemment. Sans rien perdre de son feu sacré, le ténor profite à fond de l’esthétique de conditions comparables à celles du studio*, ce qui lui permet d’éviter les dérapages et de fignoler des détails qu’il a tendance à passer en force lorsqu’il est saisi live.

Ildar Abdrazakov déploie avec aisance des moyens naturels qui le placent parmi les phénomènes lyriques les plus intéressants des dernières années. La voix semble monter des entrailles de la Terre, s’épanouit sur les voyelles, grasseye ses consonnes avec délectation, tient ses sons filés et varie son volume avec une maîtrise qui semble défier le bon sens. La prise de son, bien que lointaine et un peu basse, permet de jouir à plein des luxes offerts par les deux vedettes, et l’Orchestre métropolitain, rivalisant de beautés, montre qu’il n’a plus rien à envier à son « cousin » le symphonique.

C’est du côté de la direction que certaines faiblesses de l’album se manifestent. Yannick Nézet-Séguin excelle à mettre en valeur les pupitres de son orchestre, à étager les plans dans un souci constant de lisibilité. Il se contente toutefois d’une mise en place somptueuse, un peu immobile, comme écrite sur du papier glacé, manquant d’imprimer à toutes ces scènes un élan dramatique qui est leur raison d’être. Un exemple parmi d’autres : dans le duo entre Dulcamara et Nemorino, dans L’elisir d’amore. Tout commence très bien, avec des sonorités de corde soyeuses et charnues, mais on s’attend que le rythme s’emballe à partir des mots « Obbligato », à l’image du protagoniste qui perd la tête. En matière de folies, on n’a droit qu’à de bien sages pizzicati, qui manquent complètement de traduire l’effervescence des personnages. On retrouve le même type de choix interprétatifs que je considère erronés dans Verdi et Gounod. De la part de Nézet-Séguin, on attendait plus de sens de la scène.

Le principal problème du disque se situe cependant ailleurs. Les deux chanteurs ne parviennent pas vraiment à former un duo. Malgré les promesses du texte d’accompagnement, Villazon et Abdrazakov ne partagent pas réellement une même conception du chant. Pour schématiser, on dira que le Mexicain est un chanteur « à texte », le Russe un chanteur « à voix ». D’un côté, une sonorité qui porte la marque d’une réflexion profonde sur l’art, le mot, tout ce que cela signifie d’être un artiste aujourd’hui, de l’autre une spontanéité dans le son, un usage tout ce qu’il y a de plus naturel de capacités hors du commun.

L’idée de marier les deux conceptions aurait eu du sens, à condition que chacun fasse un pas vers l’autre, ce qui n’est pas le cas. Chacun s’entête plutôt à rester dans sa sphère, Villazon intellectualisant le propos tant et plus, tandis que Abdrazakov produit du son, dans le meilleur sens du terme. Granada illustre ce fossé, chacun semblant avoir été enregistré séparément.  Bref, malgré ses nombreux atouts, ses deux protagonistes au mieux de leur forme et son orchestre riche en couleurs, ce Duets est un album qui ne livre pas toute l’osmose qu’il avait promise.

*NDLR: l’enregistrement a été réalisé en six sessions à l’église Saint-Nom-de-Jésus, à Montréal, en novembre 2016.

Duets

Œuvres pour ténor et basse de Bizet, Boito, Verdi, Donizetti, Gounod, Lara et Hermann

Rolando Villazon, ténor

Ildar Abdrazakov, basse

Orchestre métropolitain de Montréal

Dir. : Yannick Nézet-Séguin

1 CD Deutsche Grammophon 479 6901

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