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CRITIQUE | Matt Haimovitz & Christopher O'Riley, Troika: un fascinant voyage

Par Frédéric Cardin le 1 novembre 2017

Matt Haimovitz et Christopher O'Riley lancent Troika, un album de musique russe.
Matt Haimovitz et Christopher O’Riley lancent Troika, un album de musique russe.

Une troïka, c’est un trio, un ensemble de trois choses. On connaît la calèche russe tirée par trois chevaux qui porte ce nom. Pour le violoncelliste montréalais Matt Haimovitz, qui vient de lancer un album intitulé Troika, cette dernière réfère à celle de Rachmaninov, Prokofiev et Chostakovitch, à laquelle il a ajouté sa propre triade, faite d’arrangements réussis de chansons populaires évoquant la Russie moderne. Critique d’un superbe album.

Matt Haimovitz : musicien hors norme

Matt Haimovitz est israélien de naissance, mais vit principalement à Montréal depuis 2004. C’est un violoncelliste hors norme et caméléon. Il s’est fait rapidement connaître, il y a une quinzaine d’années, en parcourant les États-Unis avec les Suites pour violoncelle, de Bach, qu’il jouait dans des tavernes, des discothèques, des bars country, et autres lieux inattendus.

Cette approche iconoclaste lui a valu l’admiration d’un public néophyte et même le respect d’une partie de l’establishment classique habituel (preuve que les mentalités évoluent).

Toutefois, le musicien ne se complaît pas à l’esbroufe dans la musique commerciale. C’est un musicien sérieux, raffiné et férocement expressif. Il maîtrise autant Beethoven que Chostakovitch, Schubert et la musique contemporaine la plus audacieuse, que ce soit le rock le plus échevelé ou le jazz le plus imprévisible.

De la graine de Rostro

On remarque d’emblée la sonorité de Matt Haimovitz : puissante et libre, avec une force de projection impressionnante et sans aucune lourdeur. La technique est aussi admirable : bien équilibrée entre virtuosité et économie. Son discours est fluide et limpide, et d’une sensibilité évidente.

C’est peut-être parce qu’il est si polyvalent dans ses amours musicales que Haimovitz a manifestement trouvé une âme sœur en Dmitri Chostakovitch. J’ose affirmer que la Sonate en ré mineur op.40 qu’on entend sur Troika est l’une des très bonnes actuellement sur le marché. Ce foisonnant carrefour d’influences, de désirs expressifs variés, parfois contradictoires, et d’équilibre fragile entre culture majeure et mineure, savante et populaire, que représente Chostakovitch est parfaitement au diapason de la musicalité profonde du violoncelliste montréalais. Il y a de la graine de Rostro (Mstislav Rostropovich) là-dedans.

La résilience du do majeur

Tel un voyage dans le temps en troïka, en parcourant la Russie d’hier et d’aujourd’hui, Haimovitz bondit un peu en arrière en enchaînant avec la glorieuse Sonate en do majeur, op.119, de Prokofiev.

S’il était nécessaire de faire la preuve que des chefs-d’œuvre pouvaient encore être écrits en do majeur en plein milieu du 20e siècle, c’est chose faite avec ce bijou de Prokofiev, écrit un an après que le compositeur eut reçu l’anathème du régime soviétique. La force de caractère de Prokofiev est admirable : il n’a pas reculé ni senti le besoin d’écrire des partitions « accommodantes » afin d’amadouer les censeurs. Il a répondu par la bouche de sa partition!

La symbiose totale entre le violoncelliste et le pianiste réclame un partenariat de très haut niveau. L’un répond à l’autre, anticipe presque ses éclats, ses réflexions et ses intuitions. Tout est là, noir sur blanc, sur des portées musicales, mais encore faut-il transmettre l’intangible communication, presque télépathique, entre les deux partenaires de façon convaincante.

Haimovitz et Christopher O’Riley sont ces partenaires musicaux. On est emporté et convaincu pour de bon (si le moindre doute subsistait!) par la finale somptueuse de ce trésor expressif exceptionnel, jouée par deux musiciens au sommet de leur art.

 Chaleur de la démesure

Le dernier membre du triumvirat est Rachmaninov, avec la Sonate en sol mineur op.19. Elle a été écrite en même temps que le Concerto pour piano no.2, un méga succès dès la première audition. Ceci expliquant cela, probablement, la Sonate a pâti de l’obscurité dans laquelle l’a laissée le Concerto. Et pourtant, quelle cathédrale! Les gestes, les phrases, les affects… Tout est plus grand que nature, surdimensionné à l’échelle d’un talent, d’un génie, mais aussi d’un besoin de laisser éclater ses émotions sans égal à l’époque (et encore aujourd’hui, probablement).

Encore une fois, Haimovitz et O’Riley s’éclatent, se répondent sans hésiter et se relancent dans cette démesure heureusement et chaleureusement enveloppante, tel un souffle de suroît qui nous embrasse.

Popularité, contestation et exil

Haimovitz et O’Riley ont eu l’adorable idée de compléter le programme (deux CD pour la version physique) avec six pièces populaires, arrangées spécialement par eux. Trois d’entre elles sont l’oeuvre des compositeurs de cette troïka et les trois autres sont issues du rock.

La Valse, de Chostakovitch (oui, celle-là, popularisée par Hollywood et André Rieu), mélodiquement irrésistible, est ici attaquée de façon plutôt relaxe, ce qui lui donne des airs de musique de salon privé très bourgeois. Inhabituel, et pourtant approprié.

La Troika, de Prokofiev (extraite de la trame sonore de Lieutenant Kijé) est elle aussi bien connue. Puis, la Vocalise, de Rachmaninov, bellement rendue, offre un bienfaisant moment de tendresse expressive.

Le concept, que l’on devine maintenant centré autour de l’idée de contestation et d’exil (les trois compositeurs ont vécu l’une ou les deux réalités), est habilement complété par trois chansons rock récentes.

La très jolie Kukushka, de Viktor Tsoi, est une belle découverte. Tsoi a profité du mouvement d’ouverture de la Glasnost et de la Perestroïka dans les années 1980 pour exemplifier à l’époque le désir de changement de la jeunesse soviétique. Ses accointances avec les groupes anglais The Cure et Sisters of Mercy lui ont donné une aura punk rock qui légitime totalement sa place dans cet album. L’arrangement de Haimovitz et O’Riley est superbe.

Suit Punk Prayer: Virgin Mary, Put Putin Away, du groupe féministe Pussy Riot. Ce trio anti-Poutine a été récompensé de ses bons services par la prison et l’assassinat de l’une des musiciennes du groupe. La pièce est rugueuse et explosive, comme une décharge de revolver.

Pour terminer, un classique rock : Back in the USSR, de Lennon-McCartney, un aimable clin d’œil du duo.

Troika est un voyage fascinant, à la fois conceptuel et viscéralement musical, qui sait équilibrer parfaitement passion et intellect. Magistral!

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