
L’Opéra de Montréal couronne sa saison articulée autour du thème de la jeunesse par une production bien rythmée de La bohème avec Lauren Margison et Frédéric Antoun dans les rôles principaux, mise en scène par François Racine et accompagnée par l’Orchestre Métropolitain dirigé par Simon Rivard.
Distribution
Vocalement, on n’a rien à reprocher à Lauren Margison dans le rôle de Mimi : elle possède une voix pleine et ronde, qui répond bien aux exigences de la partition. C’est du côté du jeu qu’il y a place à amélioration : l’expression reste relativement neutre, qu’elle tombe en amour, qu’elle soit surprise par la révélation que ses jours sont comptés ou qu’elle rende son dernier souffle dans les bras de son amoureux éploré. Ce registre limité provoque un déséquilibre lors de la première rencontre des deux futurs amants, créant l’impression d’un Rodolfo trop entreprenant, sollicitant l’amour d’une jeune étrangère qui ne lui manifeste de son côté aucun encouragement (une spectatrice derrière moi a laissé entendre une réaction de malaise en entendant Rodolfo demander à Mimi : « Dis-moi que tu m’aimes! »). Il est tout à fait possible que le metteur en scène ait consciemment décidé d’explorer la relation de cet angle, compte tenu de la jalousie manifestée plus tard par le jeune homme – mais cela nous ramène au problème initial : rien dans la façon d’incarner Mimi ne nous permet de juger si cette retenue fait partie du personnage, ni de comprendre l’évolution de ses sentiments.
Le Rodolfo de Frédéric Antoun, lui, ne laisse planer aucun doute sur ses sentiments. Le ténor québécois à la feuille de route bien garnie a récemment pris la décision de concentrer ses activités au Québec. Des trois événements dans lesquels j’ai eu l’occasion de l’entendre au cours de la dernière année, sa prestation en tant que Rodolfo est la plus réussie : l’opéra semble lui ouvrir une liberté physique que le concert (Grand concert du Festival d’opéra de Québec) et l’oratorio (Messie avec l’Orchestre Métropolitain) ne lui fournissaient pas. Les aigus continuent de lui causer des difficultés, les passages les plus exigeants de ce point de vue ayant malheureusement tendance à être également les plus intenses dramatiquement, mais dans l’ensemble, il campe Rodolfo avec conviction et naturel.
Le quatuor de comparses insouciants qu’il forme avec Marcello (vibrant John Brancy), Schaunard (imposant Mikelis Rogers) et Colline (chaleureux Jean-Philippe McClish) est équilibré et attachant. En Musetta, Andrea Nunez est impertinente sans être caricaturale. La basse américaine Valerian Ruminski fait valoir son côté comique dans le rôle du propriétaire ridiculisé Benoît au premier acte et de l’amant riche de Musetta au deuxième.
Les deux petits rôles de Parpignol et du Sergent ont été confiés à deux membres actuels de l’Atelier lyrique, Angelo Moretti et Jamal al Titi respectivement, qui s’en acquittent parfaitement.
Comme à son habitude, le Chœur de l’Opéra de Montréal fait preuve d’une présence solide, dramatiquement et vocalement. Au milieu de l’action fourmillante du deuxième acte, les enfants chantent avec assurance tout en se ruant sur les jouets de Parpignol, et le petit qui se plaint de ne pas recevoir le cheval qu’il convoite provoque les rires sympathisants du public.
Mise en scène et scénographie
Le metteur en scène expérimenté François Racine ne cherche pas midi à quatorze heures. Il ne surcharge pas les interprètes, leur laissant toute la place pour chanter à leur aise, au point de risquer occasionnellement le statisme. À une occasion, cette sobriété scénique rompt la crédibilité de l’action, alors que, dans la scène où Rodolfo avoue à Marcello que Mimi est mourante, les deux hommes, ignorant pourtant la présence de Mimi cachée, se font face et attendent sagement que celle-ci ait chanté ses apartés. Ces moments de suspension dans leur dialogue demandent à être meublés de façon organique.
Les décors, loués au Arizona Opera et conçus par Peter Dean Beck, s’articulent autour d’une structure commune représentant tour à tour l’immense logement inchauffable, l’intérieur du Café Momus et, en réorganisant les structures, la porte fortifiée de la ville.
Orchestre
Dans la fosse, la sonorité émanant de l’Orchestre Métropolitain est riche en textures et en couleurs, la pâte orchestrale est modelée avec adresse. Les tempos sont bien dosés; dès le début, le rythme est fluide, vif sans être pressé. Entre les mains du chef Simon Rivard, qui fait avec cette production ses débuts à l’Opéra de Montréal, l’orchestre est presque un personnage supplémentaire, soutenant, commentant ou complémentant l’action sur scène. De ma place à la rangée M du parterre, le tout était dans l’ensemble un peu fort, mais il est possible que ce soit nécessaire pour satisfaire les étages supérieurs. Il resterait indiqué de tempérer les élans expressifs des premiers violons lorsqu’ils doublent les lignes vocales de façon trop enthousiastes.
Les prochaines représentations ont lieu les 15, 18 et 20 mai à la salle Wilfrid-Pelletier.
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