
Dans son livre Liveness: Performance in a Mediatized Society (3e édition, 2023), Philip Auslander, professeur en études en interprétation et en musicologie de la musique populaire à l’École de littérature, médias et communications du Georgia Institute of Technology, commente une citation du musicologue Christopher Small décrivant les prestations musicales en musique classique comme « un système de communication à sens unique » en ajoutant : « Compte tenu de l’absence d’intimité et d’échange entre les deux groupes [c’est-à-dire interprètes et public] dans ce genre de prestation, il est peu probable que l’exécution des interprètes soit affectée par la réponse du public ou qu’ils soient même conscient·e·s de la présence de celui-ci. » Il est malheureux qu’Auslander n’ait pas pris la peine de sonder à la fois des interprètes de musique classique et des membres du public de concerts classiques avant de publier une telle affirmation gratuite : les témoignages des uns et des autres lui auraient démontré la fausseté de celle-ci.
Inversement, si on accepte que la présence du public a une influence sur les interprètes, il s’ensuit que l’absence de celui-ci a également des incidences. Je crains que cela ait été le cas samedi soir, alors que la Chapelle de Québec et les Violons du Roy donnaient leur troisième prestation en autant de jours d’un programme constitué de quatre cantates de J. S. Bach (BWV 4, 106, 131 et 150) devant une Maison symphonique extrêmement clairsemée.
Il va de soi, quand il s’agit d’interprétation de Bach entre les mains de Labadie et des ensembles qu’il a fondés, qu’on parle d’un niveau élevé d’approfondissement de toutes les dimensions de la partition tout comme d’un niveau d’exécution remarquable. La Chapelle de Québec, qui avait volé la vedette même aux solistes lors du concert du Messie en décembre dernier, est un chœur d’un grand raffinement. Samedi soir, les cadences finales, en particulier, ont suscité des frissons de satisfaction par l’équilibre parfait des tierces, glorieusement majeures ou délicieusement mineures, au sein de l’accord. Parlant de finales, celle du chœur Ich harre des Herrn (troisième mouvement de la BWV 131) est restée suspendue dans les airs, entraînant le souffle du public avec elle.
L’ensemble de la soirée manquait cependant d’élan, les troupes sollicitées pour la troisième soirée consécutive ne pouvant puiser de quoi renouveler leurs réserves énergétiques auprès d’un public avide et disposé à l’écoute, mais trop éparpillé. Des phrasés statiques privaient certains passages de leur potentiel expressif. Ce fut entre autres le cas de l’appel en parties séparées Aus der Tiefe rufe ich Hernn zu Dir (BWV 131), où se sont glissés par ailleurs un ou deux s québécois malheureux entre le T et le i dans T(s)iefe. Le regroupement du chœur pour la section suivante, Herr, höre meine Stimme, était, lui, efficace et percutant, tout comme l’entrée sur Gotteszeit ist die allerbeste Zeit dans la BWV 106, présentée après la pause.
Malgré une annonce en début de concert prévenant qu’elle était légèrement indisposée, Myriam Leblanc s’est acquitté de ses solos avec la clarté et la légèreté qu’on lui connaît. Le timbre du contre-ténor Daniel Moody se marie d’ailleurs admirablement avec le sien, possédant le même type de corps et d’ampleur. La mezzo-soprano Marie-Andrée Mathieu a apporté son timbre chaleureux au solo In deine Hände de la cantate BWV 106, pour lequel le continuo a été réduit à l’orgue seul pour un accompagnement intime. Le ténor Hugo Hymas s’est distingué par un sculptage de phrasés varié, son point faible étant cependant un registre aigu coincé. Quant à la basse Stephen Hegedus, ses prestations de la deuxième partie lui ont permis de démontrer qu’il avait surmonté les petites difficultés d’émission constatées en première partie.
Les membres des Violons du Roy, agrémentés de quelques surnuméraires habitués dans les sections d’alto et de violoncelle, et des instrumentistes supplémentaires exigés par la partition (Vincent Lauzer et Caroline Tremblay aux flûtes à bec, et Margaret Little et Mélisande Corriveau aux violes de gambe), ont comme toujours été excellents. Le choix de placer le hautbois soliste d’Élise Poulin à l’emplacement du violon solo m’a semblé curieux, l’éloignant du basson et lui accordant une préséance sonore qu’il aurait été souhaitable de tempérer.
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