Les musiciens classiques font face au stress, à la compétition et aux longues heures de travail. Pour certains, la méditation est une façon de vaincre le trac et de s’améliorer. Trois d’entre eux témoignent.
« Lorsque j’étais au New World Symphony à Miami au début des années 2000, l’esprit était très compétitif, se souvient la violoniste Renée-Paule Gauthier. Je passais beaucoup d’auditions, je concourrais pour des prix et j’avais du mal à gérer mon stress. J’ai alors commencé le yoga et petit à petit, j’en suis venue à faire des exercices de « centring » avant les performances. C’est comme ça que j’ai commencé à méditer. »
Se concentrer sur sa respiration, relaxer ses muscles, visualiser ce qui devra se passer dans quelques heures, quelques minutes sur scène afin de guider ses pensées vers le meilleur scénario, utiliser son imagination pour ressentir la façon dont on souhaiterait vivre la situation, et ainsi éloigner la peur. Car si de plus en plus de musiciens se tournent vers la médiation, c’est pour apprivoiser leur stress de mal faire, et éviter de perdre tous leurs moyens.
Même les artistes les plus aguerris peuvent éprouver ce trac au moment de livrer une performance. Avoir les mains moites, la voix qui tremblote, oublier l’ordre des morceaux et mêmes des notes alors même qu’il s’agit de pièces à leur répertoire depuis leurs années de conservatoire.
« L’idée, c’est d’essayer de se vider l’esprit en gardant le focus sur sa respiration et sur rien d’autre, entrer en relation avec chacune des parties de son corps, poursuit la violoniste. Ce n’est pas facile et au début, il arrive souvent de se laisser distraire. Alors, il faut revenir sur sa respiration en toute humilité, sans jugement. »
Pensées moins agressives
Le pianiste Steven Massicotte médite quant à lui depuis cinq ans. Même s’il lui arrive de mettre cette pratique un peu de côté parfois, il avoue qu’elle lui permet d’avoir une plus grande conscience de son corps.
« Je sais comment je me sens dans ma joue droite, ironise-t-il. C’est très important pour un musicien. Par ailleurs, la méditation entraîne le cerveau à demeurer plus concentré plus longtemps. Ainsi, je suis plus présent à ma musique et je me laisse moins distraire. Mes pensées sont également moins agressives. Une personne qui tousse dans la salle, un cellulaire qui sonne… on a forcément des sentiments reliés à ces situations. Lorsque je médite, je suis plus empathique. »
Les bienfaits sont tels que lorsqu’il délaisse la méditation quelques temps et qu’il y revient, il se demande pourquoi il ne le fait pas plus souvent.
« C’est évident que mon travail est plus efficace, insiste le pianiste du Trio Fibonacci. Que je mets plus de moi dans la musique que je joue, mais paradoxalement, qu’il m’est plus facile aussi de m’en dégager pour la laisser prendre son envol. »
Être plus présente dans la pratique de son instrument, voilà aussi ce que ressent l’altiste Marina Thibeault depuis qu’elle a commencé à méditer il y a une dizaine d’années. Elle raconte en effet qu’auparavant, il lui arrivait de répéter des gestes mécaniquement et que même en concert, elle vivait de longs épisodes d’absence durant lesquels sa mémoire musculaire prenait le relais.
« Aujourd’hui, j’optimise ma pratique parce que je me pose plus de questions, confie-t-elle. Je ne voudrais pas paraitre ésotérique, mais c’est comme si je me voyais jouer. Je ne suis pas aussi impliquée émotionnellement et ça me permet de tenter de nouvelles choses. Je peux me concentrer sur une phrase et me demander comment je pourrais la faire sonner différemment. En fait, j’aime bien plus mon métier depuis que je médite! »
Mme Thibeault croit également que le public ressent cette sérénité. A contrario, elle affirme que cet art zen d’être musicienne n’est pas non plus sans danger, puisque pour certaines pièces, il faut savoir aller chercher la tension, la violence en soi. Il ne s’agit donc pas de mettre à bas toutes les émotions négatives qui traversent chaque individu, mais bien d’apprendre à aller chercher celle dont le musicien à besoin à tel ou tel moment.
Pratique quotidienne de la méditation
L’altiste, lauréate de nombreuses distinctions, dont tout un prix de la Fondation Père Lindsay, indique que c’est le climat hyper-compétitif, l’intensité, l’exigence de ses années de formation, qui l’ont menée au yoga d’abord, puis à la médiation. À tel point qu’elle a même passé plusieurs mois dans un ashram pour devenir professeur de yoga et qu’elle faisait alors deux heures de méditation par jour. Aujourd’hui, elle avoue continuer à méditer quotidiennement mais pas forcément en prenant la position du lotus.
« Ça peut prendre toute sorte de formes, explique-t-elle. Lorsque je marche ou que je fais la vaisselle, je peux tout à fait être en train de méditer. L’important, c’est d’être présent à soi même à chaque seconde du temps de méditation que l’on s’octroie. Les jambes croisées, je pense à plein de choses et au bout de cinq minutes, j’ai décroché de ma respiration. Les premières fois, je me suis même endormie et cogné le front par terre. » – Marina Thibeault
Aujourd’hui professeur d’alto, Mme Thibeault intègre des notions de yoga et de méditation dans ses cours afin de prévenir les blessures et d’améliorer la concentration de ses élèves. Elle rappelle qu’il ne s’agit d’ailleurs pas d’une lubie de sa part et de quelques autres musiciens « grano », mais que plusieurs études scientifiques ont démontré que la médiation provoquait des effets physiques sur le cerveau.
De plus en plus de grandes institutions, comme la Julliard School à New York, initient d’ailleurs elles aussi leurs étudiants à la méditation afin de combattre leur stress et leur trac, et ainsi améliorer leurs performances.
« C’est une pratique courante depuis des décennies dans le domaine du sport, conclut Renée-Paule Gauthier. Parce qu’il y a beaucoup d’argent dans le milieu, on a réfléchi aux différentes façons de permettre aux athlètes de mieux performer et la méditation et la visualisation ont fait leur entrée dans les programmes d’entrainement. C’est de plus en plus courant dans la musique aujourd’hui, et il faut s’en féliciter. »
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