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CRITIQUE | JFK: L'étrange rêve de Monsieur Jack

Par Caroline Rodgers le 28 janvier 2018

Le rêve de JFK permet à divers personnages d’évoluer sur scène. (Crédit: Yves Renaud)

De deux choses, je ne saurais dire laquelle suscite en moi le plus grand malaise : assister à l’opéra JFK, ou écrire une critique de l’opéra JFK. En effet, trouver un sens à l’œuvre de Little et Vavrek n’est pas chose facile.

En peignant à gros traits le portrait d’un président faible et vulnérable aux prises avec ses angoisses, aux antipodes du héros qu’en ont fait les médias et la culture populaire, JFK passe au moins un message : les politiciens sont des être humains comme les autres. Ou pire que les autres. Quant à l’opéra, il reste difficilement recommandable sans apporter des réserves majeures.

Il y a énormément de belles choses dans JFK, mais aussi tellement de décisions artistiques discutables qu’il est difficile de dire : « allez-y » sans arrière-pensée. D’abord, la scénographie est superbe, et la mise en scène, bien menée.

Le décor pivotant, qui présente les pièces de la suite occupée par le président et sa femme à l’Hôtel Texas, à Fort Worth, facilite la structure narrative, composée de tableaux incohérents qui se succèdent. Il suffit de tourner le décor et hop! On change de délire.

Au-delà de la suite d’hôtel, le rêve de JFK se transporte dans d’autres mondes, imaginaires et représentatifs de grands thèmes qui ont hanté sa présidence : la conquête de la lune, Nikita Khroutchev et l’URSS.

Quand les scènes se déroulent dans la chambre, JFK fait face à ses cauchemars plus intimes : sa dépendance à la morphine, sa sœur Rosemary, lobotomisée à 23 ans, et sa peur inavouée de Lyndon B. Johnson, révélée plus tard. L’une des nombreuses théories sur l’assassinat de JFK avance d’ailleurs que c’est Johnson qui l’aurait commandé pour s’emparer du pouvoir.

 

Le contexte du rêve permet à la même personne de cohabiter avec elle-même, à différents âges. Jacqueline Onassis et Jackie Kennedy. (Crédit: Yves Renaud)
Le contexte du rêve permet à la même personne de cohabiter avec elle-même, à différents âges. Jacqueline Onassis et Jackie Kennedy. (Crédit: Yves Renaud)

Fantastique Daniela Mack

Les chanteurs sont tous à la hauteur, en particulier la mezzo-soprano Daniela Mack, dont on peut dire qu’elle porte une grande partie de la production sur ses épaules. Elle transmet magistralement et avec émotion la musique de Little, qui lui a donné un rôle fort mais difficile ainsi que les plus beaux airs.

Matthew Worth, en JFK, fait entendre un beau timbre de baryton mais la partition qu’il doit rendre est ingrate. De plus, son personnage est si mal défini qu’il reste dans l’ombre de son épouse.

Dépouillé de son leadership et même de personnalité, il ne sert plus que de véhicule et de prétexte aux divers tableaux que le librettiste a tenu à inclure dans son collage, démontrant une vision qui réduit ce pauvre JFK à l’état de jouet du destin.

Parmi les personnages secondaires, on remarque l’excellente soprano Talise Trevigne (Clara Harris) et le ténor Sean Panikkar (Henry Rathbone), tant pour leur voix que pour leur belle présence scénique. Le baryton-basse Daniel Okulitch réussit bien en méchant et caricatural Lyndon B. Johnson, dans l’une des scènes les plus vulgaires qu’on ait pu voir à l’Opéra de Montréal depuis des lustres.

Entouré des politiciens texans (les membres de Quartom et Alexandre Sylvestre), il tyrannise un JFK nu, antihéros accablé par son mal de dos et sans défense dans sa baignoire.

Cependant, un manque de projection du côté des politiciens texans, trop préoccupés par les mille gesticulations que le metteur en scène leur impose, ainsi qu’un léger décalage avec l’orchestre, nuisent à la réussite complète de la scène. S’y mêle aussi une prostituée (Cree Carrico, qui fait également Rosemary) dont le rôle demeure avant tout accessoire, symbolique. On croit deviner qu’elle représente les infidélités du président, sans que cela ait plus d’impact.

Tout comme la visite inopinée de Rosemary Kennedy dépeinte en hystérique, la présence de la prostituée, mal intégrée dans l’ensemble, demeure un élément stéréotypé qui surcharge l’opéra sans le faire progresser.

En même temps, Lyndon et ses acolytes ont beau être vulgaires dans leur attitude et dans leurs gestes, on ne peut s’empêcher de penser qu’ils ne le seront jamais autant que les vrais politiciens peuvent l’être, la plupart du temps, lorsqu’ils ruinent sans vergogne la vie de populations entières.

Sur le plan musical, il y a de beaux moments, mais la partition aux influences multiples est inégale et certainement moins imaginative que celles d’Another Brick in the Wall et de Dead Man Walking. Un beau thème de quatre notes, assez triste, revient tout au long de l’opéra, traité de diverses façons. Dans la fosse, l’interprétation de l’OSM est irréprochable.

Duo et trio

Deux scènes sont particulièrement réussies : un duo entre Jack et Jackie, au premier acte, et le trio féminin sublime du 3e acte entre Jackie, Jacqueline Onassis et Clara Harris est certainement le plus beau moment musical de tout JFK. De plus, toutes les interventions des chœurs sont judicieuses et ajoutent de la texture et de la profondeur.

 

Jackie Kennedy (Daniela Mack) et JFK (Matthew Worth) dans la production JFK de l'Opéra de Montréal, présentée du 27 janvier au 3 février. (Crédit: Yves Renaud)
Jackie Kennedy (Daniela Mack) et JFK (Matthew Worth) dans la production JFK de l’Opéra de Montréal, présentée du 27 janvier au 3 février. (Crédit: Yves Renaud)

Les lacunes du livret

Si la scénographie est belle, si les chanteurs font bien leur travail et si la musique, sans être géniale, a tout de même des qualités, alors qu’est-ce qui ne va pas? Principalement le texte et le livret dans son ensemble, maillon faible de toute cette entreprise. On comprendra qu’il s’agit d’un rêve et que, par conséquent, il est naturel que le récit ne suive pas une progression linéaire traditionnelle. Toutefois, il y a une certaine forme de paresse à utiliser un rêve pour justifier l’indécision et le manque de finition d’un livret d’opéra.

Vavrek semble avoir oublié qu’écrire, c’est choisir. Il ne peut résister à la tentation d’inclure trop d’éléments disparates dans ce qui donne l’impression d’un fourre-tout.

Trop d’interventions, de gestes, de symboles soulèvent des questions qui demeurent sans réponses.

Cependant, le cœur du problème réside dans le fait que les paroles évasives des personnages nous en apprennent trop peu sur eux-mêmes, sur leurs motivations et sur la signification de leur présence. Ils disent bien des choses qui ne font pas progresser la trame narrative, ni ne nous éclairent sur leur rôle, le sens de l’opéra ou un quelconque message. Lorsqu’ils interagissent, leurs dialogues sont souvent tellement baignés d’un flou poétique qu’ils ne nous en apprennent pas vraiment plus sur la nature profonde des relations entre les personnages.

En résumé: si la production de l’Opéra de Montréal est plutôt réussie, c’est l’oeuvre qui est problématique. On en reste, finalement, avec l’impression d’avoir assisté à une bonne dose de tape-à-l’œil et entendu pas mal de bruit autour du traitement maladroit d’un thème qui aurait pu être mieux exploité.

JFK, à l’Opéra de Montréal, se poursuit jusqu’au 3 février, salle Wilfrid-Pelletier.

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