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ENTRETIEN | Da Ponte bien culotté: spectacle décoiffant pour opéraphiles décoincés

Par Frédéric Cardin le 24 janvier 2018

Isabeau Proulx-Lemire. (Crédit: Brent Callis)
Isabeau Proulx-Lemire. (Crédit: Brent Callis)

Le 3 février prochain sera créé au Théâtre Corona à Montréal un « opéra-théâtre-comique » basé sur la vie de Lorenzo Da Ponte, librettiste des plus grands opéras de Mozart. Da Ponte bien culotté (dont les profits seront remis à l’organisme Carrefour musical de Laval) mettra en scène ce personnage historique haut en couleur, avant-gardiste irrévérencieux, grâce à un mélange de textes inspirés de ses mémoires truculents et d’airs (les plus beaux) tirés des opéras de Mozart.

J’ai rencontré Isabeau Proulx-Lemire, membre de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal et metteur en scène de ce spectacle qui souhaite « décoincer » l’univers de la musique classique en général et de l’opéra en particulier.

Q-Isabeau Proulx-Lemire, que raconte Da Ponte bien culotté?

R- « Le scénario est simple : il s’agit d’une conversation entre le Créateur et Adam. Les deux discutent des contrastes qui se bousculent en Da Ponte. Le Créateur est la voix de la Raison, Adam, celle de la Nature. Ces deux extrêmes se retrouvent dans le personnage de Lorenzo Da Ponte et se manifestent à travers sa vie et ses réalisations. C’est une sorte de conversation entre la lumière et l’ombre, mais faite avec beaucoup d’humour, puisque Da Ponte était un homme assez truculent. La conversation est illustrée sur scène par des éléments de la vie de Da Ponte et des airs d’opéras de Mozart, avec lequel l’artiste a étroitement travaillé. Il y a un étroit équilibre entre dialogues, comme au théâtre, et chant, comme à l’opéra. »

Pourquoi avez-vous eu envie de faire ce spectacle hors norme?

R- « Avec Xavier Roy et Nicolas Ellis de l’Orchestre symphonique de l’Agora (OSA), nous avons pris conscience qu’en tant que jeunes musiciens classiques, nous faisons très souvent de la musique et de l’opéra, pour des vieux, du moins bien plus vieux que nous! Nous avons eu envie de faire un show décoiffant pour des jeunes, disons entre 25 et 45 ans, et avec de la musique classique. »

La forme du spectacle est donc un mélange de théâtre et d’opéra?

« C’est une sorte de collage d’airs de Mozart, théâtralisé. Les airs ont été décontextualisés pour s’intégrer dans le scénario, qui raconte, grosso modo, la vie de Lorenzo Da Ponte. » – Isabeau Proulx-Lemire

Qui était Da Ponte? Quel intérêt pour les gens d’aujourd’hui à le connaître?

R- « Parce qu’il est fascinant! Il est, à nos yeux, un antihéros très actuel. Mégalomane sur les bords, opportuniste narcissique, mais créateur de génie. Il était un homme déchiré entre sa raison et ses passions, à l’exemple de ce qu’en disait Jean-Jacques Rousseau. Il a floué des tonnes de gens : le système pour commencer, mais aussi ses créanciers, et des femmes (les pauvres!). Il était joueur compulsif, traître, et juif converti au catholicisme par opportunisme.

Il disait ne pas résister aux tentations, car l’état de nature est le plus satisfaisant.

L’ambiance de rectitude politique très forte qui règne en ce début de 21e siècle nous amène ironiquement à apprécier, ou à tout le moins à être fascinés par les anticonformistes, les gens qui ont la langue bien pendue, au détriment des convenances, et qui sont surtout capables de défendre habilement leurs idées. Da Ponte était ce genre d’homme.  Il ne cachait pas et n’avait pas honte de son côté homme préhistorique. Le titre Da Ponte bien culotté est entièrement approprié! »

Sur quoi vous êtes-vous basé pour construire le spectacle?

R- « Des études historiques, des thèses de doctorat et bien d’autres documents, mais principalement les Mémoires de Da Ponte. Il s’agit d’une lecture essentielle pour quiconque s’intéresse au Siècle des Lumières. C’est truculent à souhait, et souvent très cru! »

Vous avez choisi le Théâtre Corona pour la présentation. Pourquoi?

R- « Nous avions envie d’une ambiance de cabaret. On ne voulait pas se sentir coincé dans une salle où l’on se cogne les genoux et où l’on doit rester silencieux. Au Corona, les gens pourront boire, manger et même ouvrir leur téléphone! Je serais même heureux qu’ils fassent du bruit, qu’ils applaudissent, qu’ils sifflent, bref qu’ils s’amusent et qu’ils le montrent, tel que ça se faisait, d’ailleurs, à l’époque de Da Ponte! »

Comment se déroule la construction du projet jusqu’à maintenant?

R- « C’est un pur bonheur! J’ai des collègues (de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal) qui sont exceptionnels. Les musiciens de l’OSA sont merveilleux. Tout le monde est passionné, totalement impliqué dans l’aventure. C’est ma première mise en scène d’opéra, et j’en retire jusqu’à maintenant un enrichissement extraordinaire. »

 

RAPPEL : les profits du spectacle seront versés au Carrefour musical de Laval, un organisme social lié au Centre de Pédiatrie sociale de Laval (CPSL), lui-même inspiré par le modèle du «Garage à musique» dans Hochelaga-Maisonneuve. Grâce à la musique, l’organisme intervient auprès d’enfants et d’adolescents en difficulté.

 

Pendant que je vous ai sous la main, j’aimerais vous demander quel bilan vous faites de votre participation à la production Mary Poppins de Serge Postigo?

R- Je me sens privilégié d’avoir fait partie de cette production. C’est la plus grande de Juste pour rire, et un succès unanime. Pas une seule mauvaise critique, c’est tout un honneur de pouvoir y accoler mon nom. Je me suis aperçu également que j’ai un immense plaisir à jouer la comédie et chanter en même temps. La comédie musicale est mon véhicule privilégié pour exprimer ces deux passions en même temps. »

 

Croyez-vous que le temps est venu de monter de grandes comédies musicales à l’opéra?

R- « Oui! J’en parle souvent. Je crois qu’il y a un public pour ça. Ça arrivera peut-être un jour ici, et ce jour-là, je serai le premier à cogner à la porte pour y participer! »

Les chanteurs d’opéra traditionnels n’ont-ils pas des voix trop « amples » pour ce genre de répertoire?

R- « La grosseur de la voix n’est pas un enjeu, selon moi. Le fond du problème, c’est le jeu d’acteur. Nous n’avons pas de traditions bien établies de comédie musicale ici. Nous formons des chanteurs poussés à bien remplir l’espace sonore, mais pas suffisamment à jouer la comédie. De l’autre côté, des acteurs aguerris, mais qui ne savent pas assez bien chanter (tout cela dit en rappelant qu’il y a de notables exceptions). Là est le véritable enjeu.

Il est vrai, cela dit, que la comédie musicale n’invite pas à utiliser le vibrato très ample et sonore. Cela réduit la limpidité des mots et la clarté de la diction.

Pour ma part, j’aimerais que les chanteurs classiques, dans ce répertoire bien sûr, chantent avec plus de précision, quitte à perdre en puissance et en sonorité. Quitte, aussi, à être légèrement « microphonés ». Je ne suis pas du tout hostile à cette méthode, pourvu que cela se fasse en respect de la qualité des textures vocales et en visant la conservation d’une ambiance et d’une acoustique très naturelle. »

Quel équilibre y a-t-il entre l’opéra et la comédie musicale dans votre vie, dans votre cœur?

R- « L’opéra, et la musique classique en général, ce sont mes premières amours! C’est la musique que j’écoute principalement dans ma vie quotidienne. J’aime la texture, la sonorité de la musique classique, de l’orchestre, du chant lyrique. Je me sens enveloppé par cet univers.

« La comédie musicale, elle, s’adresse à l’enfant en moi et à mon besoin de légèreté. Elle me satisfait également en termes d’authenticité théâtrale et d’expression naturelle d’un texte.

L’opéra répond à la question prima la musica, la comédie musicale répond à la question prima la parole. »

Les metteurs en scène de théâtre apportent quelque chose de différent, et souvent bienvenu, à l’opéra. Que pensez-vous que les metteurs en scène d’opéra peuvent apporter au théâtre, quand ils en font?

R- « C’est une bonne question. Il m’arrive de faire des mises en scène pour le théâtre, je suis donc concerné. Mais j’avoue ne pas m’être posé la question. Spontanément, je répondrais que les habitués de l’opéra, et de la musique classique en général, se doivent d’être parfaitement préparés lorsqu’ils se présentent à des répétitions. Ils n’ont pas le choix : il y a tellement peu de temps pour monter un spectacle (opéra) ou un concert, que chaque artiste, metteur en scène compris, doit arriver à la première répétition presque comme s’il pouvait déjà être devant le public!

Au théâtre, ce n’est pas le cas. Du moins, la plupart du temps. Je pense, donc, qu’un metteur en scène d’opéra aura le réflexe naturel d’arriver mieux préparé que d’autres, qui n’ont pas cette expérience contraignante imposée à tous les musiciens classiques. »

Quels projets vous attendent ensuite?

R- « J’assisterai Martine Beaulne à la mise en scène de l’opéra Svadba d’Ana Sokolovic (du 24 au 31 mars 2018 à l’Espace Go), et je monterai, en version de concert semi-scénique, La Veuve Joyeuse de Lehar avec la Sinfonia de Lanaudière, dirigée par Stéphane Laforest, le 15 avril 2018 à L’Assomption. Les membres de l’Atelier lyrique seront encore présents. »

Avec les chanteurs de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal: Lauren Margison, Chelsea Rus, Katie Miller, Nathan Keoughan, Max van Wyck et Scott Brooks.

Da Ponte bien culotté, 3 février, 19 h 30, Théâtre Corona

POUR ACHETER DES BILLETS.

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