Si La Cenerentola de l’Opéra de Montréal est réussie? La réponse est oui. Cette production est délicieuse avec sa mise en scène géniale, ses interprètes de talent et ses costumes qui semblent faits de pâte d’amande. Mais il y a un « mais » : quelques longueurs et redondances dans l’œuvre qui font lever les yeux au ciel, à l’occasion. Ne boudez pas votre plaisir pour autant : allez-y.
Angelina – c’est le prénom de Cendrillon dans l’opéra de Rossini, est une douce jeune fille vertueuse et un peu masochiste qui aime être maltraitée par sa belle-famille au point de tout leur pardonner à la fin. C’est ce qui fait dire que l’opéra « finit bien ». Elle est interprétée par la mezzo Julie Boulianne qui, dotée de la voix parfaite pour ce rôle, nous éblouit, comme d’habitude, par son velouté et sa virtuosité.
La projection est cependant un peu insuffisante, de sorte qu’à la rangée Q du parterre, on entend à peine certains passages. Il faut tendre l’oreille tout en maudissant mentalement l’armée de tousseurs qui ont le don de sévir au mauvais moment. L’hiver est bel et bien commencé! On ne peut donc pas vraiment blâmer la chanteuse, car c’est aussi le genre de répertoire dont les subtilités font ressortir les lacunes acoustiques de la salle Wilfrid-Pelletier.
Les interprètes
Le duo des méchantes sœurs, Clorinda (Lauren Margison) et Tisbe (Rose Naggar-Tremblay) est drôle à souhait. Lauren Margison se fait particulièrement remarquer pour ses beaux aigus clairs et ses mimiques savoureuses, toujours placées au parfait moment. Don Magnifico, tout de mauve vêtu (jusqu’à sa perruque), est magnifiquement campé par le baryton italien Pietro Spagnoli.
On est plutôt enchantés par le ténor Juan José de Leon, dont la prestation est d’excellente tenue du début à la fin. On peut en dire autant de Vito Priante, très amusant dans le rôle du valet Dandini. Kirk Eichelberger (Alidoro), basse provenant des États-Unis, n’est pas toujours à la hauteur sur le plan vocal, surtout dans son aria La del ciel nell’arcano profondo. Le vieux sage est pour lui un rôle qui demandera encore du travail. L’Orchestre Métropolitain, dirigé par José Miguel Pérez-Sierra, fait bien son travail, quoique l’on ait peiné à entendre l’Ouverture, jouée exagérément piano.
De façon générale, on est impressionné par la précision des chanteurs, qui ont à rendre clairement de nombreux passages très rapides, souvent en groupe. Le meilleur moment est évidemment l’extraordinaire sextuor Siete voi?, morceau de génie du deuxième acte, très réussi. Les six chanteurs, assis, coordonnent leurs gestes en une sorte de chorégraphie de mains suivant la musique. C’est d’ailleurs une autre force du spectacle : la gestuelle de chacun est très élaborée, juste, et le jeu d’acteur est dirigé avec une grande compréhension de la musique et du théâtre.
La mise en scène
Parlons de l’exquise et brillantissime mise en scène et de ses fabuleux accessoires. Les trouvailles scénographiques sont si habiles et nombreuses qu’il est difficile de toutes les décrire. Elles nous donnent enfin un prétexte pour utiliser le mot « mirifique ».
Commençons par ces six souris grises, qui habitent la scène presque du début à la fin et qui ajoutent vie et mouvement avec leurs cabrioles. Elles font d’ailleurs penser aux rats de Casse-Noisette. Leur présence, pertinente, fait beaucoup rire.
Au premier acte, le valet déguisé en prince arrive au château de Don Magnifico sur un formidable cheval à deux têtes, doté d’un escalier. Au deuxième acte, un écran de miroirs pivotants permet diverses entrées et sorties des personnages, et se transforme en image de carrosse alors que Don Ramiro part à la recherche de sa bien-aimée. On revoit ledit carrosse en ombre chinoise puis en modèle réduit porté par les souris, pendant un orage. On se croirait dans un spectacle pour enfants, et c’est très bien comme ça.
Remercions cette créativité débordante de rendre plus dynamique un opéra qui, bien que très beau, n’est pas très diversifié musicalement et ne comporte pas d’air véritablement mémorable. Le premier acte s’éternise. On n’ose pas imaginer ce que ce serait si la mise en scène avait été ennuyeuse.
Ce n’est la faute de personne dans cette production, mais peut-être attribuable à l’époque de Rossini, où l’art du divertissement était adapté à ses auditeurs, sans doute plus patients que nous, en 2017. Ajoutons que pour leurs oreilles, contrairement aux nôtres, cette musique était fraîche et nouvelle. La moindre phrase est répétée au minimum trois fois. De plus, le livret comporte plusieurs scènes et dialogues qui ne font pas avancer l’intrigue.
« Mais c’est cela, l’opéra! », nous lançait un importun (et parfait inconnu) intervenant dans la conversation, à l’entracte, alors que nous faisions remarquer ces redondances.
Non.
De fait, si les opéras sont souvent objectivement longs, cette longueur ne se fait pas toujours sentir également. C’est d’une longueur subjective dont on discute ici. Tout dépend de la musique, du livret, et de la mise en scène. On n’aurait pas idée de se plaindre de la longueur de Don Giovanni, par exemple, car l’œuvre est si géniale que l’on ne s’ennuie jamais.
Malgré ce bémol tout à fait relatif au seuil de tolérance, au goût et à l’état d’esprit de chacun au moment du spectacle, cette Cenerentola vaut largement le détour et promet une soirée remplie de rires, de satisfactions musicales et d’émerveillement. Ce n’est pas rien.
Prochaines représentations de La Cenerentola : 14, 16 et 18 novembre, 19 h 30, Wilfrid-Pelletier.
VOUS AVEZ AIMÉ CET ARTICLE? Lisez aussi:
Julie Boulianne : le plaisir de faire évoluer un rôle
Le Baron tzigane: aventure, rires et musique.