Après le succès du premier Edgar et ses fantômes, c’était tout un défi de lui donner une suite. Ce défi a été relevé avec intelligence dans une nouvelle pièce peut-être moins drôle que la première mais plus émouvante, avec quatre fabuleux acteurs dans les rôles des fantômes. Un spectacle divertissant et très réussi, à ne pas manquer si on aime la musique et le théâtre.
La première était présentée hier soir à la salle Pierre-Mercure devant une salle comble, où l’on a pu voir bon nombre d’acteurs québécois, mais peu de représentants du monde musical classique.
Spécifions d’emblée qu’il n’est absolument pas nécessaire d’avoir vu la première pièce pour apprécier celle-ci. Alors que dans la version originale, Edgar Fruitier recevait la visite de Bach, Mozart, Beethoven et Erik Satie dans son salon, cette fois, il fera la rencontre de Verdi, Haydn, Tchaïkovski et Gershwin, en compagnie de l’animatrice et claveciniste Catherine Perrin, qu’il désigne comme sa relève. Cet aspect sera d’ailleurs souligné plusieurs fois de manière peu subtile, notamment lorsque Gershwin et Haydn la soulèveront de terre pour la porter comme un héros sportif à la fin d’un match. Ça ira, on a compris le message.
Edgar et Catherine se retrouvent donc dans un magasin de disques au bord de la faillite que le comédien et mélomane de 87 ans vient de racheter pour loger ses fantômes. En effet, depuis la pièce originale, il se dit hanté par tous les compositeurs qui envahissent sa maison.
L’orchestre, très présent tout au long du spectacle, s’installe dans des gradins qui occupent le fond du décor, ce qui nous permet de bien voir les musiciens. Ils sont 26, dirigés par le brillant Jean-Pascal Hamelin.
Sébastien Dhavernas
Le premier compositeur à entrer en scène est Verdi, joué par Sébastien Dhavernas, qui s’avère extraordinairement juste et crédible dans son rôle. Il campe un Verdi orgueilleux, légèrement fanfaron, imbu de son importance mais sensible et drôle, jamais caricatural. On y croit à 100%. Il en ira de même des trois autres. Jean-François Blanchard est digne et touchant en Tchaïkovski, et sera en quelque sorte l’antagoniste de Verdi tout au long de la pièce, jusqu’à une attendrissante réconciliation finale.
Quelques longueurs
En incluant l’entracte, le spectacle dure près de trois heures, ce qui est presque aussi long qu’un opéra. Dans l’ensemble, la pièce aurait plus d’impact si on lui retranchait une quinzaine de minutes, car certains dialogues s’étirent en longueur, d’autant plus que l’on multiplie les extraits musicaux pour illustrer les dires des personnages. On pourrait aussi soustraire deux ou trois extraits musicaux sans que le tout en souffre, par exemple la Valse de la Sérénade pour cordes, de Tchaïkovski, qui allonge inutilement le second acte.
Ces longueurs entraînent évidemment des défis de mise en scène, car il faut bien faire bouger les personnages pour meubler ces moments. On a donc parfois l’impression que ceux-ci se déplacent simplement pour éviter que le tout soit trop statique, sans que ces déplacements aient un sens, et ce n’est pas la faute de la metteure en scène Michèle Deslauriers. Elle fait un excellent travail avec le texte qu’on lui a donné, et apporte également de brillantes trouvailles, comme le « combat » des pires critiques entre les compositeurs, montré un peu à la façon d’un match de boxe…ou d’improvisation, ainsi que l’utilisation d’une vraie boîte à surprise, pendant l’extrait de la symphonie du même nom, de Haydn.
Parlant du texte d’Emmanuel Reichenbach : celui-ci est très bon, recherché, truffé de mots d’esprit et de blagues assez drôles, surtout en deuxième partie, mais ses intentions didactiques sont trop évidentes à quelques occasions. Sa plus grande force est qu’il démontre l’aspect humain le plus intéressant dans l’histoire de chacun de ces personnages, et qu’il en fait ressortir les côtés émouvants, merveilleusement portés par les acteurs. Il pourrait simplement se résigner à prendre les ciseaux pour couper encore quelques répliques, sachant qu’écrire, c’est choisir.
Gilbert Lachance et Antoine Durand
La partie la plus réussie et la plus vivante de la pièce est la première moitié du second acte, avec Georges Gershwin joué par un Gilbert Lachance éblouissant. Quel artiste charismatique et polyvalent! Il ne fait pas que jouer, il chante, il danse et joue fort bien du piano. Ce ne sera pas toujours parfaitement ensemble dans la partie qu’il joue avec l’orchestre, mais cela fait sourire plus qu’autre chose, car on sait bien qu’il n’est pas pianiste de concert.
Antoine Durand, pour sa part, n’a pas la tâche facile en Haydn, car son rôle est le plus ingrat des quatre. Associé à l’époque classique et donc, forcément, à Mozart, il n’a cependant pas pour lui tout le mythe du personnage mozartien amplifié par le film Amadeus de Milos Forman.
Dans le premier Edgar, André Robitaille reprenait à merveille des traits de cette personnalité bouffonne dépeints au cinéma, et il était hilarant. Le personnage de Beethoven, quant à lui, pouvait s’incarner dans son caractère bouillant. Mais Franz Joseph Haydn, élégant compositeur de cour? Tâche ingrate s’il en est une. Antoine Durand, fort charmant et attachant dans ce rôle, s’en tire donc admirablement, étant donné que l’auteur ne lui a pas donné des lignes aussi intéressantes qu’aux autres, dont les vies ont été plus dramatiques. Il tombe toutefois dans le piège, à l’occasion, de pousser des petits cris aigus comme le faisaient Robitaille (et Tom Hulce, au cinéma) en Mozart.
Catherine Perrin
Sachant qu’elle n’a pas de formation d’actrice et peu d’expérience du jeu scénique, Catherine Perrin se débrouille très bien. Un peu laborieuse dans les dix premières minutes, ce qui se comprend, car elle brise la glace, sa prestation devient de plus en plus naturelle et intéressante à mesure que la pièce avance. Si elle n’a pas la posture, l’aisance corporelle et la diction d’une comédienne de carrière, en femme intelligente et sensible, elle est tout à fait à sa place dans la pièce et joue son rôle (celui d’elle-même!) avec conviction. Parions qu’elle sera encore meilleure après quelques représentations, car elle prendra de l’assurance.
Deux chanteurs, le ténor Keven Geddes et la soprano Myriam Leblanc, membres de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal, apportent énormément de beauté et de profondeur artistique à la pièce. Chacune de leurs interventions est réjouissante. Myriam Leblanc est magnifique, tant par sa voix chaleureuse que sa forte présence sur scène et son charisme inouï. Kevin Geddes interprète l’Aria de Lenski, tirée d’Eugène Onéguine, de façon musicale et sentie.
L’orchestre, dirigé par Jean-Pascal Hamelin, est très professionnel et précis. Avec une douzaine de musiciens aux cordes, une douzaine de vents et un percussionniste, il est certain que la sonorité n’a pas l’ampleur d’un grand orchestre mais le petit ensemble se montre à la hauteur de la tâche qui lui est confiée.
On a toujours autant de plaisir à écouter parler Edgar Fruitier, dont la voix, comme un grand vin, semble se bonifier avec l’âge. Son rôle, dans cette nouvelle pièce, est plus discret que dans la première, mais il en demeure l’âme. Ce sera lui qui conclura la pièce par un court monologue émouvant au point de tirer quelques larmes à tous ceux qui se sont attachés, au fil des décennies, à ce personnage unique du monde culturel québécois.
Edgar 2 et ses fantômes se poursuit jusqu’au 29 octobre 2017 à la salle Pierre-Mercure et sera présenté au Grand Théâtre de Québec du 28 novembre au 2 décembre.
VOUS AVEZ AIMÉ CET ARTICLE? Lisez aussi:
Alexandre Tharaud: « Je suis un véritable fan de Barbara depuis l’adolescence« , par Caroline Rodgers
Claude Arnold Thibeault, enseignant retraité de Joseph-François Perrault: « L’important, c’est d’être heureux« , par Béatrice Cadrin.