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ESSAI | Tosca: une tragique continuité

Par Hélène Dorion le 22 septembre 2017

carpia place Tosca devant le choix de se donner à lui ou de voir mourir Mario. Elle résiste et l’implore de ne pas l’obliger à céder à cet odieux chantage. (Crédit photo: Yves Renaud)
Scarpia place Tosca devant le choix de se donner à lui ou de voir mourir Mario. Elle résiste et l’implore de ne pas l’obliger à céder à cet odieux chantage. (Crédit photo: Yves Renaud)

La chronique « auteur invité » permet à des écrivains, poètes, musiciens, artistes et personnalités d’explorer des sujets qui les intéressent. Cette semaine, Hélène Dorion, écrivaine et poétesse récompensée de plusieurs prix, dont celui du Gouverneur général du Canada, s’intéresse à l’opéra Tosca, de Puccini, et à ses échos dans notre société moderne.

Nous sommes en constante transformation, notre monde l’est aussi. Les œuvres créées dans un passé même lointain reviennent nous dire autrement le présent dans lequel nous vivons, en plus d’enrichir et de réinventer le lien que nous entretenons avec elles.

L’une des forces des grandes réalisations artistiques, c’est de pouvoir être revisitées. Tosca fait partie de ces opéras dont le temps n’altère ni l’intensité ni la pertinence. Le poids de la religion, l’abus de pouvoir, les intrigues politiques – on pourrait se croire n’importe où, n’importe quand, au cœur de nos sociétés polluées par les manigances de toutes sortes, corrompues par la convoitise ou la vanité, dirigées par des élites qui inclinent vers le rapport de force plutôt que de chercher à instaurer un dialogue fécond avec le peuple.

Si l’opéra Tosca nous replonge en 1800, il nous amène aussi dans une réalité actuelle qui met en scène de nombreux éléments similaires.

Si l’opéra Tosca nous replonge en 1800, il nous amène aussi dans une réalité actuelle qui met en scène de nombreux éléments similaires. (Crédit photo: Yves Renaud)
Si l’opéra Tosca nous replonge en 1800, il nous amène aussi dans une réalité actuelle qui met en scène de nombreux éléments similaires. (Crédit photo: Yves Renaud)

Mario Cavaradossi, peintre et amant de Tosca, refuse d’avouer à Scarpia, chef de la police, qu’il a apporté son aide au prisonnier politique Cesare Angelotti qui s’était échappé du Château Saint-Ange. Voyant son amant torturé, Tosca finira par confesser sa complicité. Lorsqu’il apprend la victoire de Napoléon, Scarpia s’empresse de condamner à mort Mario et fait de Tosca celle qui décidera de son sort en acceptant ou non de se donner à lui pour une nuit.

*

Nous vivons au milieu de violences parfois criantes parfois sourdes, souvent répétées, toujours inacceptables. Nous sommes enfermés dans des structures sociales qui s’éloignent de plus en plus d’une démocratie véritable, sans doute différente de celle – irréaliste – qui « ferait parler les dieux » et dont avait rêvé Jean-Jacques Rousseau, mais qui tendrait à tout le moins à faire ressortir le meilleur de l’être humain.

Il y a dans Tosca de nombreuses formes de violence. La torture, l’assassinat, la fusillade, le suicide et la tyrannie sont parmi les plus virulentes et elles se succèdent durant les trois actes, en même temps que les thèmes – art, sexe, religion, politique – s’enchevêtrent de manière soutenue et efficace à l’intérieur d’une trame narrative dont la tension ne relâche pas.

*

Parmi d’autres violences – qui ont traversé tous les siècles jusqu’au nôtre – celle à laquelle on assiste au second acte est particulièrement saisissante. Scarpia place Tosca devant le choix de se donner à lui ou de voir mourir Mario. Elle résiste et l’implore de ne pas l’obliger à céder à cet odieux chantage.

Comment ne pas retrouver ici le souvenir de premières pages de journaux récents ; comment ne pas entendre résonner la voix de femmes qui dénoncent des violences physiques ou verbales en voyant cette scène troublante dans laquelle Tosca supplie Scarpia de gracier son amant, et clame haut et fort l’aversion et le dégoût qu’elle éprouve pour lui. Mais ce refus catégorique, ce rejet sans aucune ambiguïté ne font qu’attiser le fantasme de Scarpia et le rendre plus fiévreux. Il insiste avec arrogance :

 

Vos larmes étaient du feu

qui coulait dans mes veines et vos yeux,

qui me crient votre haine,

augmentent mon désir !

Comme vous me haïssez !

C’est ainsi, c’est ainsi que je vous veux.

 

Les spasmes de la colère ou les spasmes de la

passion…

 

Peut-on penser que l’émouvant Vissi d’arte contribue à faire naître chez Tosca l’élan nécessaire pour qu’elle choisisse de tuer Scarpia ? Ce serait là une manière emblématique d’affirmer à la fois que l’art et l’amour sont des centres intérieurs inaliénables, et que l’engagement artistique – tout comme l’engagement amoureux –  est une forme intrinsèque de résilience.

Tosca, c’est l’histoire de violences multiples, mais aussi celle de la résistance de deux artistes, ici une cantatrice et un peintre, qui symbolisent la capacité de l’art à se dresser contre toutes forces brutales ou abusives exercées envers l’humain et, plus près de nous, à témoigner de l’ultime liberté d’opposition que nous offre encore la démocratie, et à la mettre en acte.

L’Opéra Tosca, de Puccini, a encore une représentation à venir à l’Opéra de Montréal, le samedi 23 septembre, 19 h 30, salle Wilfrid-Pelletier.

Vous aimeriez, vous aussi, devenir auteur invité de Ludwig van Montréal? Écrivez à caroline@ludwig-van.com pour connaître les modalités.

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