
Des cinq finalistes présentant leur programme pour le Prix Mélodie hier soir à la salle Bourgie, le ténor colombien Laureano Quant était le seul à ne pas également faire partie des candidat·e·s sélectionné·e·s pour les demi-finales avec orchestre qui se tiendront mardi et mercredi soirs. Son passage au CMIM Voix 2025 s’est tout de même conclu en apothéose, puisque sa prestation a convaincu à la fois la direction de la salle Bourgie, qui lui a remis le prix Schubert, et le jury officiel du CMIM, qui lui a accordé le Prix Mélodie.
Le baryton d’origine colombienne quittera donc Montréal avec, d’une part, un prix de 10 000 $ offert en partenariat avec la Nawacki Family Foundation, et d’autre part, une invitation à revenir se produire à la salle Bourgie dans le cadre de l’intégrale des lieder de Schubert entreprise cette saison-ci. À en juger par sa prestation d’hier soir, cela devrait donner lieu à un récital mémorable : son interprétation du lied Der Doppelgänger était envoûtante. Le contrôle des couleurs vocales (le « längst » blanc et appuyé était déchirant) et la diction allemande claire servaient de soutien à une progression dramatique efficace dosée avec soin.
Le Schubert était le troisième numéro au programme de Quant. Il avait commencé par deux mélodies de Gerald Finzi, « Come Away, Death », également très prenant, et « Who is Silvia? », plus léger, toutes deux extraites de Let Us Garlands Bring. Restant dans le répertoire britannique, il a poursuivi avec Silent Noon de Ralph Vaughan Williams. À l’opposé du Schubert glauque qui allait suivre, ici le ton est empreint de tendresse. Sa prestation se concluait par trois extraits de Le travail du peintre de Francis Poulenc, soit « Georges Braque », « Juan Gris » et « Joan Miro », de brèves vignettes musicales typées.
L’ensemble de la soirée s’est déroulée à un niveau très élevé. Dès le début, la Russe Julia Muzychenko-Greenlargh a placé la barre haute. Elle a été magnifique dans « Apparition », tiré des Quatre mélodies de Debussy et Du bist die Ruh de Schubert. Par la suite, les mêmes effets de retenue de la voix dans l’aigu et de réchauffement progressif du vibrato, pourtant superbement exécutés, ont perdu un peu de leur intérêt parce que répétés avec trop de régularité. Sur papier, le choix de la pièce de Lied der Nachtigall de Franz Grothe – un air de colorature superficiel composé pour la trame sonore du film Die schwedische Nachtigall (1941) – semblait une idée étrange étirant la définition du genre de la Mélodie ou de l’Art Song, et l’exécution n’a pas réussi à contrer cette impression. Cela n’empêche pas Muzychenko-Greenlarch, lauréate du troisième prix au Concours Reine Élisabeth de 2023, d’être une chanteuse à la présence magnétique dont on réentendra sans nul doute parler.
La mezzo soprano Fleuranne Brockway présentait un programme savamment varié comprenant des mélodies d’inspiration espanole, du lied allemand, une pièce de Sibelius en norvégien (le numéro le moins réussi de son programme, selon moi) et des chants en anglais, dont Amor de William Bolcom, rempli d’humour et joué avec délice par l’interprète. Malgré toutes les énormes qualités techniques et musicales démontrées par Brockway, reconnues par le Prix du jury de la relève qui lui a été remis jeudi soir, je reste avec l’impression qu’il manque encore un petit quelque chose, qu’elle maintient un certain degré de distance avec les personnages qu’elle interprète.
Après la pause, Theodore Platt a de nouveau démontré sa sensibilité d’interprète et sa maîtrise comme exécutant. Les deux lieder de Schubert qu’il a choisis étaient d’expression moins dramatique que celui présenté par Laureano Quant, ayant pour résultat une exécution très réussie, à Je ne crois pas que le chanteur se soit rendu service en présentant le cycle entier La fraîcheur et le feu de Francis Poulenc constitué de sept courts numéros. Je dois vraiment dire que la musique de Francis Poulenc ne me semble pas un véhicule approprié pour un concours. La seule qui, à mon avis, en a exécuté une interprétation avec la couleur et l’intention appropriées a été la soprano Fanny Soyer. Par contre, Platt a fait preuve de programmation habile en enchaînant la simplicité quasi-folklorique et la (fausse) légèreté de The Lads in their Hundreds de George Butterworth avec le lyrisme intense dans le style spiritual de Prayer de H. Leslie Adams, dans lequel il a déployé toute la puissance et l’amplitude de sa voix vibrante.
C’est donc à Fanny Soyer que revenait le soin de clore la soirée. Elle l’a fait avec un programme éclectique qui incluait des airs de deux compositrices féminines canadiennes, Danika Lorèn et Jean Coulthard. De la première, Soyer a chanté l’air humoristique « Onions » tiré de The Sex Life of Vegetables. D’ailleurs, l’humour, le jeu exagéré et la légèreté proche de l’impertinence sont ce qui réussit le mieux à la soprano française. Les effets comiques intentionnellement ridicules de son interprétation de la Chanson du bébé de Rossini ont fait parfaitement mouche.
Prix de la meilleure interprétation d’une œuvre canadienne
Le Prix André-Bachand pour la meilleure interprétation d’une œuvre canadienne a été remis à l’Ukrainien Ihor Mostovoi, gradué de McGill maintenant installé à Paris, pour son interprétation de l’air « Mon souverain », extrait de La Reine-Garçon de Julien Bilodeau.
Demi-finales
Cette édition Voix du CMIM se poursuit à la Maison symphonique à partir de mardi pour deux soirées de demi-finales avec orchestre, dirigées par Patrick Summers.
Les candidat·e·s se produiront selon l’ordre suivant :
Mardi 3 juin, 19 h 30
Chanhee Cho, Corée du Sud
Fanny Soyer, France
Junho Hwang, Corée du Sud
Jingjing Xu, Chine
Katerina Burton, États-Unis
Mercredi 4 juin, 19 h 30
Fleuranne Brockway, Australie
Theodore Platt, Royaume-Uni
Julia Muzychenko-Greenhalgh, Russie
Ariane Cossette, Canada
Yewon Han, Corée du Sud
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