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CRITIQUE | Il trovatore à l'Opéra de Québec : sang, ténèbres et néon

Par Louisa Blair le 23 mai 2025

Jean-Sébastien Ouellette situe la version 2025 de l'Opéra de Québec d'Il trovatore dans un univers de science-fiction faisant référence à Star Wars et à Dune. (Photo : Jessica Latouche)
Jean-Sébastien Ouellette situe la version 2025 de l’Opéra de Québec d’Il trovatore dans un univers de science-fiction faisant référence à Star Wars et à Dune. (Photo : Jessica Latouche)

Le metteur en scène Jean-Sébastien Ouellette situe la version 2025 de l’Opéra de Québec d’Il Trovatore dans un univers de science-fiction faisant référence à Star Wars et à Dune, et peut-être à plusieurs autres films de science-fiction que je suis probablement la seule à ne pas avoir vus, mais peu importe! Au moins j’en ai vu les affiches.

Ainsi, le Conte di Luna (Hugo Laporte) et Manrico (Christophe Berry) se battent en brandissant des sabres lasers de façon inoffensive, comme des petits garçons jouant. Les religieuses sont habillées de voiles aux accents néon, et Azucena la gitane (Elena Gabouri) porte sur la tête un cercle lumineux rouge ressemblant aux anneaux que les gens agitent à des concerts rock. L’armée révolutionnaire est vêtue d’uniformes rappelant ceux des employés de Postes Canada, ce qui peut avoir du sens puisque la survie d’un système de messagerie gardant nos envois réellement privés risque de bientôt faire partie du domaine de la science-fiction.

L’un des défis de la mise en scène d’Il Trovatore est la gestion rapide et efficace des huit décors très différents pour éviter que les spectateurs·ices ne s’ennuient et ne sortent leur téléphone ou ne déballent bruyamment des bonbons. Le fait de situer chaque scène sur une planète différente projetée sur l’écran du fond, sans plus d’accessoires physiques que l’occasionnel bloc de faux béton à déplacer, a résolu ce problème. Nous déduisons de la descente d’un engin de type nacelle élévatrice dans un nuage de fumée bleue, au début de l’opéra, que c’est ainsi que les gens voyagent d’une planète à l’autre, bien que la façon dont les gitans peuvent se permettre d’acheter des billets de vaisseau spatial, ou d’ailleurs de recharger leurs coiffes néon, ne soit pas expliquée.

 

(Photo : Jessica Latouche)

Dans une entrevue récente avec Le Devoir, Jean-François Lapointe, le directeur artistique sortant à qui revient le choix de cette œuvre, estime qu’« aujourd’hui, ce qui est trop figuratif à l’opéra peut passer facilement pour vieillot » auprès des amateurs d’opéra. Pourtant, il est également possible que le public d’opéra d’aujourd’hui ressemble davantage aux publics italiens des années 1850, ou au premier public de Québec qui l’a vu seulement six ans après sa composition, et préfère un réalisme émotionnel fort dans un style plus littéral. Les publics d’aujourd’hui sont par ailleurs déjà inondés de films de science-fiction …

À première vue, il est beaucoup trop facile de se moquer de l’intrigue ridiculement horrible d’Il Trovatore. Azucena la gitane voit sa mère brûlée sur le bûcher, et en guise de vengeance, jette le fils du responsable sur le feu – mais hélas! elle jette par erreur son propre fils sur le feu à la place. Une autre femme (Leonora, chantée par Irina Stopina) couche avec l’homme qui lui fait la cour (Conte di Luna) pour sauver la vie de son véritable amour (Manrico, le Troubadour), puis prend un poison à action lente parce que… eh bien, qui sait pourquoi, vraiment? Quand elle annonce à Manrico qu’il est libre, celui-ci la réprimande d’avoir couché avec l’autre homme, jusqu’à ce qu’elle commence à mourir dudit poison à action lente, après quoi il se sent mal de l’avoir réprimandée. Finalement, il dit à Azucena, celle qui a jeté son bébé sur le feu et qui attend son exécution, qu’elle devrait vraiment essayer de dormir un peu – peut-être pour qu’elle soit bien reposée pour son exécution? Voilà justement ce qui a attiré Verdi dans la pièce de Gutierrez – l’étrangeté, la bizarrerie exotique, et l’accumulation d’une émotion insupportable après l’autre, comme de l’huile sur le feu.

Une histoire avec de telles contorsions absurdes d’amour passionné, de jalousie, de vengeance meurtrière et de sacrifice qui font passer Sophocle pour Dr Seuss ne peut transmettre sa puissante charge émotionnelle que lorsqu’elle est interprétée de façon convaincante. Cet aspect est si difficile à réaliser que Caruso a dit (intimidant ainsi tous les chanteurs de Trovatore pour le reste de l’histoire) que la seule façon d’y arriver est de recruter les quatre plus grands chanteurs du monde. Seules les personnes qui chantent Verdi depuis des années peuvent le faire, et seulement si elles s’entraînent longtemps et assidûment.

La voix de Christophe Berry était stellaire. Elena Gabouri, consumée par un feu intérieur, a communiqué un authentique sentiment de passion dans les registres aigus et graves, bien que la transition fluide entre les deux lui ait échappée. Hugo Laporte et Irina Stopina étaient tous deux incroyables. Cependant, j’ai l’impression qu’il n’y a pas eu assez de répétitions scéniques pour cette production – ou peut-être trop de temps passé à ajuster les néons et les machines à fumée. Les nuages de mousseline blanche et de fibres arachnéennes dissimulant Irina Stopina distrayaient de son chant et de son jeu divins. Le jeu des hommes, à l’inverse, était rigide : la plupart des arias étaient magnifiquement chantées, mais dans une position statuaire directement face au public, au coût de l’expression de leur humanité, c’est-à-dire de leur amour, de leur haine, de leur souffrance. L’émotion éveillée par une scène d’amour maladroite au sommet d’une cage en fil de fer se limitait à l’inquiétude de voir les chanteurs tomber dans la fosse d’orchestre. En termes de jeu d’acteur, le seul amour auquel j’ai vraiment cru était celui entre Manrico et sa mère non-biologique Azucena.

Heureusement, la musique, admirablement interprétée par Federico Tibone et l’Orchestre symphonique de Québec, aide à structurer le drame et à le faire progresser de manière inéluctable. Malgré quelques interférences planétaires, le feu, le sang et la passion étaient bien au rendez-vous.

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Louisa Blair
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