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CRITIQUE | Colorature au lit : Le Comte Ory de Rossini à l'Opéra de Québec

Par Louisa Blair le 4 novembre 2024

(Photo : Michel Gagné)

par Louisa Blair

Dimanche, à la tombée finale du rideau lors de l’ultime représentation du Comte Ory de Rossini – la première production de grande envergure de cet opéra à Québec –, les artistes semblaient heureux·ses mais épuisé·e·s. Et on comprend bien pourquoi : loin de s’en tenir à des scènes de groupe statiques ou à des gestes timides, les interprètes ont exploré les limites d’une débauche survoltée, en passant par le cancan, le déculottage, les rots, l’ivresse titubante, l’évanouissement et les scènes d’amour, alternativement et consécutivement, avec un homme, une femme, et une femme déguisée en homme, tous dans le même lit. Chanter une aria colorature flamboyante à la Rossini tout en exécutant une scène de ménage à trois énergique constitue un exploit que peu pourraient (ou voudraient) imiter.

Heureux·ses, ils et elles avaient toutes les raisons de l’être, car l’ensemble venait de conclure une prestation à la fois drôle et magnifique. À part la très longue chanson des nonnes ivres, qui aurait bénéficié de coupures ou d’une mise en scène plus vivante, le spectacle était rythmé et divertissant. Les toiles du décor somptueux de Bruno de Lavenère, inspirées des tapisseries médiévales, foisonnaient de végétation luxuriante, de licornes, et de jeunes filles fleuries (dont la poitrine picturale n’échappait pas aux tripotements lubriques du comte Ory) devant un château de style légèrement disney-esque.

L’histoire, inspirée d’une ballade médiévale picaresque, est aussi follement grivoise que le Décaméron de Boccace, et se moque sans pitié de la fascination parisienne de l’époque (en 1828, peu après la restauration de la monarchie) pour tout ce qui touche au Moyen Âge, en particulier l’église et l’amour courtois.

Le Comte Ory, interprété de manière hilarante et athlétique par Philippe Talbot, est un redouté séducteur de femmes – ou, pour ne pas tourner autour du pot, devrions-nous dire un violeur? (Dans une aria, il déclare : « Je ris d’avance / De sa défense, / La résistance est de rigueur… / Puis l’heure arrive / Où la captive, / Faible et plaintive, / Cède au vainqueur. »). Il se fait passer pour un ermite mystique afin de séduire la noble Comtesse Adèle (Judith Fa, experte en colorature, au lit comme ailleurs). Les femmes du village, qui ont juré chasteté pendant que leurs maris tuent les infidèles en Palestine durant les Croisades (difficile de trouver une histoire moins politiquement correcte), se réfugient dans le château de la Comtesse pour se protéger. La première tentative d’Ory de franchir la forteresse échoue grâce à son page Isolier, incarné avec grâce et subtilité par Florence Bourget, élégante, également amoureuse de la Comtesse.

Loin de se décourager, Ory monte une seconde attaque en se déguisant, lui et ses chevaliers, en nonnes et en suppliant la Comtesse de les mettre à l’abri – de nul autre que du comte Ory lui-même. La Comtesse ne peut refuser, d’autant plus qu’une tempête rossinienne s’abat – Rossini est doué pour les tempêtes – et tout se poursuit ensuite dans une débauche d’exubérance dépassant les attentes. Tandis que les fausses nonnes barbues s’enivrent avec le vin de la cave et imposent leur volonté tordue aux femmes du couvent, le Comte Ory se retrouve dans le lit de la Comtesse, sans se douter qu’Isolier y est aussi. Ils parviennent de justesse à démêler leur ménage à trois joyeusement scandaleux lorsque les Croisés reviennent, et Isolier aide le Comte Ory et ses chevaliers à s’échapper par un passage secret.

Dans le contexte québécois et la spécificité de son histoire religieuse, je pensais que la satire de l’église par Rossini prendrait une résonnance particulière. Pourtant, le metteur en scène Jean-Romain Vesperini, qui affirme que c’est grâce à cette œuvre qu’il est tombé amoureux de l’opéra, a choisi de déguiser Ory en une sorte de chamane-rockeur plutôt qu’en moine-ermite, avec un crâne de loup sur la tête et des cheveux longs et sauvages (cet accoutrement n’étant qu’un parmi le lot de merveilleux costumes conçus par Alain Blanchot).

Rossini, dans cette deuxième comédie et troisième œuvre en français, se plagie lui-même (et pourquoi diable s’en empêcherait-il?) en reprenant beaucoup de la superbe musique d’un opéra éphémère qu’il avait écrit pour le roi Charles X. L’orchestre et le chœur, sous la direction de Laurent Campellone, nous ont offert de nombreux moments d’excellence : l’ouverture, qui évoque des gens marchant sur la pointe des pieds (bien qu’une légende veuille que Rossini aie composé cette musique en pêchant, et que le résultat pourrait tout autant représenter des poissons mordillant à l’hameçon); le grand et diaboliquement difficile final de l’acte I (« Ciel! Ô terreur! Ô peine extrême! »); le quartuor de barbiers masculins hors scène pendant la tempête; une prière a cappella soudainement solennelle au milieu de la fête lorsque Dame Ragonde, la « videuse » de la Comtesse (Julie Pasturaud) vient surveiller les invités (« On vient. Silence! »).

Julien Véronèse, excellent dans le rôle du précepteur du comte, a su infuser son aria sur l’honneur de servir le Comte (« Veiller sans cesse ») d’un débordement de sarcasme. Certaines des chansons (du librettiste Eugène Scribe) sont sans prix (« Ah ! Quel respect, Madame, pour vos vertus »), tandis que d’autres surprennent par leur sérieux : l’aria de la Comtesse sur la dépression (« En proie à la tristesse ») et son dialogue avec Ory sur l’amour (« Ce téméraire qui croit nous plaire ») sont de vrais joyaux. La mise en scène de Vesperini capte parfaitement le subtil équilibre entre naïveté, ruse, sérieux et ironie qu’exige cette musique.

Espérons que l’Opéra de Québec soit en mesure de poursuivre encore longtemps sa mission de nous présenter des opéras de cette qualité, ne serait-ce que pour avoir l’occasion de revoir les cinq solistes faisant leurs débuts à l’Opéra de Québec – Philippe Talbot (Comte Ory), Jean-Kristof Bouton (Raimbaud, son entremetteur), Judith Fa (Comtesse Adèle), Julie Pasturaud (Dame Ragonde, sa videuse), et Florence Bourget (Isolier), tous des chanteurs·euses exceptionnel·le·s – monter de nouveau sur la scène de la salle Louis-Fréchette.

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Louisa Blair
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