Comme le savent nos lectrices et lecteurs, Ludwig van Montréal a déjà publié la semaine dernière une réaction de la musicologue et critique musicale Catherine Harrison-Boisvert à la critique parue le 23 janvier dans Le Devoir. Aujourd’hui, c’est à des membres de la communauté noire de Montréal et musicien·ne·s professionnel·le·s que nous donnons voix en publiant une lettre ouverte rédigée par des membres et allié·e·s de l’Ensemble Obiora.
En tant que représentant·es· et ami·e·s de l’Ensemble Obiora, nous estimons nécessaire de réagir à la critique récente de Christophe Huss, intitulée Fantasia et le déclin de l’empire symphonique publiée le 23 janvier dernier, dans le quotidien Le Devoir.
La notoriété de ce critique, fin connaisseur de la scène classique locale et internationale, ne justifie pas pour autant des propos qui minimisent la légitimité du violoniste afro-américain Randall Goosby au prétexte qu’il aurait été invité par l’Orchestre symphonique de Montréal pour répondre aux « diktats » d’une politique EDI ― Équité, Diversité, Inclusion — et satisfaire les bailleurs de fonds.
Contrairement à ce qu’il affirme, le jeune prodige n’a pas « déboulé » subitement, en octobre 2020, à 24 ans, « comme nouveau violoniste Decca ». Son talent a déjà été reconnu par des critiques éminents du New York Times et du Los Angeles Times. En affirmant que Goosby avait « totalement échappé aux radars précédemment » et qu’ « il y a une bonne demi-douzaine de violonistes qui jouent le Bruch aussi bien et avec plus d’aura et de charme », les propos de monsieur Huss laissent entendre qu’il n’aurait pas sa place sur une scène prestigieuse, une affirmation infondée.
Que monsieur Huss critique la prestation n’est pas en soi problématique, c’est son métier. Toutefois, ce qui est outrant dans la critique, c’est le fait qu’il rabaisse la participation de ce jeune prodige à la couleur de sa peau et à sa diversité. Enfin, il estime qu’advenant une programmation de concerts visant les politiques d’EDI, il ne faut pas s’étonner de voir des réductions de concerts comme l’a décidé l’Orchestre Métropolitain.
L’idée selon laquelle Goosby se produise sur scène pour des raisons autres que son talent est donc offensante. Une telle préconception reflète des biais qui ont historiquement exclu les artistes issu.e.s de la diversité et explique en partie l’effacement des figures noires dans l’histoire de la musique classique jusqu’à ce jour, comme l’a documenté le compositeur Gabriel Dharmoo dans son étude « Reflets de la colonialité dans la scène des musiques nouvelles» publiée en 2019, dans la Revue canadienne de musique.
Le discours selon lequel Goosby a bénéficié d’un traitement de faveur en raison de son appartenance ethno-culturelle et autres critères de sélection iniques, contribue à perpétuer l’idée fausse selon laquelle les artistes appartenant à des groupes sous-représentés, doivent constamment justifier leur place. C’est un message clair à leur attention, leur indiquant insidieusement que la musique classique demeure un univers fermé et élitiste, alors que celle-ci devrait refléter les valeurs d’universalité de la société canadienne et de ses futures générations.
L’équité, la diversité et l’inclusion ne sont ni une mode passagère, ni un compromis sur la qualité musicale. L’excellence demeure le critère premier de sélection, et aucun·e soliste ou musicien·ne d’orchestre ne bénéficie de favoritisme, quel que soit son parcours, nonobstant le contexte de sous-représentation des artistes issu·e·s de la diversité dans le milieu de la musique classique et les obstacles systémiques auxquels font face certain·e·s artistes.
Depuis sa fondation fin 2021, l’Ensemble Obiora, premier ensemble de musique classique canadien basé à Montréal composé essentiellement de musicien·ne·s professionnel·le·s dit·e·s issu·e·s de la diversité culturelle, est fier de mettre en lumière de nombreux talents sur la scène de la musique classique et de programmer des œuvres de compositeurs·trices de différentes origines dont la musique est méconnue ou peu considérée.
En ce Mois de l’histoire des Noir·e·s, il apparaît particulièrement primordial pour l’Ensemble Obiora et ses allié·e·s — à l’instar de l’Orchestre symphonique de Montréal qui vient d’implanter le programme éducatif El Sistema dans la métropole sous l’impulsion de maestro Payare — de démontrer que la représentation multiculturelle est salutaire pour le bénéfice du milieu des arts et celui du grand public qui est appelé à se diversifier.
Que cela plaise ou non à certain·e·s, la venue de ce prodige à la Maison symphonique a été un privilège pour les mélomanes qui ne sont pas uniquement des spectateurs·trices, mais aussi des défenseurs·euses et porteurs·euses de valeurs. Enfin, pour paraphraser la thématique du Forum EDI*, organisé par le Réseau québécois pour l’équité, la diversité et l’inclusion (RQEDI) les 6 et 7 février, à HEC Montréal, il faut savoir « naviguer et collaborer dans un monde en mouvement »!
(*) Forum des organisations en EDI: Naviguer et collaborer dans un monde en mouvement (édition 2025), les 6 et 7 février 2025 à HEC Montréal.
Signataires:
Allison Migeon, Co-fondatrice et directrice générale de l’Ensemble Obiora
Brandyn Lewis, Co-fondateur et directeur artistique de l’Ensemble Obiora
Membres du conseil d’administration de l’Ensemble Obiora
Katherine Carleton, directrice générale d’Orchestres Canada
Bibiana Pulido, directrice générale du Réseau Québécois pour l’équité, la diversité et l’inclusion
Suzanne Tafflot, soprano et avocate
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