L’Orchestre Classique de Montréal et l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal présentaient hier soir à la salle Pierre-Mercure deux courts opéras de chambre d’atmosphère complètement opposées, La serva padrona de Pergolesi et The Medium de Menotti.
La serva padrona
Cette histoire comique racontant les manigances d’une servante émancipée pour se faire épouser par son patron a été jouée et chantée avec une délectation évidente par ses deux interprètes principaux Sophie Naubert et Jamal Al Titi, soutenus par la présence colorée d’Angelo Moretti dans le rôle muet du serviteur complice.
Al Titi en particulier a su exploiter les réactions comiques de son personnage Uberto sans tomber dans le cabotinage ou la caricature. Doté d’une voix admirablement chaude et agile, le baryton d’origine biélorusse se joue des difficultés posées par des airs comme « Son imbrogliato » , dont le caractère agitato exprime le va-et-vient intérieur dans lequel se débat Uberto.
Sophie Naubert fait aussi excellente impression vocalement en Serpina. Sa voix gagne encore en couleurs et en timbres dans les registres supérieurs. L’impertinence inlassable de son personnage le rendait un peu unidimensionnel, d’autant plus que la chanteuse se rabattait souvent sur les mêmes mimiques. Le duo où Serpina prétend vouloir épouser un capitaine militaire lui donnait enfin l’occasion de varier un peu son registre de jeu, alternant entre les implorations exagérées et les apartés moqueurs.
François Racine a créé une mise en scène effervescente et ludique, exploitant adroitement la largeur de l’avant-scène mise à sa disposition sans que l’absence de profondeur ne soit ressenti comme un manque (l’orchestre était installé dans le fond de la scène, privant les solistes de cet espace pour le jeu).
The Medium
Avec cet opéra de Menotti, on se déplace dans un univers sombre empreint de surnaturel. Le drame en deux actes a plus d’un point en commun avec The Turn of the Screw de Benjamin Britten (le Menotti précède en fait le Britten de dix ans) : une unité en vase clos formée de deux enfants et d’une adulte, une situation relativement anodine glissant progressivement vers un dénouement tragique à travers l’emprise croissante du surnaturel, l’emploi de chansons enfantines pour accentuer le contraste entre l’innocence et la menace.
Mieux connu pour Amahl and the Night Visitors et The Consul, Menotti fait preuve de doigté dans l’orchestration et dans l’agencement des instruments de l’orchestre de chambre, formé du quintette de cordes, d’un sextuor de vents, de deux pianos et de percussion.
La prestation fougueuse de Camila Montefusco dans le rôle titre confirme l’impression favorable recueillie lors du concert d’ouverture de l’Atelier lyrique. La jeune chanteuse amplifie le pouvoir émotif de sa voix magnifiquement timbrée par la qualité de sa présence scénique et le naturel de son jeu. Échevelée, elle donne libre cours à la colère disjonctée et létale de la medium prise à son propre jeu, sans jamais perdre le contrôle de sa voix.
Bridget Esler est plus stoïque dans le rôle de sa fille Monica, mais s’anime dans ses interactions compatissantes avec l’orphelin muet Toby (Ian Sabourin, volontairement maladroit). Sa voix charnelle a un peu trop de corps pour les interventions fantomatiques des fausses séances organisées par sa mère. D’une certaine façon, cela peut accentuer l’absurdité de la foi inébranlable des clients M. et Mme Gobineau (Mikelis Rogers et Chelsea Kolic, bien assortis dans leurs rôles de parents éplorés) et Mme Nolan (Justine Ledoux, touchante).
Chef et orchestre
La gestuelle de direction de Simon Rivard est caractérisée par un mouvement soutenu donnant de la substance au son. Contrairement à d’autres chefs, l’espace entre les temps est toujours habité, ce qui lui donne un meilleur contrôle sur ce qui émane de l’orchestre. Rivard a manifestement confiance en ses instrumentistes : adepte de longues lignes, il n’hésite pas à abandonner les temps pour caresser l’air d’un long geste, même dans des passages où ce choix est de prime abord surprenant.
L’orchestre a bien géré le changement de style entre l’intermezzo baroque léger et humoristique, et l’opéra dramatique du début du XXe siècle. Si les cordes graves de la basse continue étaient par moment légèrement trop présentes dans le Pergolesi, au contraire les cordes aigues ont manqué de substance au début du Menotti, chose qui s’est rétablie avec bonheur par la suite. L’ajout des cuivres dans le Menotti y rendait l’équilibre avec les voix plus précaire que dans le Pergolesi.
Une soirée très réussie confirmant la pertinence de cette collaboration OCM / Atelier lyrique.