À 83 ans, le gambiste et chef d’orchestre Jordi Savall continue de parcourir le monde avec ses programmes méticuleusement recherchés : Les larmes et le feu des Muses, le programme qu’il vient présenter à Québec et à Montréal les 6 et 7 octobre, sera présenté 29 fois dans plus de dix pays.
L’idée de ce programme centré autour de Monteverdi, un des plus grands compositeurs de tous les temps selon Savall, est née à partir d’une contemplation des différentes lachrymae de la série Seven Teares de John Dowland. Dowland lui-même souligne dans la dédicace de l’œuvre que les larmes ne sont pas que signes de tristesse, mais sont parfois provoquées par la joie. De même, Savall juxtapose dans son programme la passion et la joie – le feu – à la mélancolie et au deuil – les larmes.
Le musicien catalan a colligé des œuvres de Monteverdi, Scheidt, Holborne, Dowland et de Gorzanis dans le style nuove musiche. Ce langage plus expressif initié par Caccini en 1602 accorde une importance primordiale à la parole, par opposition au contrepoint sophistiqué dont les multiples voix enchevêtrées embrouillent le texte. Cette clarification du texte est appuyée par une mise en musique s’attardant à chaque nuance de chaque parole, dont la version à 5 voix de Lamento d’Ariana de Monteverdi, incluse dans le programme, est un exemple achevé.
Pour ce programme, Jordi Savall sera à la tête d’une formation de onze musicien·ne·s, dont cinq chanteurs·euses de La Capella reial de Catalunya et six instrumentistes de l’ensemble Hyspèrion XXI, qui célèbre cette année son cinquantième anniversaire.
Entre espoir et consternation
Le musicien avoue vaciller lui-même entre les larmes et le feu, bouleversé par le sentiment que le monde contemporain perd tout idéal d’humanité. Les guerres en Ukraine et au Moyen Orient le troublent profondément, et il s’inquiète de l’état des jeunes générations, dont il perçoit la détresse provoquée par la prolifération de contenu négatif sur les réseaux sociaux. « Nous avons plus que jamais besoin de choses qui nous élèvent. L’humain est à son meilleur quand il élève son côté spirituel, et la musique est le meilleur moyen qui soit de vivre richement cette dimension qui nous fait monter vers le ciel. » C’est dans la musique que lui-même puise espoir : « La grande force de la musique est de nous guérir. »
Malgré tout, l’octogénaire se dit heureux dans son métier. « Je suis tout à la fois convaincu d’avoir fait quelque chose de valeur, et déprimé de ne pas pouvoir aider plus, » admet-il. Il est conscient de ses limitations à l’instrument apportées par l’âge. C’est d’ailleurs pourquoi il dirige de plus en plus. Heureusement, il perçoit volontiers les avantages de l’âge : « Il y a un chemin à faire entre jouer très vite et très fort, et la profondeur qui vient avec l’âge. »
Liée à ce sentiment de vouloir faire plus est l’obligation qu’il ressent de transmettre son expérience. D’ailleurs, il est très heureux de constater la vitalité de la relève en viole de gambe. Il a également instauré l’Académie professionnelle du Concert des Nations (Youth Orchestra and Chorus Professional Academy), dont les jeunes stagiaires sélectionné·e·s par voie d’audition participent à deux ou trois projets annuels sous sa direction. « L’atmosphère est extraordinaire. Nous passons deux semaines sur chaque programme pour prendre le temps d’aller aux sources. Les jeunes sont très enthousiastes. »
Inquiétude
Le vétéran du circuit des concerts s’inquiète par ailleurs de l’avenir des organismes artistiques, sentant le modèle des subventions en danger. « Les conditions actuelles sont une lutte constante – mais dans la vie, il faut toujours lutter. »
C’est à notre profit comme public que Jordi Savall n’ait jamais baissé les bras devant la lutte et qu’il continue de nous offrir sa musique porteuse d’espoir et de guérison.
LE 6 OCTOBRE, 16 H, PALAIS MONTCALM; LE 7 OCTOBRE, 19 H 30, MAISON SYMPHONIQUE DÉTAILS ET BILLETS
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