
Que ce soit pour s’y rafraîchir quand la chaleur est insupportable ou pour s’y réfugier quand il pleut des trombes, le cinéma est une sortie appréciée en temps de vacances. Les mélomanes-cinéphiles seront sûrement intrigué·e·s par le film Bolero d’Anne Fontaine, présentement à l’affiche à Montréal au Cinéma Beaubien et au Cineplex Odeon Quartier latin.
Le film se penche sur la lente gestation de ce qui est devenu un des plus grands hits de la musique classique. Il ne s’agit pas d’un biopic, bien que la scénarisation soit inspirée de la biographie de Maurice Ravel publiée par Marcel Marnat en 1986. Certains éléments sont bien authentiques, – volonté de Ravel de s’enrôler lors de la Première guerre et son affectation comme ambulancier, qui le marquera profondément, échecs répétés au Prix de Rome, rôle de la danseuse Ida Runbinstein comme commanditaire du ballet, maladie dégénérative en fin de vie qui l’empêche de composer et décès des suites d’une opération au cerveau – mais la relation platonique qu’il entretient dans le film avec Misia Sert (Doria Tillier) est certainement exagérée, servant principalement à illustrer la réserve émotive et physique du compositeur.
La grande réussite du film est de nous plonger dans un monde pré-Bolero, de nous faire oublier que nous, en tant que spectateurs·rices, sommes plus que familiers avec le ver d’oreille qui résultera du lent processus raconté à l’écran. À plusieurs occasions, le personnage de Ravel, joué avec une magnifique retenue par Raphaël Personnaz, est mis en contact avec des séries de sons ou des chansons populaires portant de vagues ressemblances avec le Boléro final, mais la réalisatrice évite de le faire réagir par un éclair soudain dans les yeux, un redressement de la tête, ou même la notation frénétique d’une idée sur un calepin de notes, ce que nous avons tous vu trop souvent dans des films moins subtils. Au plus dirige-t-il un bruit de machinerie d’un mouvement de la main. Ravel a beau dire, « Je crois à quelque chose qui doit surgir, une idée… », la réalisatrice contredit son personnage principal en nous montrant que cette idée ne surgit pas toute seule et que le compositeur lui-même ne se rend pas compte de toutes les sensations emmagasinées qui l’auront nourrie au moment de son « surgissement ».
Un deuxième aspect réussi est la crédibilité de l’acteur lorsqu’assis au piano ou dirigeant l’orchestre. Dans le cadre de sa préparation, Personnaz, qui a joué de la trompette dans des orchestres dans sa jeunesse, a suivi des cours de piano durant un an et s’est préparé à la direction d’orchestre durant 8 mois. Le fait que Ravel soit reconnu comme ayant été un chef d’orchestre plutôt médiocre joue à l’avantage de l’acteur : sa battue est suffisamment naturelle pour donner l’impression de quelqu’un qui baigne dans la musique quotidiennement, et suffisamment guindée pour coller à la personnalité du compositeur.
Dans la vraie vie, les pièces pour piano employées dans la trame sonore ont été enregistrées par Alexandre Tharaud, qui fait également quelques apparitions à l’écran en tant que Pierre Lalo, critique musical mal disposé envers les efforts compositionnels de Ravel.
Le film dévoile son propos délibérément, pour ne pas dire lentement par moments. Ne connaissant pas l’œuvre d’Anne Fontaine par ailleurs, je ne saurais dire si c’est une caractéristique de son langage cinématographique ou un choix venant appuyer le blocage dans lequel se trouvait Ravel par rapport à la composition du ballet commandée par Ida Rubinstein.
D’ailleurs, les personnages féminins abondent autour de Ravel, comme autant de satellites, toutes dévouées à cet homme de constitution délicate aux idées colossales. À part Rubinstein, jouée avec un certain degré de caricature par Jeanne Balibar, aucune ne possède réellement de dimension en-dehors du rôle qu’elle joue dans la vie du compositeur. Son seul vis-à-vis masculin est Cipa Godebski, le frère de Misia (Vincent Pérez rajeuni).
Pour la séquence finale, le film abandonne sa nature narrative et devient brièvement film d’art en présentant une séquence de danse exécutée par François Alu, danseur étoile de l’Opéra de Paris, admirablement captée par les caméras.
En somme, comptant plusieurs aspects réussis, mais ne pouvant camoufler entièrement ses faiblesses, Bolero d’Anne Fontaine sait éveiller la curiosité envers un compositeur réservé dont on sait peu de choses.