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VIES EN MUSIQUE | Odile Gruet, copiste: un métier en voie de disparition

Par Hélène Roulot-Ganzmann le 25 janvier 2018

Odile Gruet, l'une des dernières copistes au Québec. (Crédit: Hélène Roulot-Ganzmann)
Odile Gruet est l’une des dernières copistes de Montréal. (Crédit: Hélène Roulot-Ganzmann)

La chronique « Vies en musique » présente des personnes qui se sont dévouées toute leur vie pour la musique en demeurant plutôt dans l’ombre. Ludwig van Montréal rend hommage à ces infatigables passionnés, souvent piliers de leur communauté. Cette semaine, la copiste Odile Gruet, qui en une trentaine d’années de carrière, a gravé près d’un millier de partitions.

Il n’y a pas grand-chose sur la page Facebook d’Odile Gruet. Quelques photos de vacances, surtout des partages d’articles concernant les musiques classiques et contemporaines. Mais ce qu’elle se souvient avoir publié, même si cela remonte au début de l’été dernier, c’est le prix qu’elle a remporté. Le deuxième prix d’excellence graphique remis à la conférence annuelle de la Music Publishers Association des États-Unis, pour sa copie du Liebesgedichte de Claude Vivier. Une commande des prestigieuses éditions Boosey & Hawkes.

Un prix qui récompense plus de trente années passées dans l’ombre des compositeurs, à mettre leurs œuvres sur papier.

Odile Gruet est copiste, graveuse musicale, voire, comme on les appelle parfois aujourd’hui, infographiste musicale. Elle ne se dit pas artiste même si elle évolue dans le milieu artistique. Elle se présente plutôt comme une technicienne, une artisane. Son rôle? Écrire la musique sur partition. Faire en sorte que celle-ci soit la plus lisible possible pour chacun des instrumentistes, qu’il s’agisse d’une pièce pour quatuor à cordes ou pour orchestre symphonique.

Aujourd'hui, elle utilise le logiciel Finale pour sa gravure musicale. (Crédit: Hélène Roulot-Ganzmann)
Aujourd’hui, elle utilise le logiciel Finale pour sa gravure musicale. (Crédit: Hélène Roulot-Ganzmann)

« Avec les outils informatiques, aujourd’hui tout le monde peut s’improviser copiste et écrire sa musique sur partition, explique-t-elle. Ça ne veut pas dire que la transcription sera optimale. Il faut bien gérer l’espacement des mesures, les « tournes » également. Faire en sorte de prévoir un silence en fin de page pour permettre à l’instrumentiste de tourner sans arrêter de jouer. »

Plume et encre de Chine

Quand Mme Gruet a remis sa première copie au début des années 80, elle était loin de penser qu’elle en ferait son métier. Alors étudiante à la maîtrise à l’Université de Montréal, elle s’imaginait plus derrière des percussions que derrière un ordinateur à écrire la musique des autres. Française d’origine, sans visa de travail, elle enchaînait alors les petits boulots non déclarés pour subvenir à ses besoins. Elle venait alors de se faire renvoyer de son poste de vendeuse chez un fleuriste et, désespérée, elle s’est vu proposer un premier travail de copiste. L’étudiante s’est finalement révélée être talentueuse et rapide et les contrats se sont succédé alors que sa carrière de percussionniste n’a jamais démarré.

Des regrets? Pas vraiment, répond-elle, mettant de l’avant la liberté qu’elle a eu de travailler à la maison durant toute sa carrière.

« C’est sûr que ce n’est pas ce à quoi je rêvais lorsque j’avais 23 ou 24 ans, souligne-t-elle. Mais il y a une vraie gratification. »

« Lorsque l’on parvient à trouver un moyen de transcrire sur partition, exactement ce que le compositeur a écrit dans une petite note sur le côté de la page, il y a une vraie joie. »

Quand elle démarre, le travail se fait à la main avec plume et encre de Chine. Odile Gruet a la chance d’avoir un beau trait et de pouvoir tout tracer sans règle, juste à main levée. D’où sa rapidité d’exécution.

 

En tout début de carrière, Odile Gruet utilisait la plume et l’encre de Chine pour copier les partitions. Elle travaillait à main levée. Ici La remontée d’Adanac O, le salmo-Salar, de Michel-Georges Brégent. (Crédit: Hélène Roulot-Ganzmann)
En tout début de carrière, Odile Gruet utilisait la plume et l’encre de Chine pour copier les partitions. Elle travaillait à main levée. Ici, La remontée d’Adanac O, le salmo-Salar, de Michel-Georges Brégent. (Crédit: Hélène Roulot-Ganzmann)

Mais dès le milieu des années 80, les premiers logiciels font leur apparition. En 1988, elle s’achète son propre ordinateur et commence à travailler avec le logiciel dont elle se sert aujourd’hui encore, à savoir Finale.

« Au départ, ce n’était pas forcément plus rapide, se souvient-elle. Il fallait tout apprendre et il n’y avait pas de formation. Lorsqu’il s’agit d’une partition pour orchestre avec une multitude d’instruments, le fichier peut être lourd et les ordinateurs étant ce qu’ils étaient à l’époque, ça patinait. C’était quand même intéressant, car on a pu tirer profit du nombre d’instruments sans avoir forcément tout à réécrire pour chacun. Ces outils permettent également de transformer, corriger et améliorer sans devoir pour autant récrire l’ensemble de la partition. »

Métier en voie de disparition

Au fur et à mesure des versions, le logiciel et le matériel se sont améliorés et Odile Gruet n’imagine pas aujourd’hui pouvoir se passer de son outil informatique. Ce qui ne signifie pas que tout soit devenu plus simple, notamment parce qu’elle travaille principalement avec des compositeurs de musiques nouvelles et contemporaines, ce qui fait parfois appel à une gravure musicale non conventionnelle.

« Je suis sans cesse confrontée à des choses nouvelles. Les logiciels, eux, proposent des solutions standards. Si on ne reste pas dans les clous, ça devient très complexe, raconte-t-elle. Je me souviens avoir eu à graver un vibrato pour flûte qui démarrait très lent et accélérait. Ça se représente par une forme d’onde irrégulière, mais il n’y a pas ça dans le logiciel »

« Sur le plan graphique, ça a vraiment stagné. Il faut croire que nous ne soyons pas une clientèle assez importante, les musiciens contemporains. Heureusement, nous formons une petite communauté d’utilisateurs de Finale, ajoute-t-elle. Parfois, lorsque je suis coincée, je pose la question sur un forum et on me revient avec une solution. »

À sa connaissance, elles ne sont plus que deux copistes à Montréal. Un métier en voie de disparition du fait de son informatisation. Si par le passé, elle recevait les partitions écrites et annotées par les compositeurs à la main, aujourd’hui, c’est de plus en plus souvent avec des fichiers informatiques qu’ils viennent la voir. Son rôle consiste plus à nettoyer les partitions, à les rendre vraiment lisibles.

« Quand les compositeurs ne se passent pas purement et simplement de copiste, poursuit-elle. Ce ne sont pas les personnes les plus riches, alors s’ils peuvent économiser les 1 000 dollars de subvention qu’ils ont reçus pour la gravure, ils le font et je le comprends. Mais c’est évident qu’il y a une perte de qualité dans la gravure musicale. Ce ne sont pas des spécialistes des logiciels, ils y vont à tâtons. »

Un millier de partitions

Depuis plusieurs années, Odile Gruet a mis en place une formation au logiciel Finale qu’elle donne dans les cégeps et à l’université, voire parfois en cours particulier. Elle enseigne les rudiments du métier, à ne pas trop condenser les mesures, à accrocher les annotations aux bonnes parties. Elle n’est pourtant pas certaine qu’il y ait une relève dans le métier et elle-même ne croit qu’elle pousserait quiconque à entreprendre aujourd’hui une carrière qui, croit-elle, n’offrirait que peu de débouchés. Ce qui n’est pas sans poser des problèmes, affirme-t-elle.

« La musique risque tout simplement d’être de plus en plus mal écrite. J’ai récemment écrit les partitions d’Another Brick in the Wall pour l’Opéra de Montréal, raconte-t-elle. J’étais très fière parce qu’on est venue me dire que les répétitions s’étaient déroulées comme sur des roulettes. »

« Vous savez, les orchestres répètent rarement plus de deux heures ensemble avant une prestation. Si on passe ces deux heures à chercher où est ceci ou cela sur la partition, ce n’est pas très efficace. »

Et ce, d’autant plus lorsqu’il s’agit de musiques nouvelles jamais jouées.

« Parce que sur la Symphonie n°7 de Beethoven, tout le monde s’en rend vite compte lorsqu’il y a un problème », s’amuse-t-elle.

 

Certaines pièces de musique contemporaine requièrent une graphie que les logiciels ne prévoient pas. Ici Croissant, de Gilles Tremblay. (Crédit Hélène Roulot-Ganzmann)
Certaines pièces de musique contemporaine requièrent une graphie que les logiciels ne prévoient pas. Ici, Croissant, de Gilles Tremblay. (Crédit Hélène Roulot-Ganzmann)

En plus de trente ans de carrière, Odile Gruet a copié près d’un millier de partitions pour cent cinquante clients environ, parmi lesquels Denis Gougeon, Linda Bouchard, Gilles Tremblay, Michel-Georges Brégent ou encore Claude Vivier.  Elle a copié des partitions d’orchestre, mais a également collaboré à des encyclopédies de la musique, des livrets pour des examens ou encore des méthodes d’apprentissage d’un instrument pour les enfants.

Aujourd’hui, elle admet que les commandes se font plus rares, mais, sans penser à prendre une retraite que son statut de travailleuse autonome ne lui permet pas vraiment, elle souhaite ralentir un peu le rythme.  Elle s’attache surtout à transmettre aux musiciens et futurs musiciens son expérience de la gravure musicale. Afin de ne pas s’arracher les cheveux à chaque nouvelle partition qu’elle ouvrira lorsqu’elle aura raccroché.

 

5 choses à savoir sur la gravure musicale

  • On considère habituellement le 15 mai 1501 et Venise comme, respectivement, la date et le lieu de naissance de l’imprimerie musicale, lorsqu’Ottaviano Petrucci signe la dédicace de son Harmonice musices odhecaton.
  • Durant le XXe siècle, plusieurs méthodes de gravure musicale cohabitent. Certains copistes utilisent des machines à écrire spécifiques, d’autres se servent de pochoirs, de tampons et de transferts. Les plus habiles travaillent à main levée avec plume et encre de Chine.
  • Finale, Sibelius et Berlioz sont les trois logiciels les plus utilisés aujourd’hui par les copistes. Mais certains y ajoutent aussi parfois Illustrator pour certaines notations contemporaines.
  • Le copiste reçoit généralement un manuscrit ou un fichier Finale ou Sibelius. Mais il lui arrive de travailler à partir de vidéos, de disques ou de fichiers audio numériques.
  • Il n’existe pas de formation en tant que telle pour devenir copiste. Pour faire carrière, il faut maîtriser la lecture, la transposition et les règles typographiques de l’écriture musicale.

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