Le monde de la musique classique est en état de choc au Québec alors que le quotidien Le Soleil vient de publier un article où la nièce du chef d’orchestre et fondateur du Domaine Forget, Sophie Bernier, raconte que son oncle a abusé d’elle pendant des années alors qu’elle était adolescente.
Sophie Bernier, qui habite Québec et travaille dans l’importation de produits italiens, est aujourd’hui âgée de 51 ans. Son témoignage est accablant. Les attouchements indésirables ont duré pendant trois étés, aux Éboulements.
«J’avais 14 ans la première fois. Il est venu se glisser dans mes couvertures. Il s’est collé, il me donnait des bisous dans le cou, des caresses. Moi, je faisais semblant de dormir. Il devait bien voir que je ne dormais pas, j’étais toute raide…», peut-on lire dans Le Soleil.
Soulignant que dénoncer, à l’époque, n’était pas une option, Mme Bernier ajoute:
«Écoute, c’était Françoys Bernier, le grand Françoys Bernier. Il était en train de construire le Domaine Forget, c’était son moment de gloire, tout le monde était subjugué par lui. Il était un Dieu. Et c’était un milieu extrêmement fermé.»
Il semble toutefois qu’elle n’était pas la seule. Le comportement de Françoys Bernier envers les femmes et les jeunes filles était connu de son entourage. La rumeur circulait même au sein des stagiaires du Domaine, comme en témoigne une musicienne qui a contacté Ludwig van Montréal et qui préfère garder l’anonymat:
« J’ai fréquenté le Domaine Forget de son vivant et je me souviens des avertissements à son sujet, raconte-t-elle. Mais je ne crois pas que les gens savaient jusqu’où ça allait. Je pense que ça se disait surtout entre filles. J’ai fait de la musique de chambre avec son frère, (NDLR: Pierre Bernier, violoncelliste) et le consensus, c’était que lui, il était correct, mais qu’il fallait se méfier de Françoys. Dans mon souvenir, ça n’allait pas plus loin que « attention à Françoys, il a les mains baladeuses ».
Françoys Bernier, qui a été pianiste, chef d’orchestre, réalisateur, administrateur et professeur, a fondé le Domaine Forget en 1977. Il a également été chef principal de l’Orchestre symphonique de Québec de 1966 à 1974. Il a été fait Chevalier de l’Ordre du Québec en 1993, année de son décès.
La direction du Domaine Forget n’a pas voulu répondre aux questions de Mylène Moisan, la journaliste du Soleil, avant la publication de son article. Il en va de même pour l’Université d’Ottawa. Au moment d’écrire ces lignes, aucune déclaration officielle n’avait encore été publiée.
La salle de concert du Domaine Forget porte le nom de son fondateur, de même qu’une Bourse de l’École de musique de l’Université d’Ottawa. Il sera nécessaire, pour ces institutions, de faire face à cette crise et de se prononcer publiquement, voire de prendre des décisions qui pourraient s’avérer douloureuses.
Après les révélations concernant plusieurs personnalités du milieu artistique, dont Gilbert Rozon et Éric Salvail, il semble que ce n’était qu’une question de temps avant qu’une dénonciation survienne dans le milieu de la musique classique, qui n’est pas à l’abri des abuseurs.
Nous suivrons cette affaire de près. Les personnes qui ont des renseignements ou témoignages à nous fournir à ce sujet peuvent contacter Ludwig van Montréal en écrivant à caroline@ludwig-van.com
MISE À JOUR, 30 octobre, 17 h 20. En fin de d’après-midi, lundi, le Domaine Forget a émis un communiqué annonçant que le nom de Françoys Bernier était retiré de sa salle de concert et de toute mention reliée à ses partenaires.
« Le conseil d’administration du Domaine Forget de Charlevoix prend très au sérieux ces allégations touchant feu Françoys Bernier. Nous observons une politique de « tolérance zéro » en ce qui a trait à toute forme de harcèlement », peut-on lire dans le communiqué.
« Nous sommes bouleversés par ces allégations» a déclaré Mme Louise St-Pierre, présidente du conseil d’administration du Domaine Forget.
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