L’Orchestre symphonique de l’Agora, qui remet les bénéfices de ses concerts à des organismes de charité, lancera sa saison le 2 novembre prochain avec un grand concert à l’Église Saint-Jean-Baptiste pour Les Porteurs de musique. Cet organisme fête son 10e anniversaire cette année. Quel rôle joue-t-il dans le paysage musical québécois?
En janvier 2007, Guylaine Grégoire est au chevet de son père atteint d’une tumeur agressive au cerveau. Violoniste professionnelle et enseignante au Conservatoire de musique de Saguenay, elle compte alors sur son violon pour s’exprimer. Elle vit la complexité des émotions à travers sa musique, et visite ainsi son père en lui jouant ses pièces favorites.
« Il lui disait “allez, va jouer dans les autres chambres” pour que les autres puissent partager cette beauté », dit Laura Molzan, fille de Madame Grégoire et directrice adjointe des Porteurs de musique.
C’est alors que la violoniste réalise concrètement la puissance et les bienfaits de la musique sur les malades.
« Une dame m’a dit qu’elle en oubliait sa maladie. Une autre, que ça l’aiderait à passer de l’autre côté. A la fin, mon père n’était plus capable de parler et quand j’arrivais dans la chambre, et qu’il émettait des gémissements de douleurs, je lui disais: ‘attends papa, je vais te jouer du violon’. Et je le sentais qui se calmait, son regard devenait tendre et profond… la musique lui faisait le plus grand bien! », raconte Madame Grégoire.
C’est ainsi que sont nés les Porteurs de musique.
Aujourd’hui, l’organisme produit environ 60 concerts-ateliers par mois à travers le Québec. Si l’histoire a commencé par Madame Grégoire et son violon, on compte à ce jour entre 50 et 60 musiciens qui portent la musique aux gens dans le besoin.
Mission
La mission de l’organisme est d’offrir la musique aux gens qui ne peuvent pas assister à des concerts. Le but est de favoriser leur bien-être.
« Nous, Les Porteurs de musique, nous déplaçons jusqu’au public. Lors de chaque représentation, nous créons une atmosphère apte à l’échange. Nous voulons agir profondément au niveau humain grâce aux pouvoirs de la musique », peut-on lire sur le site de l’organisme.
Cette mission s’imbrique directement dans le domaine de la musicothérapie, c’est-à-dire, l’utilisation de la musique comme outil thérapeutique. Les activités sont donc offertes dans les centres de service de santé, dans les milieux carcéraux, dans les hôpitaux, ou tout autre organisme d’aide aux personnes.
« Nous venons même d’engager une musicothérapeute, dit Laura Molzan. J’aimerais qu’elle puisse donner des formations pour guider les musiciens. »
À Montréal, la musicothérapie est bien établie. La ville compte même le seul programme d’études supérieures québécois dans le domaine, à Concordia. Il existe aussi la SAMS (Société pour les arts en milieu de santé), mais cette dernière se concentre uniquement sur les milieux de soins de santé. Les Porteurs de musique desservent aussi les organismes sans but lucratif tels le Phare Enfants et Familles. Laura Molzan affirme que plusieurs musiciens et musiciennes travaillent tant pour la SAMS que pour Les porteurs de musique. Les deux organismes se complètent donc.
La vision de Mme Grégoire s’étend à l’échelle provinciale. L’organisme est situé à Chicoutimi, mais les quelque 50 artistes à l’emploi travaillent à Québec, Montréal, et au Saguenay. Selon Laura Molzan, on prévoit élargir l’étendue des services pour inclure Gaspé, Sherbrooke, et d’autres régions.
C’est donc un projet d’envergure. La cinquantaine de musiciens et musiciennes jouent tous à un niveau professionnel. Plusieurs sont encore aux études universitaires en musique, mais Les Porteurs doivent savoir comment animer un groupe. Chaque artiste est libre d’établir son programme, mais chaque groupe de clients comporte ses exigences, voire ses limites. On ne joue pas de musique pour les personnes âgées de la même façon qu’on joue pour les enfants en soins palliatifs.
« Il faut savoir s’adapter rapidement à n’importe quelle situation et avoir beaucoup d’entregent pour pouvoir créer un moment qui sera mémorable pour tous. De plus, on ne joue pas nécessairement devant des fins connaisseurs ou amateurs de musique classique, alors il est important d’avoir plus d’une corde à son arc pour connecter avec le plus de personnes possibles! », explique la violoniste Jeanne-Sophie Baron.
Le travail est ardu. « Quand j’offre une séance d’une heure, je suis épuisée après la prestation. Je ne peux plus rien faire », dit Laura Molzan.
« Souvent, il n’y a pas d’applaudissements, parce que les gens ne peuvent pas le faire. On ne sait pas. Mais au fur et à mesure des rencontres, par le progrès qu’on observe, on voit le résultat ».
Bienfaits de la musique
Il n’y a pas de mesure quantifiable, mais l’organisme reçoit toujours un suivi et des commentaires. Les patients remplissent souvent des questionnaires, et les intervenants donnent leurs observations. Ces derniers affirment qu’après un atelier de musique, leurs patients ont moins recours aux médicaments.
Malgré les exigences, le mandat est gratifiant. Jeanne-Sophie Baron offre son exemple :
« Je me souviendrai toujours de la première fois où j’ai apporté mon violon à un centre d’hébergement, je devais avoir environ 11 ou 12 ans. On faisait le tour des chambres, c’étaient des concerts en toute intimité. Je me rappelle que je ne trouvais pas que je jouais particulièrement bien; un arrangement de Bach pour deux violons, pièce peu connue, apprise la veille. L’étonnement que j’ai ressenti en voyant des sincères larmes de joie, de tristesse, de nostalgie, couler sur les joues de personnes dont j’ignorais l’histoire ou les souvenirs qui remontaient à la surface quand ils nous écoutaient. C’est là que j’ai compris que les médicaments soignent le corps et que la musique va directement au cœur ».
Il faut beaucoup d’empathie et de sensibilité pour offrir ce service. On doit connaître certains répertoires, mais Les Porteurs de musique privilégient la musique classique. La raison est que le classique permet d’adoucir l’âme : elle est tout indiquée pour les services de soins.
« Bien sûr, on joue différents styles. Beaucoup de clients aiment les rigodons. La chanson Partons la mer est belle est toujours utilisée pour les personnes âgées. L’Ave Maria de Schubert aussi » dit Mme Molzan. En effet, on peut bien s’imaginer les bienfaits physiques d’un rigodon bien dansé!
Anniversaire et concert
Cette année, Les Porteurs de musique célèbrent leur 10e anniversaire. Bien que l’organisme soit bien établi, il est toujours à la recherche de fonds. C’est le lot des organismes sans but lucratif, dira-t-on, mais la difficulté est plus grande lorsqu’on parle des arts et de la musique. Les Porteurs agiront donc en partenariat avec l’Orchestre symphonique de l’Agora. Le chef d’orchestre, Nicolas Ellis, planifie actuellement une collaboration par laquelle une vingtaine de musiciens et musiciennes de l’orchestre de l’Agora iront s’engager au sein des Porteurs. C’est une décision logique, vu la mission sociale de l’Orchestre symphonique de l’Agora.
Au programme du concert du 2 novembre : le Concerto pour alto d’Airat Ichmouratov, interprété par Marina Thibeault, et le Concerto pour orchestre de Bartok.
De plus, l’OSA présentera une pièce du jeune compositeur Francis Battah dédiée aux Porteurs.
« Travailler avec les Porteurs, c’est donner du bonheur aux autres, mais aussi à soi-même. C’est comme un retour aux sources, un rappel de la raison pour laquelle on travaille notre instrument », dit Jeanne-Sophie Baron.
Le public du concert aura la chance de pouvoir soutenir financièrement des musiciens et musiciennes de l’Orchestre symphonique de l’Agora pour qu’ils travaillent chez Les Porteurs de musique. Il suffit de visiter le site des Porteurs. On peut, par exemple, envoyer un soliste pour un don de 50 $, et un duo pour 100 $. De quoi aider à faire rêver.
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