La flûte à bec : je parie que la mention de cet instrument évoque chez vous l’image du cylindre en plastique blanc que vous avez manipulé, avec plus ou moins de bonheur, dans vos cours de musique à l’école. Les plus chanceux auront plutôt eu droit au modèle en deux couleurs, brun foncé et ivoire. C’est sur un de ces instruments bicolores que le réputé flûtiste à bec montréalais Vincent Lauzer a commencé. Ses talents, depuis récompensés par plusieurs prix, l’ont toutefois rapidement amené à acquérir une flûte en bois d’un facteur de Blainville, Jean-Luc Boudreau.
Aujourd’hui, Lauzer possède plus d’une quinzaine d’instruments pour combler les besoins de sa carrière florissante : en tant que soliste, il est appelé à jouer plus souvent des flûtes soprano et alto, mais son rôle au sein du quatuor Flûte Alors! l’amène à jouer tout autant des flûtes sopranino, ténor et basse. Le programme Bach ‘n Jazz de l’ensemble nécessite, pour Lauzer seulement, l’usage d’une flûte soprano, deux altos, une ténor, et des deux flûtes basses appartenant à l’ensemble.
En plus des différents registres, il faut prendre en compte la variété de diapasons en usage selon les époques et les régions. Si aujourd’hui, la note la servant de référence pour accorder les instruments est établie assez uniformément à 440 Hertz, on était loin de trouver cette uniformité à la Renaissance ou aux débuts de la période baroque, âges d’or de la flûte à bec. La tendance était alors aux consorts, c’est-à-dire des familles comportant tous les registres de flûtes, fabriquées dans un même bois par un même luthier, et destinées à être jouées en groupe. L’égalité de leur timbre les faisait sonner comme un seul instrument, imitant la sonorité d’un petit orgue – et tout comme pour l’accord de ce dernier, le diapason variait beaucoup. Le baroque à 415 Hz sonne déjà un demi-ton plus bas que notre diapason actuel, mais en France, on retrouvait des instruments accordés à 392 Hz, tandis qu’en Italie, au contraire, le diapason pouvait monter jusqu’à 466 Hz!
Finalement, il existe un certain nombre de modèles de flûtes, tels que Steenbergen, Bressan, Denner, Van Eyck et Ganassi, chacun avec sa couleur et ses qualités. Le modèle Steenbergen, par exemple, est doté d’une attaque précise, lui permettant de jouer des passages virtuoses avec agilité, tandis que le modèle Ganassi possède une sonorité plus riche. Ces différences sont essentiellement provoquées par la forme de la perce en longueur, légèrement conique dans le cas des Steenbergen ou cylindrique pour les Ganassi.
À la recherche de la perle rare
Dans ces conditions, la recherche de la collection achevée représente une quête sans fin pour un flûtiste de la trempe de Lauzer. Constamment à l’affût, préférant rechercher la perle rare parmi des instruments existants plutôt que de passer des commandes, il fréquente les foires et les expositions d’instruments anciens et baroques. Sa persistance finit par être récompensée :
« J’ai eu la chance de rencontrer un facteur allemand au Boston Early Music Festival, Joachim Rohmer, qui faisait de très belles flûtes, dont une flûte de voix extraordinaire, une flûte un peu particulière qu’on n’entend pas souvent. C’est une flûte ténor en ré, plutôt qu’en do, dont le registre ressemble beaucoup au registre de la voix soprano. » Spécifions que les flûtes à bec sonnent une octave plus haute qu’écrite, ce qui explique qu’une flûte ténor joue dans le registre soprano de la voix chantée.
Mais c’est en décrivant une autre acquisition que le flûtiste, déjà généreux dans ses explications, devient le plus expansif : une flûte alto fabriquée par une jeune factrice allemande, Almut Herden.
La machine de guerre
« Je l’appelle ma machine de guerre! Je trouve qu’elle a un look vraiment intéressant, contemporain. » D’un bois noir, elle est ornementée de résine aux reflets kaki (l’utilisation de l’ivoire étant dorénavant interdite, les facteurs contemporains ont recours aux résines de couleurs et aux anneaux de métal pour décorer leurs créations), lui conférant des allures de camouflage. Côté sonorité, par contre, cette flûte est loin de se cacher! Sa sonorité éclatante en fait un instrument de choix pour tenir des parties de soliste, comme dans le Concierto del Norte de Joan Albert Amargos qu’il a interprété avec l’Orchestre symphonique de Drummondville.
Les deux exemples ci-haut constituent autant d’exceptions à une fidélité autrement exemplaire : le charme opéré dès sa première flûte en bois, à l’âge de 10 ans, continue de faire effet, et Vincent Lauzer se tourne encore et toujours avec confiance vers son facteur de prédilection, Jean-Luc Boudreau. C’est encore de celui-ci qu’il a acquis le plus récent ajout à sa collection, une flûte alto de modèle Ganassi dont il avait longtemps rêvé. Fabriquée d’une seule pièce, cette flûte au corps droit et au pied évasé se distingue par le large anneau de métal la rehaussant. Le nouveau propriétaire est très heureux de cette acquisition, considérant qu’il a trop souvent eu à emprunter une flûte de ce modèle.
Si la sonorité précise et directe des flûtes Boudreau suffit à expliquer leur emprise sur notre interprète, la proximité géographique du facteur constitue par ailleurs un avantage non négligeable. Bien que lui-même s’applique au soin minutieux de ses outils de travail, les essuyant après chaque usage et les huilant régulièrement avec une huile d’amande douce pour prévenir les craquements, il doit s’en remettre au facteur pour des manipulations plus sophistiquées. Celles-ci peuvent inclure l’ouverture de la flûte pour ajuster le bloc en cèdre logé à l’intérieur du bec, l’agrandissement de la perce d’un trou ou la fermeture de celle-ci par l’ajout d’un peu de cire.
Lauzer, qui aime clamer que la flûte à bec est le plus merveilleux instrument du monde, traite les siennes aux petits oignons, pour toujours avoir des instruments de qualité. On pourra le constater en l’entendant, avec Flûte Alors! et d’autres interprètes, dans le concert de clôture du Festival Montréal Baroque, Il Cortegiano, ce dimanche 23 juin à 17h.
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