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DOSSIER | Vous croyez être incapable de chanter? La science vous donne tort.

Par Anya Wassenberg le 2 janvier 2018

Le chant est peut-être la plus mal comprise de toutes les disciplines créatives. (Photo Jason Rosewell)
Le chant est peut-être la plus mal comprise de toutes les disciplines créatives. (Photo Jason Rosewell)

« Je n’ai pas d’oreille musicale. Je ne peux pas chanter. » Cette déclaration péremptoire, souvent accompagnée d’un sourire ou d’un éclat de rire, n’en est pas moins fausse.

Lorna MacDonald, professeure d’études musicales et de pédagogie vocale à l’Université de Toronto, va même jusqu’à affirmer que c’est « un mensonge flagrant ».

Le chant est peut-être la plus mal comprise de toutes les disciplines créatives. À la grande frustration des professeurs de chant, c’est la seule discipline où l’on vous dira « Vous ne pouvez pas chanter, alors ne vous donnez même pas la peine d’essayer ». Les parents n’hésiteront pas à investir pour des leçons de théâtre ou de soccer, mais la capacité de chanter, pour nombre de gens, représente quelque chose de magique – ou bien vous l’avez, ou bien vous ne l’avez pas.

L’oreille musicale

Dans le cadre d’une étude menée chez des étudiants de premier cycle de l’Université Queens, 17 % des répondants ont déclaré ne pas avoir d’oreille musicale. Cette fausseté est tellement répandue dans notre société que nous avons créé un univers de chanteurs – la petite minorité – et de non-chanteurs – la grande majorité. Est-ce vraiment le reflet de la réalité? La science et les professeurs de chant affirment que non.

Sean Hutchins est directeur de la recherche au Conservatoire Royal de Musique de Toronto. Son laboratoire s’intéresse surtout à la manière dont la musique affecte l’intellect, et comment l’intellect affecte la musique.  Selon lui, le chant est « une coordination structurée des muscles vocaux » à son niveau le plus primaire.

« Comme pour tout type d’activité musculaire, cela peut s’exercer. Nous savons que l’exercice du contrôle moteur peut aider. Vous pouvez certainement apprendre à vous améliorer. »

Comme il le précise, le langage parlé est déjà une forme de contrôle musculaire. Ainsi, pourquoi notre société a-t-elle fait du chant une catégorie aussi à part ?

« Une éducation musicale inadéquate explique en partie l’anxiété au sujet du chant » – Sean Hutchins

Sean Hutchins indique que pour les générations précédentes, l’attention était portée uniquement sur la performance. Quand des écoliers n’arrivaient pas à produire les notes correctes, on leur disait simplement de « mimer » les sons sans les chanter.

« Il n’y a pas de meilleure façon de rendre quelqu’un mauvais que de lui dire qu’il n’y arrivera jamais ». Au contraire, le Conservatoire a observé des enfants qui avaient commencé des leçons de chant, et après même une seule année d’enseignement ils démontraient des résultats significatifs.

Monica Whicher, professeure au Conservatoire Royal Glenn Gould et conférencière en études vocales à l'Université de Toronto. (Photo: courtoisie)
Monica Whicher, professeure au Conservatoire Royal Glenn Gould et conférencière en études vocales à l’Université de Toronto. (Photo: courtoisie)

Monica Whicher, professeure au Conservatoire Royal Glenn Gould et conférencière en études vocales à l’Université de Toronto, vient d’une petite ville où sa mère était elle aussi un professeur de chant. Elle a compris la fausseté de l’amusie dès le plus jeune âge.

« Chanter n’est pas cette chose distante et inaccessible. Après une ou deux leçons, les élèves changent d’avis ».

Elle a aussi très tôt compris la nécessité d’une formation appropriée.

« Les gens veulent profiter de la façon dont ils chantent, dit-elle. L’avantage évident de la formation pour les non professionnels est de produire une meilleure confiance en soi. »

Monica Whicher affirme que la formation en chant est un processus, et que l’on ne peut pas tout apprendre en même temps.

« Vous devez maîtriser la situation et comprendre quels en sont les paramètres ».

Selon Lorna MacDonald, le souffle, la posture et les voyelles sont les éléments essentiels de la formation vocale pour tous.

« C’est essentiellement un processus physique, explique-t-elle. Notre larynx n’est pas nécessairement fait pour créer ces belles sonorités, pas plus que nos jambes ne furent conçues pour donner des coups de pied sur un ballon de soccer.»

En d’autre mots, il s’agit de conditionner le corps et d’étudier l’architecture interne des muscles et des parties du corps qui produisent le son, pour en améliorer la coordination.

« Nous en arrivons à bien connaître notre corps et à savoir ce que nous contrôlons et ce que nous ne contrôlons pas, dit-elle. Quand on apprend un instrument, il faut savoir mettre tout cela ensemble. La voix est un instrument que l’on ne peut que ressentir en soi. »

Des jeunes chanteurs de l’Atelier lyrique du Conservatoire de musique et d'art dramatique de Montréal. (Crédit : Marc-Antoine Fortin)
Des jeunes chanteurs de l’Atelier lyrique du Conservatoire de musique et d’art dramatique de Montréal. (Crédit : Marc-Antoine Fortin)

On peut entraîner la langue à bouger plus librement, et on peut faire prendre au pharynx différentes formes. Le chant est musculaire, aérodynamique, puisqu’il implique un contrôle de la respiration, ainsi que la diction, soit le même processus que pour apprendre à parler. C’est aussi une question d’art, de drame et d’émotion.

La formation vocale comprend un certain nombre de stratégies. Certains étudiants auront besoin de connaître les détails physiques précis de l’émission vocale pour chaque son, alors que d’autres comprennent mieux avec des images, et d’autres encore avec des explications verbales.

Cependant, tout ne se résume pas au processus vocal. La capacité à chanter dépend aussi d’une bonne nutrition, d’un sommeil suffisant et de l’état de santé général de la personne.

« Vous devez vivre votre vie comme un artiste, dit MacDonald. Nous devons former la personne comme un tout ».

Elle suggère de penser aux styles et aux genres que vous aimeriez chanter, et de réfléchir en commençant à votre objectif ultime comme chanteur.

« C’est si important de percevoir le chant comme un moyen de communication – non pas un chemin vers la célébrité. » – Lorna MacDonald

L’amusie congénitale

Et si vous étiez réellement incapable d’entendre la musique?

En réalité, les personnes atteintes d’amusie congénitale, c’est-à-dire l’incapacité innée de percevoir correctement la hauteur des sons, ne sont qu’une très petite minorité. Les études sur l’amusie sont très récentes, mais estiment que cette proportion va de 1,4 à 4 % de la population.

L’Ensemble de tests de Montréal pour l’Évaluation de l’Amusie (AMUSIA) est un protocole reconnu pour l’évaluation et la standardisation de l’amusie.  La professeure Isabelle Peretz, du Département de Psychologie de l’Université de Montréal dirige le programme de Recherche Canada en Neurocognition de la musique. Elle est aussi la fondatrice et co-directrice du Laboratoire International pour la recherche sur le Cerveau, la Musiquei et le Son (BRAMS), affilié conjointement aux Universités McGill et de Montréal. Elle et son laboratoire sont des pionniers en habileté musicale et ils ont contribué au développement de ce test maintenant très répandu.

Le test d’évaluation en ligne AMUSIA a d’abord été publié en 2008, et il est ouvert à tous les intéressés.

La recherche, qui se poursuit, tend à suggérer que l’habileté musicale et l’amusie sont congénitales jusqu’à un certain point. Des connexions défectueuses de l’hémisphère droit du cerveau, de même que d’autres régions du cerveau, pourraient être en cause, mais les chercheurs ont aussi avancé que la génétique à elle seule n’est pas la réponse complète.

On croit que le fait de provenir d’un milieu musicalement fertile peut compenser une propension héréditaire à l’amusie, et que l’habileté du cerveau à percevoir la musique ne dépend pas seulement des connexions génétiques, mais aussi de l’expérience individuelle et de l’exposition à la musique.

Essentiellement, le test d’amusie cherche des indices de mauvaise perception de la hauteur des sons. Une personne avec l’amusie clinique ne perçoit pas du tout de variation dans la hauteur des sons. Il y a aussi des sous-catégories, comme l’amusie réceptive – l’incapacité d’entendre l’harmonie – ou l’alexie musicale – l’incapacité à enregistrer la notation rythmique. Si vous pouvez entendre les notes, mais ne pouvez les reproduire, il s’agit tout simplement d’un cas classique de mauvaise technique vocale, et la bonne nouvelle est que vous pouvez remédier à la situation par une formation appropriée.

Le professeur et écrivain torontois Tim Falconer est un vrai exemple d’amusie, ce qui ne l’a pas empêché de pratiquer l’art musical qu’il aime. Il a décrit son expérience musicale dans son livre Bad Singer: The Surprising Science of Tone Deafness and How We Hear Music (Anansi Press, May 14, 2016).

Dans son livre, The Bad Singer, Tim Falconer, professeur et écrivain torontois, parle de son expérience musicale.
Dans son livre, The Bad Singer, Tim Falconer, professeur et écrivain torontois, parle de son expérience musicale et de l’amusie.

« J’ai toujours été un grand mélomane, mais je pensais que j’avais l’amusie, dit Tim Falconer. Cependant, si je ne perçois pas la musique, comme se fait-il que je l’aime autant? »

Bien qu’encouragé par des amis musiciens qui répétaient qu’il ne lui fallait que la bonne formation, il décida de consulter le laboratoire de madame Peretz à Montréal pour passer le test.

« Vous êtes un cas typique d’amusie », lui a-t-elle dit.

Son intrépide instructeur vocal, Micah Barnes, maintenait que son chant pouvait être amélioré, « peu importe ce que disent les scientifiques ».

Barnes et Falconer ont persévéré. Résultats ? Pendant ses conférences sur son livre, Tim écoute des enregistrements de son chant dans la douche avant et après une séance de formation.

« Tout le monde me dit que je chante mieux, mais c’est toujours affreux », rigole-t-il. Néanmoins, il s’est produit dans un concert privé, et personne ne l’a chahuté.

Certains « amusicaux » peuvent s’entraîner à développer leur capacité musicale, mais l’approche est différente. Tim l’explique ainsi :

« Je peux dire quand je chante faux, je le sens tout simplement que ça sonne faux ». Sa formation et les répétitions ont l’effet d’un exercice de mémoire musculaire.

Dans les cas extrêmes, un peu de pensée magique peut aider. Florence Foster Jenkins, une héritière de Manhattan dans les années 1920 à 1940, rêvait de devenir chanteuse d’opéra, et s’était en quelque sorte convaincue elle-même de son talent. Quelques vidéos YouTube démontrent plutôt, si l’on peut dire, son manque total de formation musicale. Néanmoins, elle devint une favorite de la scène musicale new-yorkaise, et même des gens comme Cole Porter et Sir Thomas Beecham devinrent ses fans. Sa richesse lui permettait de louer le Carnegie Hall pour une soirée, et c’est ainsi qu’elle fit ses débuts de rêve dans cette salle à l’âge de 76 ans.

Il n’est pas donné à tous d’être une tête d’affiche au Centre Four Seasons avec la Canadian Opera Company – ou au Carnegie Hall. Cependant, une société de chanteurs amateurs aura toujours un intérêt pour le talent et les prestations des maîtres de son art.

Des indices démontrent l’idée que n’importe qui à n’importe quel niveau est capable de chanter semble faire son chemin, en particulier au Canada. Seulement à Toronto, on compte plusieurs chorales communautaires sans auditions préalables, comme « Choir! Choir! Choir! » Selon un sondage récent, environ 10 % des Canadiens font partie d’une chorale ou d’un groupe de chant – soit davantage qu’il y a de joueurs de hockey.

« Il y a cet avantage additionnel de pouvoir trouver des groupes de personnes qui aiment elles aussi le chant », ajoute Monica Whicher.

Sean Hutchins croit qu’il existe une relation entre la popularité des chœurs communautaires et les chansons de groupe aux événements sportifs. Quand on chante avec d’autres, l’anxiété diminue.

« Si vous placez les gens dans le bon contexte, à peu près n’importe qui sera en mesure de chanter ». La clé semble être de regrouper les intéressés.

« C’est beaucoup plus facile de chanter avec d’autres voix que de jouer d’un instrument avec d’autres instrumentistes », remarque-t-il. Il évoque aussi un phénomène qu’il appelle « générosité vocale ». En tant qu’auditeurs, nous pardonnons beaucoup plus facilement à un chanteur qui fausse d’un quart de ton qu’à un violon qui est quelque peu désaccordé.

Alors, pourquoi chanter, en fin de compte? Le professeur MacDonald a le mot de la fin :

« Vous contribuez à embellir le monde. Ce n’est jamais un exercice inutile ».

Cet article a d’abord été publié en anglais sur Ludwig van Toronto.

Traduction: François Juteau.

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