
Le Festival Montréal baroque, ce festif déploiement de musique baroque en continu pendant trois jours, proposait du 19 au 21 juin une programmation particulièrement alléchante. Parmi les nombreux attraits comptait la visite de l’ensemble Harmonia del Parnàs, venu d’Espagne pour nous faire découvrir, en collaboration avec des instrumentistes et chanteuses montréalais·es, »l’opéra harmonique dans le style italien » Los Elementos du compositeur espagnol Antonio de Literes (1673-1747). Il s’agissait de la première fois que cette œuvre complétée en 1718 était jouée au Canada.
La prémisse légère de cette œuvre charmante, mieux décrite comme une seranata ou une zarzuela qu’un réel opéra, est toute faite pour servir de prétexte à une suite de numéros musicaux de caractères variés : au cours de la nuit, un conflit se développe entre l’Eau, l’Air, la Terre et le Feu, chacun d’entre eux étant convaincu qu’il est le meilleur candidat pour régner à la place du Soleil. L’Aurore déplore la situation qui met en danger la survie du monde, et ultimement le Temps intervient pour que le Soleil réapparaisse et reprenne sa juste place, rétablissant l’harmonie entre les éléments.
Les rôles de l’Air et la Terre, plus substantiels que les autres, étaient tenus par les membres de la troupe invitée Ruth Rosique (l’Air, soprano) et Marta Infante (la Terre, mezzo-soprano), tandis que les quatre autres rôles avaient été confiés à des chanteuses établies à Montréal : Denise Torre Ormeño (l’Eau, soprano), Rosalie Lane Lépine (le Feu, mezzo-soprano), Janelle Lucyk (le Temps, soprano) et Ellen McAteer (l’Aurore, soprano).
Les interprètes habitaient leur rôle à différents degrés d’intensité et d’aisance. Ruth Rosique a brillé par son jeu assuré reposant sur l’expression du texte tandis que Janelle Lucyk s’est démarquée par son approfondissement de l’expression musicale. Les noms d’Ellen McAteer et Rosalie Lane Lépine sont, pour moi, deux découvertes à retenir pour la richesse de leur timbre et de leur projection. De façon générale, les numéros solos étaient plus achevés que les numéros de groupe, qui n’atteignaient pas le même niveau de confort.
Chez les instruments, le noyau formé par les artistes invités était lui aussi amplifié de musiciens montréalais pour interpréter les accompagnements souvent très imagés, exécutés avec élan et une définition rythmique entraînante.
Fournissant tour à tour des accompagnements élaborés en duo avec la soliste du moment, les violonistes Hiro Kurosaki et Lucia Luque formaient l’essentiel des voix supérieures de l’ensemble. Pour des membres d’un ensemble établi, il est étonnant à quel point les sonorités des deux violonistes étaient différentes. Le son de Kurosaki était mince, même dans la petit Chapelle Notre-Dame-du-Bonsecours, et Luque, bien qu’ayant une sonorité plus intéressante, jouait pliée vers son violon et avec une énergie éparpillée de sorte que le résultat n’était pas proportionnel aux efforts investis. L’ajout occasionnel du timbre des flûtes de Matthias Maute apportait un relief bienvenu.
Du côté du continuo, le jeu différencié et engagé du violoncelliste Hermann Schreiner, allié à la direction de Marian Rosa Montagut à partir du clavecin, formait le cœur d’un groupe aux timbres variés. Même si la partition annonce un « opéra dans le style italien », le compositeur a gardé certaines caractéristiques propres au style baroque espagnol, dont l’inclusion de la guitare (Daniel Zuluaga) et des percussions (Ziya Tabassian), ajoutant couleur, contour et caractère au groupe, qui était complété par la contrebasse de Reuven Rothman.
Sans support plus étoffé que la liste des titres en espagnol et les noms des personnages impliqués dans chaque numéro pour nous guider, il devenait ardu de suivre le déroulement de la mince intrigue. Ne restait qu’à se résoudre à écouter le tout – debout à l’arrière de l’église, le meilleur emplacement pour atténuer une partie de la réverbération excessive du lieu – comme un enchaînement d’airs et de numéros d’ensemble de facture intéressante et tout à fait agréable, quelques indices sur le contenu du texte étant fournis par le figuralisme adopté par de Literes.
Au total, la soirée fournissait une initiation convaincante à ce répertoire qui mériterait d’être joué plus souvent.
De la nature au Surnaturel
Après avoir dégusté la gaspacho préparée par un chef (de chœur, mais également chef culinaire en cette occasion) bien connu et servie sur le parvis de l’église, il était temps de se transposer dans un tout autre univers sonore pour le deuxième concert de la soirée. Intitulé facétieusement Surnaturel, le programme mettait à l’honneur la musique de J.S. Bach interprétée aux claviers électroniques par Henry Webb, deuxième prix du Concours international d’orgue du Canada, et travaillée par Pierre-Luc Lecours et Daniel Añez aux synthétiseurs modulaires.
Voir Lecours et Añez à l’œuvre permettait de constater le degré de concentration et de précision qu’exige la manipulation des synthétiseurs modulaires pour transformer les sonorités fournies par Webb, installé entre les deux. Un travail intense doit aussi se faire en amont pour choisir les timbres, les programmer et ensuite les appliquer au bon moment. Autre révélation, l’assignation des timbres n’étant pas contrainte à un clavier ou l’autre, cette exécution électronique permettait de mieux distinguer les voix enchevêtrées et par conséquent d’en clarifier la conduite.
Les versions entendues lors de ce concert – bien que par moments un peu plus sages qu’on ne l’aurait imaginé – auraient sûrement bien surpris Johann Sebastian, qui n’aurait pu s’imaginer de tels sons, mais c’est tout aussi vrai de certaines sonorités offertes par les orgues d’aujourd’hui.
Pour les plus infatigables des « baroqueux », la soirée s’est conclue au café du festival, où l’invitation était ouverte à tous·tes de faire de la musique dans un cadre informel et détendu.