Le Chœur Saint-Laurent et son partenaire musical de la soirée, le Chœur de l’Université de Montréal, ont surmonté avec succès un défi de taille samedi soir à la Maison symphonique en enchaînant deux œuvres pour chœur et orchestre exigeantes et peu connues ici, The Music Makers d’Edward Elgar et Belshazzar’s Feast de William Walton. Le chœur combiné d’une centaine de choristes était appuyé par un orchestre comprenant deux harpes, des sections complètes de cuivres et un arsenal assez étendu de percussions, ainsi que des solistes Rose Naggar-Tremblay et Jorell Williams, le tout sous la direction assurée de Philippe Bourque.
The Music Makers
La musique composée par Elgar sur ce poème d’Arthur O’Shaughnessy est expansive, extravertie, lyrique et étonnamment martiale par moments, le compositeur ayant manifestement choisi de mettre en lumière le vocabulaire aux connotations guerrières employé dans le poème (an empire’s glory; conquer a crown; the soldier, the king and the peasant; the multitudes are enlisted). Cela se manifeste par des roulements de timbales (parfois à des endroits étrangement choisis) et l’utilisation de cuivres qui malheureusement avalent presque tout ce qui les entoure, ainsi que par de multiples passages fortissimos intempestifs. Le début a cappella sur We are the music makers agit comme une sorte de refrain contrastant, revenant périodiquement au cours des quelque 35 minutes que dure l’œuvre.
Le timbre touchant et le lyrisme naturel de Rose Naggar-Tremblay formaient un excellent choix pour la partie de contralto solo. La façon dont la chanteuse a légèrement étiré la résolution finale de sa dernière intervention, sur And a singer who sings no more, offrait un exemple d’intériorisation et de sensibilité plus en ligne avec ma perception du texte que la réalisation grandiloquente qu’en a faite Elgar. Le chœur a également su exploiter les moments plus contemplatifs, faisant entendre un fondu équilibré et soutenu. Ce n’est pas la faute des interprètes si Elgar passe à côté de chaque occasion d’illuminer la cadence sur dreamers of dreams et se contente de nous donner un accord mineur conventionnel.
Belshazzar’s Feast
L’œuvre composée en 1931 par Walton est le fruit de la première commande passée par la BBC (fondée à peine quelques années avant en 1927) auprès d’un compositeur britannique. Le résultat est une frénésie bacchanale excessive du début jusqu’à la fin, illustrant d’abord les excès de la cour babylonienne, puis célébrant sa chute. Produisant un effet indéniable, la densité et l’enchevêtrement des parties forment cependant un tout difficilement saisissable à la première écoute. Curieusement, les grands intervalles, les phrases hachurées, les accents jazz et même certains choix d’instrumentation annoncent certaines caractéristiques plus tard exploitées par les compositeurs d’outre-atlantique Aaron Copland et Leonard Bernstein, considérés comme les premiers représentants d’une musique de concert typiquement états-unienne.
Le baryton torontois Jorell Williams a été remarquable dans les difficiles passages a cappella exigeant tout à la fois précision d’intonation sur des intervalles décousus, projection et noblesse. Ni lui ni Naggar-Tremblay n’ont cependant réussi à percer par-dessus des forces orchestrales déchaînées dans les passages accompagnés les plus violents.
Le chœur bien préparé a fait preuve d’une solidité et d’une endurance exceptionnelles, maintenant jusqu’au bout l’intensité exigée par deux partitions touffues. Pour le texte, c’était peine perdue : valait mieux se réjouir des quelques passages compréhensibles plutôt que de regretter ceux qui ne l’étaient pas.
La Nuit et le poète
En ouverture de concert, le Chœur de l’Université de Montréal sous la direction de son chef attitré Matthew Lane a présenté la création de La Nuit et le poète. La compositrice Isabelle Fleury y met en musique un texte de l’écrivain romantique montréalais Albert Boisjoly (1901-1951) décrivant le contraste entre le feu intérieur animant le poète peinant sur un texte et la tranquillité nocturne qui l’entoure. Le chœur a rendu justice à l’œuvre aux sonorités suspendues et aux intervalles rapprochés.
Rêveurs de rêves et agitateurs du monde, il fallait l’être pour mener à bout un projet aussi ambitieux. Je m’attendais à voir la Maison symphonique pleine de mélomanes avides et d’amoureux·ses de découvertes inusités souhaitant faire l’expérience de ces œuvres démesurées.