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CRITIQUE | Un début d'automne tout en couleur à l'OSM

Par Julien Bilodeau le 17 octobre 2024

Olivier Latry lors d'une prestation précédente à l'orgue Pierre-Béique. (Photo : Antoine Saito)
Olivier Latry lors d’une prestation précédente à l’orgue Pierre-Béique. (Photo : Antoine Saito)

Place à la fraîcheur et aux couleurs de l’automne à l’Orchestre symphonique de Montréal alors qu’était proposé un programme riche et ambitieux réunissant la Symphonie no 2 de Sergei Rachmaninov et la Sinfonia concertante pour orgue et orchestre d’Esa-Pekka Salonen. La direction de la soirée était confiée aux bons soins du chef finlandais Osmo Vänskä, que nous avions déjà entendu à l’OSM il y a deux ans, dans Beethoven et Saariaho notamment. Des retrouvailles qui se sont tenues dans un respect et une réciprocité exemplaires et qui ont offert une lecture unifiée et cohérente d’œuvres qui, a priori, n’ont que très peu en commun.

La Sinfonia concertante pour orgue et orchestre est une commande conjointe des organistes Olivier Latry et Iveta Apkalta pour l’Orchestre symphonique national de la radio polonaise à Katowice, la Fondation de l’Orchestre philharmonique de Berlin, l’Orchestre symphonique de la radio finlandaise, la Philharmonie de Paris, l’Orchestre philharmonique de Los Angeles et l’Orchestre philharmonique du NDR de Hambourg. Composée en pleine pandémie, l’œuvre a été créée en 2023 en Pologne par Apkalta et à Paris par Latry. C’est ce dernier qui, en sa qualité d’organiste émérite à l’OSM, est venu nous la présenter.

L’œuvre est le fruit d’une double réflexion purement musicale : que faire de l’orgue à l’orchestre alors que lui-même sait se faire orchestre? Et comment le composer dans un « présent », à la jonction d’une grande histoire et d’un futur à inventer? À ces deux questions d’apparence complexe, une seule idée, droite et lumineuse comme un phare dans la nuit : trouver l’équilibre! Aux dires du compositeur, « il suffit d’abord d’écrire la musique et puis de l’orchestrer pour ces deux instruments ». Ainsi, l’orgue est souvent seul ou chambriste avec les vents. Autrement, il soutient l’orchestre ou se fond à lui. D’égal à égal, l’orgue et l’orchestre dialoguent avec la même tessiture, le même éventail timbral et la même échelle dynamique, sans jamais que l’un et l’autre ne se nuisent.

Mais qu’en est-il du langage et du fardeau historique qu’une seule note de l’orgue fait immanquablement rejaillir à l’esprit de tout mélomane? Faut-il nécessairement la déconstruire pour en tirer quelque chose de frais? Ici, la longue histoire de l’orgue aura incité Salonen « à imaginer une musique « ancienne » d’un monde hypothétique, d’un univers alternatif, qui est toujours mien mais un peu étranger ». En réalité, cet « univers alternatif » est un présent décomplexé qui accueille la tradition et qui chemine avec elle dans un esprit filial.

L’entreprise est risquée, car elle ne peut jamais dissimuler les qualités musicales du compositeur et notamment son imagination dans l’orchestration, sa sensibilité pour la mélodie et son sens de la forme. À travers Pavane et Sicilienne, lamentation et organum, l’œuvre aspire l’auditeur dans un monde probable, à la fois familier et nouveau, et sa structure nous raconte une trame ficelée de tensions et de détentes, elles aussi à la recherche d’un équilibre. Jusqu’au solo inspiré par la mort de la mère du compositeur à la fin du deuxième mouvement, l’œuvre est luxuriante, colorée, gorgée de contrastes et souvent hypnotisante.

Malheureusement, l’édifice s’effondre dans le troisième volet, alors que l’équilibre se rompt et que tout bascule dans l’excès. Intitulé « Ghost Montage », le mouvement débute par « une musique bruyante inspirée par les riffs d’orgue entendus dans les parties de la Ligue nationale de hockey aux États-Unis » ponctuée de cadences certainement très virtuoses mais inutilement loquaces. Au mieux, nous y voyons là peut-être une critique acerbe des pires tentatives postmodernes ou encore une satire nihiliste de l’état dans lequel se retrouve notre culture. Et on se demande pourquoi, après avoir échafaudé patiemment tant de beauté, après tant de promesses, pourquoi se rabattre sur cette idée convenue, alors que nous vivons déjà tous en permanence dans des « Ghost montage » … Quel dommage!

 

Les concerts de cette semaine marquent le retour du chef finlandais Osmo Vänskä devant l'OSM. (Photo : Lisa-Marie Mazzucco)
Les concerts de cette semaine marquent le retour du chef finlandais Osmo Vänskä devant l’OSM. (Photo : Lisa-Marie Mazzucco)

L’offrande de Salonen a été accueillie avec préciosité par Vänskä qui est demeuré humble et néanmoins magnétique, comme si toutes les décharges timbrales de l’orchestre et de l’orgue convergeaient vers lui avant d’exploser dans une Maison symphonique très réverbérante. Situé devant l’orchestre et se tenant dos au public, Olivier Latry s’est affairé des pieds et des mains à tenir tête aux masses orchestrales dans un corps à corps des plus enlevant. Il est évident que pour le chef comme pour le soliste, il s’agissait, en présentant cette pièce, de beaucoup plus que de cocher des cases ou que de répondre à des exigences de quotas de musique nouvelle.

Pour la première fois dans l’histoire de la Maison symphonique, une modification a été apportée au plafond acoustique en cours de concert, les panneaux mobiles de celui-ci ayant été abaissés de près de trois mètres durant l’entracte. Lumineuse idée qui aura permis aux deux œuvres d’être pleinement souveraines dans leur déploiement acoustique. On retrouve donc ici un orchestre beaucoup moins diffus, mais qui conserve néanmoins toute sa chaleur : l’effet de contraste est saisissant dès les premières notes de la symphonie de Rachmaninov, émises aux cordes graves.

Modèle d’exacerbation romantique par excellence où l’emphase lyrique des cordes se tient toujours à la limite de l’excès, la seconde symphonie de Rachmaninov représente un défi de taille! Au-delà des nombreux passages qui ont servis de modèle à toute la musique de film de l’âge d’or d’Hollywood, son plus grand mérite est celui de sa forme qui évolue à la fois dans une progression linéaire et cyclique. C’est dans cette apparente contradiction que se situe une vive fragilité et c’est en trouvant les moyens pour la dévoiler que l’œuvre transcende sa surface.

À cet égard, Osmo Vänskä est le chef tout désigné : il réussit à ne pas tout dire trop tôt et tout le temps. Attentif au chemin qu’il fallait emprunter pour atteindre, dans les toutes dernières mesures, l’infini déploiement sur trois octaves du thème principal, il évite l’écueil de la surenchère. Sa battue est demeurée économe et sa gestuelle, dans l’ensemble, plutôt réservée. Ce n’est pas lui qui est au coeur de l’œuvre, mais plutôt la relation qu’il construit devant nous avec les membres de l’orchestre. En tout temps, sa posture demeure fluide et oscille entre une autorité bienveillante et un laisser-faire tout en confiance qui l’amène même à déposer sa baguette pour le troisième mouvement.

De cette interprétation on retient aussi le grand soin apporté aux perdendosi et au découpage très net des voix dans le fugato du deuxième mouvement, aux enflures dynamiques des cordes en tremolo qui a littéralement fait renaître Sibelius, aux tuilages parfaitement homogènes des altos et des bassons et aux prestations impeccables de Todd Cope (clarinette), Timothy Hutchins (flûte) et Catherine Turner (cor) dans leurs nombreux passages en solo. Seule ombre au tableau, l’équilibre entre les cordes et les bois souffre de plus en plus, le rapport de force entre les deux sections se désagrégeant au détriment de ces derniers. Cela devient particulièrement évident dans la seconde partie du troisième mouvement et à la toute fin, où l’accompagnement en valeurs ternaires n’était perceptible qu’avec l’arrivée en renfort des cuivres. Mais il s’agit sans doute d’un phénomène circonstanciel propre au centre du parterre ou nous étions : Vänskä, clarinettiste de formation, entendait sans doute le tout dans un meilleur équilibre sur le podium.

Si la proposition de l’OSM paraissait d’emblée audacieuse, le soin apporté à sa réalisation a fait la démonstration que les musiques de création et de répertoire peuvent s’enrichir au profit du mélomane. Voilà une initiative que nous saluons!

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