We have detected that you are using an adblocking plugin in your browser.

The revenue we earn by the advertisements is used to manage this website. Please whitelist our website in your adblocking plugin.

CRITIQUE | Concert d'ouverture du NEM : une transition dans la continuité

Par Julien Bilodeau le 30 octobre 2024

Le nouveau chef et directeur musival du NEM, Jean-Michaël Lavoie. (Photo : Lou Scramble)
Le nouveau chef et directeur musival du NEM, Jean-Michaël Lavoie. (Photo : Lou Scramble)

Le Nouvel Ensemble Moderne a lancé sa 35e saison au studio théâtre des Grands Ballets sous la direction de Jean-Michaël Lavoie, son tout nouveau directeur artistique et musical. Il succède ainsi officiellement à la fondatrice et désormais cheffe honoraire Lorraine Vaillancourt qui a soutenu « ardemment » cette nomination l’été dernier, soulignant entre autres son « expérience en tant que chef d’orchestre invité par divers orchestres et ensembles à l’international au cours des dernières années ». Le renouveau est aussi complet chez les musiciens depuis les départs de Julien Grégoire (percussions) et Michel Bettez (basson), derniers membres fondateurs à avoir été actifs au sein de l’ensemble.

Dans sa note de programme, Lavoie identifie très rapidement le principal enjeu de ses nouvelles fonctions: « Quoi faire, quelle musique choisir? Être en rupture ou dans la continuité? ». Bien qu’il dise vouloir aller au-delà de ces questions, c’est bien à la continuité qu’il s’attache en proposant des œuvres qui ont « le désir de chercher ailleurs pour faire entendre autre chose », que ce soit dans le répertoire ou dans la création. Dans un programme qui réunit des œuvres de Raphaël Cendo, Fausto Romitelli, Kajia Saariaho et Claude Vivier, la continuité s’exprime aussi dans les liens que l’ensemble a nourri avec ces artistes depuis sa fondation.

Action painting (2004-2005) du français Raphaël Cendo (1975) a été une commande croisée du Nouvel Ensemble Moderne et de l’Ensemble Itinéraire. Elle représente le point de départ de son envol stylistique comme de ses marques conceptuelles, deux éléments fondamentaux dans l’établissement et la reconnaissance d’une pratique propre à l’histoire de l’avant-garde musicale européenne. À Paris au début des années 2000, elle dénonce « l »antre du boulézisme » et l’hégémonie de l’école spectrale dans un geste de rupture, un autre, qui converge vers une expression phare : « la saturation instrumentale ».

Dans les faits, et un peu comme l’avait justement fait Boulez en s’appropriant Webern, Cendo confère aux travaux sur le timbre d’Helmut Lachenmann (et de Xenakis) une nouvelle vitalité, notamment inspirée par les idéaux de la contre-culture américaine de l’après deuxième guerre mondiale. En étant confiné aux cadres établis par la Première symphonie de chambre de Schoenberg, ce n’est pas tant au niveau de la forme que de sa surface que Cendo tire son épingle du jeu : multiphoniques des bois, cuivres équipés d’anches doubles, papier d’aluminium dans le piano, grain de l’archet sur la corde, tous en interaction dans un chaos méticuleusement écrit au point de devenir totalement organique.

La partition oscille donc entre une grande agitation, très volatile et aussi imprévisible que convaincante, et un arrêt sur image comme lorsque se construit un long plan étale supporté par une pédale à la contrebasse. Bien que le rapport à la tradition apparaisse en rupture dans ses éclats sonores ponctuels et dans la profusion de ses gestes acérés, la forme demeure classique, avec son mouvement central lent et même son rappel thématique au piano à la fin. Un peu comme Schoenberg qui encapsule d’abord son dodécaphonisme dans un menuet, le manifeste de Cendo sature ici la bonne vielle forme ternaire et confère au concept de la rupture un rôle fondamental dans ce qui est, finalement, un désir de s’inscrire dans une continuité historique et culturelle bien précise.

Si la très grande sécheresse acoustique du studio théâtre a servi l’âpreté du langage de Cendo, elle a plutôt lutté contre le lyrisme de Romitelli dans son œuvre Lost (1997), une autre commande du NEM. Il y a bien ici aussi un très grand éventail de sonorités bruités, mais elles doivent apparaître comme les enluminures d’un discours fortement hérité du spectralisme. Pour beaucoup, l’œuvre est la rencontre entre des structures harmoniques qui cherchent à fusionner les timbres et des idiomes de la musique populaire, incarnés par la voix et la basse électrique. Dans ce contexte, l’œuvre aurait grandement profité d’un environnement acoustique plus chaleureux.

C’est la soprano Maud Lewden qui est venue prêter sa très belle voix aux textes de Jim Morrison en optant toutefois pour une interprétation très textuelle et qui ne laissait que peu d’espace au caractère « pop » et déjanté qui fait la marque du compositeur. Pour un instant, nous avons imaginé une intégrale de ses œuvres vocales par Barbara Hannigan et notre cœur s’est mis à tressaillir!

Nymphea (1987), le quatuor à cordes avec électroniques de la regrettée Kajia Saariaho (1952-2023), a ouvert la voie à une seconde partie beaucoup moins pamphlétaire où le NEM a retrouvé la compositrice qui a défini à plusieurs reprise son identité et pour laquelle il est devenu le spécialiste. Autre grande joie, le travail de Frédéric Le Bel aux commandes de l’informatique musicale et de la sonorisation. Ici, le studio théâtre est tout désigné pour inventer un monde sonore improbable qui dose néanmoins parfaitement l’acoustique et le virtuel. Non seulement l’œuvre révèle alors tous ses secrets mais elle a aussi manifestement inspiré l’engagement du quatuor à cordes du NEM. À cet égard, il convient de souligner que le nouveau visage de l’ensemble est fortement marqué par le caractère, l’engagement et la précision de ses cordes, véritable locomotive de toute la soirée. Au coeur des sons délicats qui s’évanouissaient dans un silence très scrupuleusement respecté par le public (fort nombreux), on imagine bien que l’œuvre puisse maintenant être endisqué.

La soirée s’est conclue par l’interprétation beaucoup moins mémorable des Trois airs pour un opéra imaginaire de Claude Vivier. Puisque que l’œuvre est maintenant consacrée et qu’elle est définitivement intégrée au répertoire, ce n’est plus tant sa valeur intrinsèque que les mérites de son interprétation qui capturent notre attention. Comme pour Romitelli, l’écriture de Vivier suggère une fusion des timbres dans des harmonies qui simulent des modulations de fréquence: il y a donc ici une très grande attention qui doit être apportée à la justesse et à la balance des instruments, notamment aux vents, pour qu’ils puissent faire bloc. Or, la tâche est herculéenne, voire impossible dans cette salle. Tout de même, soulignons la présence vocale très ajustée au contexte de la soprano Mimi Doulton qui a traversé tous les écueils d’une partition extrêmement exigeante avec conviction.

C’est donc tout en continuité que s’est réalisé le passage du témoin de Lorraine Vaillancourt à Jean-Michaël Lavoie. Cette douce transition est une belle promesse pour l’avenir d’un ensemble que nous aurons le bonheur de retrouver à deux autres occasions cette année, soit en mars et en mai 2025. C’est à suivre avec un grand intérêt!

Inscrivez-vous à notre infolettre! La musique classique et l’opéra en 5 minutes, chaque jour  ICI

Partager cet article
lv_montreal_banner_high_590x300
comments powered by Disqus

LES NOUVELLES DU JOUR DANS VOS COURRIELS

company logo

Part of

Conditions d'utilisation & Politique de vie privée
© 2025 | Executive Producer Moses Znaimer