
L’Orchestre symphonique de Montréal reprenait du service cette fin de semaine en collaboration avec le Festival de Lanaudière en présentant, sur deux soirs, des œuvres de Mozart, Saariaho, Wagner, R.Strauss, Tchaïchovski et Rimski-Korsakov. Nous espérions rendre compte du concert de samedi dans son entièreté, et notamment des débuts au Canada du pianiste Yoav Levanon, mais un contretemps ne nous a permis que d’assister à l’interprétation de Schéhérazade. De celle-ci, et sous la houlette toujours aussi fougueuse de Rafael Payare, l’orchestre nous a offert une interprétation variée et colorée qui a notamment mis en valeur les très grandes qualités de ses premières chaises.
Si sa structure en quatre mouvements l’avoisine de la grande forme symphonique allemande du XIXe siècle, si le développement cyclique de ses principaux thèmes (souvent inspirés du folklore russe et oriental) lui donne l’apparence d’une suite, si même Rimski-Korsakov considérait dans ses Chroniques de ma vie musicale que « tous ses semblants de leitmotive ne sont que des matériaux purement musicaux », Schéhérazade demeure néanmoins une musique à programme. Pour autant, et c’est sans doute ce qui contribue à sa grande richesse, ses qualités formelles demeurent ouvertes et une interprétation approfondie permet la cohabitation d’au moins trois niveaux: celui de la tension entre le sultan Schahriar et la sultane Schéhérazade, celui des quatre contes racontés par la sultane et celui, plus abstrait, du développement orchestral des thèmes musicaux.
Rafael Payare voyage aisément entre ces trois niveaux d’interprétation, mais favorise clairement le second à travers le dynamisme d’une performance théâtrale qui n’est pas sans latiniser l’esprit russe de la partition. Les rythmes de danse sont fluides et charnels, les tempos sont souvent en cavale, les élans de lyrisme sont propulsés par des gestuelles exubérantes et dramatiques, et tout est fait avec un grand soin pour arrondir la moindre aspérité de la partition. Pour qui connaît l’interprétation résolument « nationale » de Gergiev avec le Philharmonique de Vienne par exemple, nous sommes ici aux extrêmes antipodes et, en ce sens, la proposition de Payare, qui évoque presque le son de la côte ouest américaine, est infusée d’une diversité stylistique totalement assumée.
Voilà bien le sillon que trace le chef dans sa relation avec l’orchestre depuis ses tout débuts : Payare bride peu ses ouailles et semble être davantage à son aise lorsque transporté par la musique plutôt que de se mettre dans une position pour la commander.
Est-ce que cette approche est toujours aussi efficace, maintenant que son effet de surprise et de nouveauté tend à se dissiper? Le lest qui a été enlevé des épaules des musiciens après le départ de Kent Nagano et qui a vu renaître une force, une liberté et une vigueur inouïes il y a maintenant deux ans appelle peut-être désormais à une approche plus posée, qui creuse davantage le sens des textes qui sont interprétés. Il est vrai que le contexte du Festival de Lanaudière n’appelle pas à ces exigences, mais il ne doit pas non plus servir de prétexte. Chose certaine et qui contribue grandement au succès et à la joie ressentie par le public, l’orchestre demeure entièrement dévoué et manifeste un malin plaisir à nous transmettre l’énergie et la passion débordante du chef.
Ceci dit, l’interprétation de l’OSM ne repose pas uniquement sur une série d’affects au service d’un argument extra musical. En fusionnant les couleurs comme on coule des métaux, en sculptant les timbres en des blocs qui rappellent parfois Mahler, lui-même défenseur de l’œuvre sur le podium, en dosant les reliefs d’amplitude et les alliages qui annoncent les trouvailles révolutionnaires de son élève Stravinski, Payare donne aux grandes verticalités de la partition de Rimski-Korsakov beaucoup d’ampleur, de richesse et de puissance. Exceptionnellement, dans le quatrième volet, elles souffrent d’un manque d’homogénéité que nous attribuons aux percussions, malheureusement trop excentrées à gauche et à cent lieues de la section des cuivres. Les cymbales, le triangle et la caisse claire sont des instruments à l’émission sonore si directe que le soin de leur positionnement est crucial si tant est que l’on veuille maximiser la cohérence de l’expérience sonore pour l’ensemble du public.
Il revient aux premières chaises de toutes les sections de l’orchestre de recevoir ici sans réserve, un à un, tous les compliments tant leur performance fut inspirante. Menés par le violon solo, Andrew Wan, ce sont tour à tour Brian Manker (violoncelle), Albert Brouwer (flûte solo), Christopher James (piccolo), Jean-Luc Coté (hautbois), Pierre-Vincent Plante (cor anglais), Todd Cope (clarinette solo), Mathieu Harel (basson solo), Catherine Turner (cor solo), Stéphane Beaulac (trompette solo) et Jennifer Swartz (Harpe) qui ont permis à notre imaginaire de s’immiscer dans l’intimité de la chambre de Schahriar et d’être le témoin privilégié des récits enlevants de Schéhérazade. Ces instants fragiles et éphémères ont été accueillis comme autant de confidences, en témoigne le silence d’or qui a été observé pour tous les solos de la partition dans un amphithéâtre pourtant passablement bien rempli.
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