
Mardi dernier, j’ai quitté la collante Montréal pour effectuer une petite escapade musicale dans Lanaudière. Sans même avoir à subir les affres du trafic (une rareté en cette période de l’année), je me suis rendue à Saint-Sulpice, charmante municipalité qui accueillait ce soir-là en son église le récital du célèbre baryton Matthias Goerne et du pianiste Anton Mejias, présenté par le Festival de Lanaudière.
Cette église, elle a certainement vécu les grands vents et les soleils ardents depuis presque cent ans, mais elle se tient encore majestueusement face au fleuve. Pour ajouter à l’ambiance, il pleuvait un peu, comme si Dame Nature avait planifié le coup : elle savait que Die schöne Müllerin nécessitait un certain mystère et une nostalgie propres aux temps gris.
Les spectateurs jasouillent en attendant le début du récital, le directeur artistique du Festival Renaud Loranger fait une brève mais sympathique introduction, puis Matthias Goerne entre sur scène. La légende. Il y avait quelque chose poétique à voir cet artiste – habitué aux salles iconiques comme Carnegie Hall ou la Philharmonie de Berlin – se tenir devant nous au cœur d’une église de campagne, face au Saint-Laurent. La toute première fois que j’ai entendu Die schöne Müllerin, c’était exactement interprété par ce même homme, dans une superbe version enregistrée sur disque (celle de 2002, il me semble).
Les deux artistes marchent d’un pas décidé vers le piano, saluent. Goerne prend une inspiration… puis il nous parle pendant un peu plus d’une heure. Il nous raconte sa longue introspection, évoquant la nature pour nous décrire son paysage intérieur. Oui, je sais bien qu’il n’est ni le compositeur ni le poète de l’œuvre, mais son interprétation est si juste, si ressentie qu’on pourrait croire qu’il écrit tout sur le coup, comme d’une inspiration soudaine.
La timbre de Goerne est luxueux : ses aigus sont comme un ruban de soleil et ses graves ont la maturité de l’artiste accompli qu’il est. Il danse parfois en chantant (j’ai eu peur à quelques reprises, craignant qu’il se cogne la tête contre la queue ouverte du piano!), et par-dessus tout, il déclame ces poèmes avec un legato à faire mourir de jalousie. Tout chante, jusqu’à ses consonnes M et N bien résonnantes qui connectent sa voix à son âme.
Je me suis quelques fois retournée pendant le récital pour observer (discrètement, évidemment) les membres du public. La salle était dans un état de recueillement. J’ai vu une dame qui souriait béatement en se berçant pendant le lied no.9 (celui qui commence par « Bonjour, belle meunière! »). J’ai aperçu également le directeur général du Festival, Xavier Roy, en pleine contemplation tandis qu’il entendait Goerne nous offrir SA Schöne Müllerin. Même les petits craquements de l’église ressemblaient à de doux secrets murmurés en souvenir des temps passés et contribuaient à la magie du moment.
Goerne chante pour lui, pour nous. Nous avons entendu une version d’anthologie, presque comme sur ses disques, mais avec la maturité de celui qui a vécu et qui amène avec lui sur scène tout ce qu’il est, sans essayer de se cacher ni de prétendre être quelqu’un d’autre. Cette expérience sera très certainement une leçon de style inestimable dont profitera le jeune pianiste Anton Mejias, qui a bien joué, au cours des prochains projets de collaboration avec le baryton. On pense à Goerne qui a lui-même étudié avec Hans-Joachim Beyer, Elisabeth Schwarzkopf et Dietrich Fischer-Dieskau… c’est inspirant de voir cet art transmis d’une génération à l’autre par ses plus grands maîtres.
Vous l’aurez deviné à la lecture de ce texte : j’ai adoré ma soirée musicale, mais aussi l’expérience humaine qui enrobait le tout. Le reste du public semblait d’accord avec moi, puisque Goerne et Mejias ont eu droit à une très longue ovation ponctuée d’une multitude de cris enjoués et de « Bravo! ». J’ai été surprise de ne pas apercevoir de chanteurs dans la foule. Chers collègues, vous avez manqué quelque chose! Moi en tout cas, j’y ai beaucoup appris!
Bien sûr, ce n’était qu’un événement d’un soir. Un petit poème grandiose. L’éphémérité fait souvent la beauté des arts vivants : alors qu’il est impossible d’encapsuler les atmosphères en concert, il faut simplement garder bien précieusement dans nos souvenirs ce qu’ils ont provoqué en nous.
En sortant de l’église, la lune brillait de toute sa splendeur sur le fleuve, et le ciel avait eu le temps de s’éclaircir un peu…
Matthias Goerne sera de nouveau au Festival de Lanaudière ce vendredi dans le concert « Rafael Payare dirige Zarathustra » pour chanter « Les Adieux de Wotan », extrait de l’opéra Die Walküre de Wagner. C’est une occasion à ne pas manquer!
LE 19 JUILLET, 20 H, AMPHITHÉÂTRE FERNAND-LINDSAY DÉTAILS ET BILLETS