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CRITIQUE | "Fables et légendes - Opéra d'aujourd'hui" présenté par Musique 3 Femmes

Par Julien Bilodeau le 31 mai 2024

(Photo : Kevin Calixte)
(Photo : Kevin Calixte)

Dédiée depuis 2018 à développer et émuler le travail des compositrices et librettistes féminines et non binaires émergentes, la compagnie d’opéra contemporain Musique 3 Femmes présentait ce jeudi 30 mai à la Salle Bourgie « Fables et légendes – Opéra d’aujourd’hui », une production avec mise en scène d’extraits des créations des lauréates du « Mécénat Musica Prix 3 Femmes » 2022. Ce « concert opératique », réalisé en partenariat avec la Salle Bourgie, Le Vivier et l’ensemble Sixtrum, aura permis d’avoir un avant-goût substantiel des opéras Je suis fille de la fille d’Analia Llugdar et Emmé Nasereddine, Raccoon Opera des sœurs Rebecca et Rachel Gray et Opéra en trois légendes d’Alejandra Odgers et Nicole O’Bomsawin.

Poésie de la perte profonde

Je suis fille de la fille est une création lyrique qui s’inspire directement du recueil La danse du figuier (Prix Émile-Nelligan 2021) de la poète Emné Nasereddine. Elle explore les liens qui unissent trois générations de femmes d’une même famille que le temps et le territoire auront, pour chacune d’elles, façonné différemment. C’est notamment en brisant les unités de lieu et de temps que le récit de cette œuvre nous plonge dans une sorte de mélodrame poétique où le souvenir, la mort, la guerre, l’exil et l’identité se côtoient. L’apesanteur du livret, servi par une poésie à la fois romantique (« prend le soleil et n’oublie pas de revenir ») et hardie (« je dois me présenter arabe à Montréal »), installe une dramaturgie d’états d’âme dont la structure très libre rend le travail de la dramaturge Alice Ronfard parfois difficile à suivre.

La musicienne canadienne d’origine argentine Analia Llugdar nous propose un environnement sonore remarquablement bien fourni, même si la partition n’est composée que pour soprano, flûte, percussions et bande audio. Plusieurs idiomes de la musique contemporaine française et allemande du siècle dernier y voyagent librement : les lignes vocales, qui segmentent souvent le texte par des répétitions de mots, ainsi que les solos de flûte se déploient principalement par des intervalles de septième, de seconde et de quarte augmentée alors que la panoplie des modes de jeu appliquée aux percussions travaillent efficacement à multiplier couleurs et timbres sonores. La soprano Andréanne Brisson Paquin est excellente vocalement avec des graves bien appuyés et un registre aigu qui demeure toujours riche et feutré.

(Photo : Kevin Calixte)

Le raton laveur et la crise du logement

Raccoon Opera de la compositrice et soprano canadienne Rebecca Gray, sur un texte de sa soeur Rachel Gray, nous transporte quant à lui dans un huis clos pour y déployer, avec beaucoup d’humour, les angoisses de la vie contemporaine, et notamment celles que produisent les effets délétères de la crise du logement. Le personnage d’Erin, joué et chanté avec beaucoup de conviction par la soprano Erin Wieser, se retrouve dans un univers bruité qui l’accable alors qu’un sextuor, sous la direction du chef Christopher Gaudrault, s’applique autant à lui faire entendre des voix qu’à produire toute sorte de sons improbables avec leurs instruments. Le procédé est très efficace, et l’on comprend rapidement que le véritable espace de jeu est imaginaire et que tout se joue dans un psychisme en proie au délire.

Et délire il y aura alors qu’apparaît rapidement le personnage du raton laveur, chanté par la compositrice elle-même et joué avec un savant mélange de sorcellerie et de désinvolture qui séduit et enchante.  Cette présence complice et hallucinée poussera Erin à remettre en question tout ce qui l’entoure et canalisera une colère dont la lucidité lui sera, au final, libératrice. Ici aussi, l’éventail des sonorités qui émane de l’ensemble instrumental est très riche et il puise dans un répertoire de style tout aussi vaste qui laisse parfois échapper quelques citations pastichées du genre lyrique. Les moments vocaux les plus réussis apparaissent lorsque les deux voix s’entrelacent (« Brush out my hair ») ou que voix et sifflement se jouent l’un de l’autre (« It’s a rush »). À noter aussi les animations réussies de Rachel Gray qui ponctuent une intrigue simple mais efficace.

De la création du monde à la danse des saisons

La soirée s’est conclue en deux temps avec tout d’abord la présence seule sur scène de l’anthropologue, librettiste et conteuse abénaquise Nicole O’Bomsawin. Son récit intitulé La création raconte l’origine du monde qui nait de la musique et qui prend vie du souffle de la femme. Moment de partage et de communion sans artifice, le public était suspendu avec beaucoup d’attention à chacun des mots de la conteuse.

S’en est suivie la présentation opératique du conte intitulé Pebon et Niben (L’hiver et l’été) qui raconte avec beaucoup de ludisme le cycle des saisons. Présentée comme un conte par la mezzo-soprano de la communauté des W8banakiak Élise Boucher DeGonzague, l’œuvre met en scène le personnage de Kl8sk8mba (héros mythique abénaquis), chanté avec souplesse par le ténor philippino-canadien Mishael Eusebio, sous la forme d’une sympathique marionnette créée et manipulée sur scène par Andrew Gaboury.

C’est à la demande de Grand-mère Marmotte que Kl8sk8mba partira à la recherche de Pebon, incarné par la basse William Kraushaar, très solide mais peu sollicité, et de Niben qui est interprété par la soprano Odéi Bilodeau, lumineuse, mais aux prises avec une écriture prosodique parfois trop chargée et peu naturelle (« tu empêches les plantes de pousser »). Tous deux sont auréolés d’une parure lumineuse et colorée, plus grande que nature, et qui évoque l’esprit de ce qu’ils représentent : c’est de leur rencontre que naîtra la danse des saisons au rythme d’un air traditionnel que solistes et instrumentistes ont entonné en y invitant le public.

Tel qu’annoncé dans le programme de la soirée, la compositrice canadienne d’origine mexicaine Alejandra Odgers a réussi à composer « un opéra pour les enfants qui les rapproche à la fois de la musique de création et de la culture abénaquise ». Les quatre percussionnistes de Sixtrum ont travaillé à illustrer de différentes manière la nature sauvage qui accueille le récit alors que l’excellente flûtiste Josée Poirier a su faire virevolter l’oiseau-guide avec beaucoup d’esprit et de légèreté.

Forte d’une structure financière bien soutenue et parvenant à intéresser un public toujours plus nombreux, la compagnie Musique 3 Femmes confirme avoir trouver un espace souverain dans le créneau de la création lyrique aux côtés notamment des compagnies Chants Libres et Ballet-Opéra-Pantomime. Pour l’instant, ses projets à venir ne sont pas encore dévoilés mais il y a fort à parier que sa directrice générale et artistique Kristin Hoff aura les moyens de nous préparer quelque chose qui saura surprendre tout en poursuivant son mandat social.

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