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CRITIQUE | La Reine-garçon, un spectacle prenant avec des interprètes superbes

Par Béatrice Cadrin le 6 février 2024

Joyce El-Khoury (Christine, allongée) et Isaiah Bell (Comte Johan Oxenstierna) accompagné de sa suite (Photo : Vivien Gaumand)
Joyce El-Khoury (Christine, assise) et Isaiah Bell (Comte Johan Oxenstierna) accompagné de sa suite (Photo : Vivien Gaumand)

Après La Beauté du Monde en 2022, L’Opéra de Montréal réussit encore cette fois son pari avec La Reine-garçon, la nouvelle création de Michel-Marc Bouchard et Julien Bilodeau.

Julien Bilodeau a fait des pas de géant en termes d’écriture pour les voix depuis La Beauté du Monde. En entrevue, le compositeur a proposé le qualificatif « bel canto straussien » pour illustrer son style dans cet opéra, ce qui en effet assez représentatif. Les parties vocales exigeantes requièrent des solistes aguerris aux voix solides, et toute la distribution se montre à la hauteur.

Joyce El-Khoury (Christine) et Étienne Dupuis (Karl Gustav) (Photo : Vivien Gaumand)
Joyce El-Khoury (Christine) et Étienne Dupuis (Karl Gustav) (Photo : Vivien Gaumand)

Joyce El-Khoury livre une performance athlétique en Christine de Suède déchirée entre le sens du devoir et l’amour. Après quelques passages moins projetés au premier acte, sa voix a pris sa pleine ampleur au deuxième acte. Les derniers « Libérez-moi! » chantés à plein volume à genou sur scène avaient de quoi donner des frissons.

Pascale Spinney séduit en tant qu’Ebba, l’objet de son amour, et Étienne Dupuis est impeccable en Karl Gustav, le cousin de Christine qui désire l’épouser, sa voix assurée convenant parfaitement au personnage.

Tour à tour comique, menaçant et pathétique, le personnage du Comte Johan Oxenstierna est confié à Isaiah Bell, qui se joue des difficultés en faisant des ronds de jambe (vous apprécierez davantage le choix des mots après avoir vu l’opéra!). De son côté, Daniel Okulitch campe un chancelier imperturbable devant les étourderies de son fils.

Aline Kutan, captivante dans son unique scène, vole littéralement la vedette en tant que reine mère. Le moment où elle éclate de rire en se moquant des ambitions pacifistes de sa fille est une réussite parfaite, tant dans la façon dont le compositeur met en musique ce rire déséquilibré et méprisant que dans le magnétisme et le jeu de la soprano. Ce numéro mérite d’entrer dans le répertoire canonique de notre époque et d’être repris en concours par d’autres chanteuses souhaitant s’y mesurer.

Alain Coulombe (assistant de Descartes), Joyce El-Khoury (Christine), Éric Laporte (René Descartes) et...un cadavre. (Photo : Vivien Gaumand)
Leçon d’anatomie : Alain Coulombe (assistant de Descartes), Joyce El-Khoury (Christine), Éric Laporte (René Descartes), Isaiah Bell (Johan, dans l’estrade à droite), des membres du chœur et…un cadavre. (Photo : Vivien Gaumand)

Éric Laporte en René Descartes mène une leçon d’anatomie qui prend un aspect surréaliste de notre point de vue moderne, assisté par Alain Coulombe dont les profondeurs sont quasi-insondables.

Bien que jamais visible sur scène, Anne-Marie Beaudette apporte une contribution majeure par les chants Kulning qu’elle fournit en voix hors-champ, des chants aigus envoûtants tissés adroitement dans la trame musicale.

Dans la fosse, Jean-Marie Zeitouni a mené l’OSM sans faillir un seul instant dans cette musique incessante, chaque acte se déroulant en continu du début jusqu’à la fin.

Le choeur, bien préparé et musicalement impeccable (Photo : Vivien Gaumand)
Le choeur, bien préparé et musicalement irréprochable (Photo : Vivien Gaumand)

Du côté du chœur, celui-ci est bien préparé par son chef Claude Webster et musicalement irréprochable, mais le jeu de répétition entre voix d’hommes et voix de femmes devient rapidement trop systématique. Moins présent que dans La Beauté du monde, le chœur remplit ici un rôle similaire à celui qui lui était attribué dans ce premier opéra, un mélange de chœur grec et de participant à l’action, ce qui rend parfois perplexe. Pourquoi reste-t-il sur scène alors qu’il n’a plus rien à faire et pourquoi choisit-il tel moment pour sortir? Lorsque Christine est violemment agressée par des hommes en qui elle avait confiance, l’inaction du chœur est-elle partante de son rôle de commentateur extérieur, ou symbolique d’une société qui préfère voir sa reine engrossée par la force pour avoir l’assurance d’un héritier?

Le premier acte, bien ficelé, est mené tambour battant, passant de scène intense en scène intense. La scène finale de l’acte ayant apporté une certaine résolution aux conflits qui y sont établis, le deuxième acte a de la difficulté à repartir du bon pied : un revirement majeur de situation est annoncé en quelques lignes, laissant au spectateur le soin d’imaginer le déroulement des événements intermédiaires.

Joyce El-Khoury (Christine) et Pascale Spinney (Ebba) (Photo : Vivien Gaumand)
Joyce El-Khoury (Christine) et Pascale Spinney (Ebba) (Photo : Vivien Gaumand)

La scénographie élégante et sobre est appuyée par de très belles projections utilisées à bon escient. Malheureusement, la scène des verres de cristal était plus efficace vue de proche lors de la présentation aux médias, alors que l’intimité qui en est le cœur se perd sur la grande scène. La scène de « sanctification » de Christine, éclairée par des faisceaux lumineux descendus du ciel, pêche par l’excès inverse, tombant dans une grandiosité étrangère au restant de l’opéra.

Les ruptures de ton trop appuyées constituent d’ailleurs une faiblesse récurrente de l’œuvre. Dans la leçon d’anatomie mentionnée plus tôt, la musique pousse le côté comique jusqu’à tomber dans un équivalent musical de slapstick, alors que la scène n’en demandait pas tant.

Malgré ces réserves, avec des interprètes superbes et un matériau musical et dramaturgique riche, La Reine-garçon forme un spectacle prenant et impressionnant valant la peine d’être vu. Amateurs d’opéra et d’histoire ne voudront pas manquer cette très bonne production québécoise qui va contribuer à faire rayonner des talents d’ici. Longue vie à La Reine-garçon!

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Béatrice Cadrin
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