Quatre jours après l’incendie qui a dévasté le monastère du Bon-Pasteur, c’est la gorge nouée que Simon Blanchet, agent culturel et directeur de la programmation de la Chapelle historique, me parle au téléphone. J’avoue qu’on est deux.
« Je suis tellement dévasté, sous le choc, ce projet là, pour moi ce n’est pas une « job » c’est un engagement envers le milieu de la musique, dit Simon Blanchet. C’est une tragédie immense pour l’ensemble du milieu de la musique de concert. Quel drame. »
Samedi, Simon Blanchet, qui est en poste à la Chapelle depuis 2014, s’est rendu sur les lieux en compagnie des pompiers et de membres de son équipe pour coordonner le transport des deux instruments de la salle, le piano Fazioli et le clavecin Kirkman de 1772. Ceux-ci on été emportés dans les ateliers des experts qui vont en prendre soin: Oliver Esmonde White pour le piano, et Yves Beaupré pour le clavecin.
Simon Blanchet a été à même de constater l’étendu des dégâts à l’intérieur.
« C’est une scène apocalyptique, dit-il. Il n’y a pas eu de feu sur l’étage de la Chapelle, mais les dégâts causés par l’eau et la fumée sont énormes. Il y a de l’eau partout. La scène est comme un lac. »
Lorsque l’incendie s’est déclaré, jeudi soir, il y avait une répétition d’un chœur et de musiciens sur la scène. Le piano et le clavecin n’y étaient pas. Ils étaient plutôt contre le mur de la salle d’exposition attenante, sous leur toiles de protection et sous la galerie de l’étage supérieur qui fait le tour de la pièce. C’est cette coïncidence qui aura permis, peut-être, de sauver les instruments, bien qu’il soit encore trop tôt pour se prononcer sur leur état.
« Nous avons eu de la chance car s’ils avaient été sur scène, qui est juste sous le clocher, ils auraient reçu énormément d’eau. Ils ont quand même été bien arrosés. Hier, la priorité était de les déménager. Yves Beaupré est assez optimiste au sujet de l’avenir du clavecin. »
En effet, sur Facebook, Yves Beaupré a publier des photos du clavecin et le message suivant:
« Et bien!!!! Le clavecin Kirchman 1772 de la Chapelle du Bon Pasteur est encore bon pour un autre 250 ans. Il a été sauvé des « eaux » et il est dans un état très correct vu les circonstances. Seulement quelques dommages sur le placage extérieur. Benoît et moi allons le laisser se déshumidifier et on vous revient. Ouf!!! Quelle chance. Il est à l’atelier pour un moment. »
En ce qui concerne le Fazioli, on ne sait pas encore s’il survivra à cette épreuve.
« Il a reçu beaucoup d’eau. Avant de poser un diagnostic, Olivier Esmonde White va devoir le faire sécher et voir comment il réagit. C’est lui qui entretient notre instrument depuis près de vingt ans donc il le connaît très bien. »
Oliver Esmonde White a publié une vidéo sur la page Facebook de Pianos Esmond White, où l’on voit les dégats dans la Chapelle. Il joue sur le Fazioli pendant que l’on entend l’eau couler au milieu des décombres. La scène est surréaliste.
« 𝗗𝗲𝘀 𝗶𝗺𝗮𝗴𝗲𝘀 𝘁𝗿𝗶𝘀𝘁𝗲𝘀 𝗮̀ 𝗿𝗲𝗴𝗮𝗿𝗱𝗲𝗿. La Chapelle Historique du Bon-Pasteur a été la proie des flammes pendant plus de 36 heures et les dégâts sont considérables. L’avenir du piano Fazioli est encore incertain, sa structure étant encore trop gonflée d’eau pour faire un constat. Cela dit, nous sommes solidaires avec l’équipe exceptionnelle de la Chapelle et sommes derrière vous. 𝗡𝗼𝘂𝘀 𝗮𝗹𝗹𝗼𝗻𝘀 𝗿𝗲𝗰𝗼𝗻𝘀𝘁𝗿𝘂𝗶𝗿𝗲 », écrit Oliver Esmonde White.
Rappelons que ce piano, dont l’acquisition avait causé une controverse à l’époque, a été inauguré en 1988 par nul autre que Marc-André Hamelin.
Un élan de solidarité
Au milieu de cette catastrophe, de nombreuses voix se font déjà entendre en soutien à la Chapelle.
« Les messages de soutien des gens du milieu et l’élan de solidarité pour espérer reconstruire cette salle me touchent énormément, dit Simon Blanchet. C’est certain que les messages de la mairesse Valérie Plante et du ministre de la Culture étaient des messages d’espoir. Si la structure permet de reconstruire! Dans les prochains jours, des inspecteurs vont entrer dans le bâtiment pour déterminer la cause du feu et inspecter la structure. Par la suite, on aura plus de détails. »
En effet, la mairesse Valérie Plante a déclaré: « L’incendie du bâtiment patrimonial est une terrible nouvelle pour les gens qui y habitaient et la communauté musicale montréalaise, mais nous sommes motivés à le réhabiliter. »
Il reste à savoir si l’état de la structure le permettra.
Simon Blanchet affirme avoir reçu des propositions de musiciens offrant d’organiser des événements bénéfices afin de récolter des fonds. Le Studio de musique ancienne de Montréal a déjà émis un communiqué pour souligner son appui inconditionnel à la Chapelle :
« La perte est immense pour la communauté de la musique ancienne, pour nos artistes et pour nous-
mêmes. Nous identifions la Chapelle comme LA maison de la musique ancienne, baroque et classique à
Montréal. La pensée que la Chapelle ne figurera plus dans le paysage culturel de Montréal nous attriste
au plus haut point. Espérons qu’un plan de reconstruction sera rapidement présenté pour sauvegarder
ce joyau. » – Marie-Christine Trottier, présidente du conseil d’administration, et Andrew McAnerney,
directeur artistique, SMAM
En espérant la reconstruction
Quoiqu’il en soit, reconstruire un édifice patrimonial n’est pas une mince affaire, et si cette reconstruction va de l’avant, ce que nous espérons de tout cœur, il faudra du temps. En attendant, Simon Blanchet espère quand même présenter la saison 2023-2024 et honorer les contrats des musiciens qui devaient s’y produire, tout en maintenant le lien privilégié de la salle de concert avec son fidèle public.
« On aimerait maintenir la saison en la présentant dans un autre lieu, dit-il. On explore présentement les possibilités. Vendredi, j’ai eu une réunion d’urgence avec le service de la culture de la Ville de Montréal et ils souhaitent m’appuyer dans cette démarche. »
En terminant, Simon Blanchet remercie les pompiers de Montréal, non seulement pour le travail qu’ils ont fait pour combattre les flammes, mais pour l’immense gentillesse dont ils ont fait preuve lorsqu’ils l’ont accompagné pour retourner dans la salle au lendemain du feu, ce qu’ils ont fait, également, avec les résidents du complexe.
Car au-delà de la salle de concerts, les résidents des appartements de l’ancien monastère ont perdu leur domicile, où certains habitaient depuis des décennies.
Y a-t-il lieu de lancer une pétition pour mettre de la pression sur les gouvernements en vue de la reconstruction?
« Il est encore trop tôt pour le dire puisqu’on ne connaît pas encore l’état de l’immeuble, il faut voir ce que les ingénieurs et les architectes vont en dire, mais j’espère que l’on gardera ce mouvement de solidarité bien vivant », dit Simon Blanchet.
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