
Quant la Salle Bourgie a ouvert ses portes en 2011, on ne se doutait pas encore à quel point elle changerait la vie musicale à Montréal. Aux commandes de cette petite révolution: Isolde Lagacé, directrice générale et artistique. Une décennie plus tard, à quelques mois de son départ, le concert d’ouverture de cette saison 2022-2023, le 18 septembre, nous racontera sa vie en musique à travers des pièces qui l’ont marquée. Entretien.
Si la date officielle de son départ est fixée au 15 novembre, Isolde Lagacé compte bien être présente à plusieurs concerts tout au long de cette dernière saison qu’elle a elle-même planifiée avec soin. Elle a bien l’intention d’assister aux événements qui lui tiennent à cœur. L’un de ses grands projets, l’intégrale des Cantates de Jean-Sébastien Bach étalée sur huit ans, et retardé en raison de la pandémie, prendra fin seulement en mars.
« Je ne ferai plus de gestion quotidienne, mais le soir, je serai souvent au concert, dit-elle. Le 15 novembre, je n’ai pas l’intention de disparaître. Mon agenda est rempli de dates intéressantes à la Salle Bourgie. Si on ne me voit pas à un concert, c’est simplement parce ce que je ne suis pas à Montréal ce jour-là. »
Pour ce concert d’ouverture, elle a choisi surtout des pièces baroques.
« Ce concert est une idée de Matthias Maute, le directeur artistique de l’Ensemble Caprice, dit-elle. C’est une invitation de sa part à créer un programme pour son ensemble. Il m’a suggéré de prendre des pièces significatives dans ma vie et d’en parler au public. J’ai donc choisi des œuvres qui convenaient à Caprice, et qui mettent en valeur des instruments de notre collection. Je suis donc partie de mon enfance en choisissant des œuvres qui ont été importantes dans ma vie pour toutes sortes de raison, et je vais en parler, non pas de façon musicologique, mais avec des histoires personnelles. »
Premier exemple: la Cantate BWV 51.
« C’est la cantate qui a été chantée au mariage de mes parents, à Vienne, en février 1957, dit-elle. Quand j’étais petite, mes parents écoutaient beaucoup de Bach à la maison, et ils écoutaient souvent cette cantate. Chaque fois qu’ils mettaient le disque, ils disaient ‘ça, c’est ce qu’on a eu à notre mariage’ et pour moi, c’était rempli d’émotion. Quand je me suis mariée, nous l’avons fait jouer aussi, par nos amis musiciens. Elle est donc bien spéciale pour moi. »
Tout le programme du concert est donc bâti de cette façon, avec une anecdote pour chaque pièce.
Quand la famille Lagacé allait visiter les grands-parents maternels, le dimanche, son père, le réputé organiste Bernard Lagacé, se mettait au piano et jouait des sonates de Mozart.
« Nous n’avions pas de piano à la maison, mais deux clavecins et un orgue, se souvient la directrice de la Salle Bourgie. Par contre, il y avait un très beau piano à queue chez mes grands-parents. Mon grand-père était agronome, mais c’était un fou de musique. Il était ravi que sa fille épouse un musicien. Chaque fois qu’on arrivait, il demandait à mon père de jouer une sonate de Mozart, et c’était comme un vrai concert. Il fallait s’asseoir et écouter. Déjà, à l’époque, je trouvais qu’on était privilégiés d’avoir ces moments. Dans ma tête, la visite chez mes grands-parents étaient notre concert dominical. J’ai donc choisi un concerto de Mozart pour le programme parce que nous avons un orchestre, bien sûr, et pour faire entendre notre pianoforte. »
Ce pianoforte, fabriqué en 2020 aux États-Unis par Rodney J. Regier, est inspiré des instruments autrichiens des années 1820. Il a été inauguré le printemps dernier. Dimanche, c’est Ilya Poletaev qui interprétera le Concerto no 23 de Mozart sur l’instrument.

Bilan d’une décennie exceptionnelle
Depuis 10 ans, la Salle Bourgie a présenté une centaine de concerts par saison et accueilli des dizaines de milliers de spectateurs pour entendre les artistes d’ici et d’ailleurs. À la fois directrice générale et artistique, Isolde Lagacé a travaillé sans relâche.
« Je n’aurais jamais pu rêver d’un si beau projet que la Salle Bourgie pour réaliser ce qui me tient à cœur, dit Isolde Lagacé. Si je crois en quelque chose, et quand je fais ce que j’aime, ça me donne l’énergie du batailleur. Dans ma vie, je n’avais pas de plan de carrière. J’ai fait beaucoup de danse classique, j’ai fait beaucoup de théâtre, et même si j’ai grandi au sein d’une famille de musiciens, j’ai commencé à étudier la musique et à jouer d’un instrument (NDLR: le clavecin) plus sérieusement sur le tard. Je ne me suis pas assise pour planifier mon parcours, mais je pense constamment à mes projets, et la Salle Bourgie est une opportunité qui s’est présentée à moi. »
« La vie m’a menée là, et je pense qu’il n’y aurait pas eu de plus belle réalisation pour moi que d’être amenée dans un si beau lieu, une belle salle de concert dans un terreau aussi fertile, avec tous les bons musiciens que nous avons au Québec. Ça a été un cadeau d’avoir cette salle avec l’apport financier de la Fondation Arte Musica et de Pierre Bourgie, qui m’ont permis de mettre mes énergies à la bonne place au lieu de passer mon temps à chercher du financement. J’ai pu mettre mon énergie à bien gérer et à concevoir la programmation. Au début, j’étais pratiquement seule et j’ai travaillé fort. J’ai pu réaliser des projets phare comme l’intégrale des Cantates de Bach, et les musiciens m’ont apporté énormément d’idées formidables. Je croyais fermement à la nécessité de cette salle, et au partage avec le public. »
Cette décennie lui a donné raison: on ne pourrait plus imaginer Montréal sans la Salle Bourgie. Et on souhaite à Isolde Lagacé une retraite bien méritée! D’ici là, on a tous hâte d’entendre la suite de ses anecdotes musicales, ce dimanche.
Concert Isolde Lagacé, une vie en musique: 18 septembre, 14 h 30, Salle Bourgie.

Interprètes
Ensemble Caprice
Matthias Maute, direction
Magali Simard-Galdès, soprano
Mélisande McNabney, orgue
Ilya Poletaev, pianoforte
Programme
VIVALDI Concerto pour deux trompettes en do majeur, RV 537
HANDEL Concerto pour orgue, op. 4 no 6
AVISON Concerto grosso no 5 en ré mineur, d’après Scarlatti
MOZART Concerto pour piano no 23 en la majeur, K. 488
J. S. BACH
Prélude pour orgue BWV 553
Cantate Jauchzet Gott in allen Landen [Exaltez Dieu en toutes les contrées], BWV 51
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