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CRITIQUE | Il Trovatore: une distribution étincelante dans un décor morose

Par Caroline Rodgers le 11 septembre 2022

De gauche à droite: Matthew Trevino (Ferrando), Marie-Nicole Lemieux (Azucena), Étienne Dupuis (comte de Luna) (Photo: Vivien Gaumand)

De tous les opéras de Verdi, Il Trovatore est l’un de ceux dont l’intrigue est la plus échevelée et truffée de rebondissements. À voir le décor et la mise en scène de la production présentée en première à l’Opéra de Montréal, hier, on se serait plutôt cru égarés dans une scène du Dialogue des Carmélites. 

Avant d’aller plus loin, précisons le plus important: les interprètes sont fantastiques. Marie-Nicole Lemieux (Azucena), Luc Robert (Manrico), Étienne Dupuis (Comte de Luna), Nicole Car (Leonora) forment un quatuor de héros quasi infaillibles et de calibre international.

Malheureusement, on les fait évoluer dans un décor d’une austérité monacale qui a l’effet d’un éteignoir sur cette histoire rocambolesque, comme si on avait voulu en retirer toute les couleurs et la magie. Les chanteurs se déplacent sur une scène noire en pente, lisse et vide, sans mobilier, devant un fond sombre qui représente la nuit au clair de lune.

Des changements surviendront dans cette toile de fond aux actes suivants, mais le tout reste minimaliste, sans éclat et lugubre. Un décor désincarné qui nous donne peu d’indices sur l’époque, les lieux, la symbolique, le sens de l’œuvre ou de quelconques références culturelles, comme si on avait voulu créer une trame générique que l’on pourrait recycler plus tard dans une autre production. Les costumes sont d’époque, mais quelconques.

À l’exception d’un bouquet de fleurs noires omniprésent dans les bras d’Azucena, ainsi que des lances des soldats, il y a aussi absence d’accessoires. Au deuxième acte, le feu des gitans est un cercle de lumière orange projeté au sol, et le célèbre « Chœur des enclumes » n’a pas d’enclumes. Après tout, pourquoi faire plaisir au public quand on peut l’en priver?

Bref, tant les éléments scénographiques que la mise en scène et la direction d’acteurs de Michel-Maxime Legault donnent l’impression d’une lecture de l’œuvre demeurée en surface, sans direction consistante. Il est justifié de vouloir sortir des clichés et des mises en scène traditionnelles, mais il faut alors proposer des idées, une vision alternative qui apporte un éclairage nouveau.

Si l’on veut à tout prix y voir du positif, disons que cette sobriété excessive a pour effet de recentrer l’attention de l’auditoire sur la beauté des voix.

 

Nicole Car, soprano, incarne Leonora dans Il Trovatore à l’Opéra de Montréal du 10 au 18 septembre 2022 (Photo: Vivien Gaumand)

Les interprètes

Étienne Dupuis est un baryton fiable: on peut toujours compter sur lui pour des prestations vocales impeccables, qui gagnent en souplesse et en profondeur avec les années. Cette fois-ci, il est tout aussi impressionnant, tant sur le plan musical que celui de la technique vocale, mais il projette l’image d’un comte de Luna plus froid et calculateur que colérique et amoureux. On aurait aimé qu’il insuffle plus de passion à son personnage.

Comme cela avait été le cas dans Eugène Onéguine en 2019, Nicole Car est sublime. Une voix pure, maîtrisée, sans défauts, qui nous fait entendre des couleurs et des subtilités magnifiques. Elle sera chaudement applaudie.

Luc Robert est excellent, sensible, doté d’une voix mature et souple, bien campé dans le rôle de Manrico, avec quelques petits moments de fatigue.

C’est à Marie-Nicole Lemieux que revient la palme de l’interprétation, dans le rôle extrêmement exigeant de la gitane Azucena. Théâtrale et convaincante en plus de chanter à la perfection, elle donne du relief à son personnage sans tomber dans la caricature et les clichés habituels de la méchante sorcière. Azucena n’est pas qu’une marginale vengeresse, c’est aussi une mère et une femme déchirée, tourmentée par le remord. La contralto en comprend bien les paradoxes et nous la montre dans toute sa complexité. Les plus beaux moments lyriques de la soirée sont d’ailleurs les duos entre elle et son fils Manrico, Luc Robert. 

Certains aspects auraient pu être mieux travaillés, dont les interactions entre les personnages, qui sont peu développées. Si leurs voix se complètent et fusionnent, le jeu scénique n’a pas suivi, et on ne sent pas de chimie particulièrement entre eux, ils se regardent peu, même les amoureux se touchent à peine. Quand Leonora meurt, étendue par terre, elle semble un peu laissée à elle-même. Manrico se tient derrière elle sans la soutenir. Ont-ils peur d’attraper la COVID? Leur langage corporel ne suit pas l’intensité du moment. C’est un non-sens. En cette première, il n’y a pas de complicité évidente au sein de la distribution.

Quant aux personnages secondaires, ils sont assez bien servis par Matthew Treviño (Ferrando), Kirsten LeBlanc (Iñez) et Angelo Moretti (Ruiz). L’Orchestre Métropolitain, dirigé par Jacques Lacombe, ainsi que les chœurs, s’acquittent de leur tâche avec professionnalisme.

Y allez ou ne pas y aller?

La question ne se pose même pas: pour la qualité exceptionnelle des interprètes, on y va.

D’autres représentations auront lieu les 13, 15 et 18 septembre. DÉTAILS ET BILLETS

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