Voilà bien une œuvre complexe et surtout dense avec plusieurs couches de sens et de niveaux de lecture. Written on Skin est considéré comme l’un des grands opéras de ces vingt dernières années. Critique.
Cette œuvre lyrique est une commande de cinq compagnies d’opéras : Nederlandse Opera (Amsterdam), Théâtre du Capitole (Toulouse), Royal Opera House Covent Garden (Londres), Teatro Stabile del Veneto, et le Festival d’Aix-en-Provence où elle fut créée en 2012. L’Opéra de Montréal présente cette nouvelle production en première canadienne.
Nicole Paiement dirige l’Orchestre Symphonique de Montréal dans cette partition riche et complexe.
« Pour certaines parties, il n’y a pas moins de 22 lignes de cordes », expliquait-elle lors du pré-opéra mené par Pierre Vachon. Un moment que je vous conseille de vivre une heure avant chaque représentation pour avoir toutes les clés d’accès à cette œuvre contemporaine qui s’inspire de la musique classique, mais aussi médiévale et moderne.
« Par une métaphore du désir charnel inspirée de l’Amour courtois, voici un opéra vivant, miroir de notre époque; une tragédie classique, universelle, nourrie de beaucoup d’influences baroques, qui résonne encore aujourd’hui », insiste le musicologue.
À partir d’une légende occitane du haut moyen-âge, le « cœur mangé », qui met en scène un triangle amoureux (le mari tue l’amant dont il fait manger le cœur à sa femme), l’auteur Martin Crimp a écrit un livret à la mesure de son œuvre théâtrale, à la fois noire dans la trame et lumineuse dans le propos et la symbolique. La musique de George Benjamin l’est tout autant.
Second opus lyrique du tandem Crimp/Benjamin, cette partition n’est pas sans me rappeler des œuvres de Benjamin Britten, ou encore l’opéra Les Soldats de Bernd Alois Zimmermann. Mais revenons à cette histoire « écrite sur la peau », comme une scarification dans la trame, un tatouage dans l’esprit…
Une histoire actuelle vieille de 800 ans
Selon Martin Crimp (Le Monde, 9 juillet 2012), trois anges racontent cette histoire vieille de 800 ans mais, ô combien, encore actuelle d’une femme qui se libère du joug de son mari : « un riche propriétaire terrien, le Protecteur (Daniel Okulitch) invite un artiste, le Garçon (Luigi Schifano), à réaliser un livre d’enluminures afin d’immortaliser son pouvoir, mais aussi sa domesticité incarnée par sa femme Agnès (Magali Simard Galdès).
Mais ce livre relatera la rébellion de l’épouse, son intimité avec l’enlumineur et son émancipation, forçant son mari à la voir telle qu’elle est réellement », jusqu’à l’envol libérateur… mais inéluctable. On pense déjà à #MeToo et l’affaire Weinstein… Pour Alain Gauthier qui signe une excellente mise en scène, de « nombreux anachronismes soulignent la juxtaposition des époques. »
La scénographie d’Olivier Landreville complète ce discours avec un univers de ruines et de tourelles mobiles qui par moments rappellent l’échafaud des condamnés. Une scénographie réussie et belle … même si j’ai toujours des réserves sur les – trop nombreux selon moi – mouvements de décor, et plus particulièrement la table et les bancs qu’on déplace quasiment à chaque scène.
Parallèlement, ce « théâtre dans le théâtre » induit la psychologie des personnages. Dans ce même esprit du théâtre dans le théâtre, les protagonistes sont habillés, déshabillés puis rhabillés sur scène par les assistants chargés des mouvements de décor. Et en ce qui concerne les costumes, on remarquera l’élégance intemporelle et sobre de Philippe Dubuc qui signe ici sa première participation, ses « débuts à l’ODM ».
Voix et costumes impeccables
La voix solide et très expressive de la soprano Magali Simard Galdès exprime à souhait la fragilité puis la prise de puissance d’Agnès. La voix ample et harmonieuse, présente et intense dans le rôle, même dans les pianissimi, du baryton-basse Daniel Okulitch démontre toute la démesure du Protecteur.
La partition du contreténor Luigi Shifano (Le Garçon, et l’Ange 1) qui ne quitte pratiquement jamais la scène, élève sans cesse vers le ciel l’espoir d’une vie meilleure pour les protagonistes.
Avec un timbre clair, une articulation précise, ce contreténor italien est à suivre. Une distribution complétée par l’excellente mezzo-soprano Florence Bourget (l’Ange 2; et Marie, la sœur d’Agnès) et le ténor Jean-Michel Richer (l’Ange 3; et John, le compagnon de Marie). Ils font un appoint vocal et dramatique à l’égal mesure de leurs camarades de scène.
Une distribution de talent!
Vous voulez y aller? :
Mardi 28 et jeudi 30 janvier, 19 h 30; dimanche 2 février, 14 h; Salle Wilfrid-Pelletier. DÉTAILS
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