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SOUVENIRS | Plus drôles que le Bye bye: 10 chroniques assassines en mémoire de la plume vitriolique de Claude Gingras

Par Caroline Rodgers le 31 décembre 2018

Claude Gingras, critique musical, 1931-2018.

Qu’on l’ait aimé ou détesté – parfois les deux en même temps – Claude Gingras a marqué la vie musicale québécoise par la qualité de sa plume incisive pendant 60 ans. Si certains artistes ont bénéficié de ses bonnes grâces, d’autres ont goûté à son vinaigre! Voici des extraits de 10 chroniques qui nous rappellent qu’au-delà de ses connaissances encyclopédiques, le succès du critique tenait beaucoup au fait qu’il était avant tout divertissant à lire.

NOTE: Les sous-titres mentionnés ici sont les titres véritables des chroniques publiées dans La Presse.

Pauvre Angèle – La Presse, 8 novembre 1988

Ces mots durs sur Angèle Dubeau sont sans doute les plus célèbres de ses terribles critiques. La phrase sur le Stradivarius de la violoniste est demeurée dans les annales.

« Angèle Dubeau compte parmi les personnes les plus aimables et les musiciens (hommes ou femmes) les moins prétentieux que je connaisse.

J’aimerais ajouter qu’elle est une grande violoniste. Hélas! malgré la meilleure volonté du monde, et au risque même de provoquer une levée de boucliers sur le territoire entier de Lanaudière, où elle a statut d’«héroïne nationale», je ne vois en elle rien d’autre qu’une violoniste de seconde zone. Pis encore: à 26 ans maintenant, la douce Angèle constitue, j’en ai bien peur, un cas désespéré. 

[…]

« Tout le monde sait qu’Angèle Dubeau joue sur un Stradivarius. Il s’agit, à mon sens, d’un pur gaspillage ».

 

Renée Fleming: l’art de « tourner autour » – La Presse, 7 avril 2003

Si l’on examine de près les écrits de Claude Gingras, on constate qu’il a souvent écorché les gens qui jugeait surestimés ou prétentieux. Ce fut souvent le cas avec les chanteuses américaines.

« J’AIMERAIS résumer en un mot l’impression que m’a laissée Renée Fleming. Ce mot, ce serait NON.

[…]

Authenticité, noblesse et grandeur sont des vertus qu’il est impossible d’appliquer à Miss Fleming. Tout d’abord, elle n’a absolument pas ce qu’on appelle « de la classe ». Pire que d’avoir l’air d’une petite secrétaire de bureau, son comportement en scène fait cheap . Même avec ses toilettes qui doivent coûter les yeux de la tête.

[…]

Hier, si j’ai pleuré en observant la fille Fleming, c’est que j’avais enterré mon pauvre chien deux heures plus tôt. »

 

Joshua Bell: rien à dire – La Presse, 17 janvier 2011

Claude n’aimait pas que la foule soit béate devant des musiciens qu’il jugeait ordinaires, et il le soulignait souvent dans ses critiques.

« Il a aujourd’hui 43 ans. Il a atteint la maturité… en âge seulement. Comme musicien et comme interprète, il est demeuré au même niveau qu’autrefois: celui du sympathique adolescent, de l’élève très appliqué, du débutant très prometteur.

[…]

En fait, Bell semblait tellement loin de l’essence des oeuvres qu’il n’y a pas, dans tout ce qu’il a joué, une seule mesure de musique qui m’inspire le moindre commentaire.

[…]

« Enjoy the show! » (sic) a lancé une voix anonyme au micro à 14h30. Environ 2000 personnes avaient répondu à l’appel, majoritairement des gens peu habitués au concert, venus du Violon rouge et autres cinémas, qui ont écouté dans un beau silence mais dérangé le déroulement des oeuvres en applaudissant machinalement après chaque mouvement. En fait, elles n’ont pas dérangé grand-chose… « 

 

Jessye Norman ou l’art de ne rien dire – La Presse, 16 mai 1993

Irrévérencieux: c’est sans doute la caractéristique qui décrirait le mieux son attitude. Claude Gingras n’avait que faire de la réputation d’un artiste, s’il trouvait que cette réputation était surfaite. Les « grands noms » ne l’intimidaient pas et il ne s’est jamais privé d’égratigner les plus « grands ». Lui qui avait rencontré la Callas, il en avait vu d’autres.

Ici, le journaliste raconte une conférence de presse organisée avec la célèbre diva américaine.

« La tête enveloppée dans une espèce de turban vert à rendre jalouse Francine Grimaldi, Jessye Norman a signé des autographes pendant deux heures hier après-midi, chez Archambault.

[…]

La «conférence de presse», si j’ose dire, se déroule devant des douzaines de curieux qui, retenus par un cordon, se sont attardés après la séance d’autographes. L’impression est celle d’être dans une vitrine. La vedette trône. Elle en a l’habitude. Nous, pas.

[…]

Étant donné que le sujet m’intéresse assez peu, je ne me précipite pas. Je laisse Marie Laurier, du Devoir , risquer la première question: «Quelle robe porterez-vous à votre récital?» Je comprends Marie: c’est le niveau de questions qu’inspire Jessye Norman. Réponse: «On verra!»

Madame se moque visiblement de nous. Qu’elle sache que le sentiment est tout à fait réciproque.
Son air suffisant n’invite aucune espèce de dialogue. Il est vrai que j’ai négligé de me prosterner devant la déesse, que je ne lui ai pas baisé les pieds et que je ne l’ai pas suppliée de m’entendre lui dire «Vous êtes la plus grande des plus grandes», ou quelque chose du genre.

[…]

Le représentant de sa maison de disques demande s’il y a d’autres questions. Sur un ton qui laisse entendre que les questions sont inutiles, j’observe: «Mais il n’y a pas de réponses…»

 

OSM/Terrorisme – La Presse, 4 octobre 2001

Un titre qui frappe, c’est le moins qu’on puisse dire! Mais les paragraphes très imagés qui suivent ne sont pas piqués des vers.

« Un mot circule partout ces jours-ci: terrorisme. Il m’est venu à l’esprit hier soir en observant Pinchas Zukerman, playboy grisonnant du violon, zieuter la blonde et demi-nue joueuse de violoncelle avec laquelle il s’exhibe maintenant. Ce que ces deux-là, elle surtout, ont infligé à Beethoven était proche d’un saccage. Heureusement, le compositeur n’aurait rien entendu.

[…]

L’après-entracte sera occupé par la plus médiocre lecture du Triple Concerto que j’aie entendue et dont, encore une fois, je libère MM. Bertsch et Lortie, ce dernier souffrant manifestement le martyre en écoutant, au début du mouvement lent, la joueuse de violoncelle cherchant à joindre une note à une autre et à y conserver un minimum de justesse et un semblant de son. À cause, peut-être, d’un phénomène de mimétisme, M. Zukerman sentit lui aussi sa justesse glisser à plus d’un moment. »

 

Nézet-Séguin plutôt que Nagano – La Presse, 17 décembre 2011

Dans cette critique comparative de deux disques, Claude Gingras marque sa préférence pour Yannick Nézet-Séguin, préférence qui ne se démentira pas par la suite.

« Concurrents sur notre scène musicale – pour ne pas dire plus! -, les chefs respectifs de nos deux principaux orchestres se rencontrent, pur hasard, sur le même terrain: la musique d’Anton Bruckner.

[…]

Bien que séparés par une génération, les deux chefs ont Bruckner bien ancré dans leur répertoire et tous deux signent ici des interprétations respectueuses de cette musique noble et grandiose. À valeur égale, les deux symphonies créent pourtant des impressions bien différentes. Nagano reproduit scrupuleusement toutes les nuances; Nézet-Séguin les vit intensément. Le Bruckner de Nagano n’émeut jamais; celui de Nézet-Séguin vient du coeur et fait vibrer à chaque instant. Cette Romantique que j’ai entendue je ne sais plus combien de fois, j’ai le sentiment de la découvrir, alors que cette version de la Septième ne se distingue en rien de douzaines d’autres. Ce rapprochement m’apporte une nouvelle confirmation – et j’ose le dire – que Nézet-Séguin est un plus grand musicien que Nagano. »

 

Le pianiste et le joueur de piano – La Presse, 26 mars 2012

Il n’était pas rare que Claude Gingras assiste à deux concerts le même week-end et en fasse un compte-rendu dans la même chronique. Cette comparaison douloureuse entre Marc-André Hamelin et Cyprien Katsaris en est un bon exemple.

« Si Marc-André Hamelin n’est pas l’un des grands pianistes actuels, au monde entier, je me demande bien qui l’est. Cette impression très forte a accompagné chacune des oeuvres qu’il jouait hier après-midi au LMMC où, invité une troisième fois, il était accueilli par une salle archi-comble (assortie d’une longue liste d’attente!). 

[…]

Samedi soir

Après son exécution de la fameuse Polonaise militaire de Chopin, Cyprien Katsaris saisit le micro pour « avertir les jeunes pianistes de ne jamais imiter ce qu’ils viennent d’entendre, sous peine d’être décapités par les critiques et juges de concours ».

[…]

Le pianiste franco-chypriote de 60 ans aurait pu garder pour la toute fin de l’interminable soirée (vers 22h30) cet « avertissement » qui, en fait, s’appliquait à la quasi-totalité de ce qu’il venait de nous infliger. Car si le Chopin fut effectivement marqué d’erreurs flagrantes (notes escamotées, notes autres que celles qui sont écrites, etc.), presque tout ce qui précédait et suivait fut du même médiocre niveau. »

 

Monsieur Mazurka – La Presse, 16 juillet 2010

Dans cette amusante chronique qui aurait pu s’intituler « Les aventures de Claude à Lanaudière », le critique passe presque autant de temps à raconter son pénible trajet pour se rendre au festival qu’à parler du récital du pianiste Cédric Tiberghien.

« Un accident dont j’ignore la nature avait complètement paralysé la circulation sur l’autoroute – déjà encombrée de ces perpétuels «travaux d’été» – qui mène de Montréal à Joliette. Heureusement, des personnes qui se rendaient au concert avaient eu la présence d’esprit d’en informer par téléphone la direction du Festival. Une remarque, concernant ce village situé au sud de la «capitale» de Lanaudière. La petite route qui y conduit débouche à un moment donné sur une fourche et il n’y a pas là le moindre panneau indiquant d’aller à gauche ou à droite. Je vais presque chaque année à Saint-Paul, mais je ne passe pas l’hiver à me remémorer qu’il faut aller à droite!

Le chauffeur qui me conduisait à Saint-Paul hier soir a, bien sûr, pris la gauche. Se rendant bientôt compte de son erreur, il fit une rapide volte-face dans une entrée de maison, faillit frapper un gros chien qui courait après la voiture en jappant, demanda à toute vitesse son chemin à la maîtresse du chien qui lui répondit à la même vitesse «C’est par là!», et arriva à destination juste à temps pour le concert.

J’atterris sur mon banc (car nous sommes à l’église!) au moment même où le pianiste plaquait son premier accord fortissimo. »

 

Alexandra ne lâche pas – La Presse, 18 mai 2012

Le critique se faisait un devoir de couvrir toutes les catégories musicales et la musique contemporaine n’y échappait pas. Il fut souvent très sévère envers les productions d’opéra.

« Pauline Vaillancourt est comme les étudiants: elle ne lâche pas. À Chants Libres, la compagnie lyrique qu’elle a fondée en 1990, elle monte annuellement des opéras d’avant-garde dans le but évident de gagner le grand public à sa cause. Le grand public ne répond jamais, bien sûr.

[…]

Le sujet de cette Alexandra, sa 14e création, avait de quoi inspirer des gens de talent et intéresser un vaste public. Hélas! le talent est absent, le public aussi. Dans les deux cas, nous assistons à un déprimant raté.

[…]

Hélas! encore, les auteurs n’ont rien tiré du personnage de la jeune Alexandra. On observe une simple pique-niqueuse peinant sous son sac à dos, alors qu’on voudrait vibrer aux épreuves de toutes sortes que l’héroïne a dû traverser. Le seul moment où on la sent face à un problème, c’est la minute qu’elle prend à ajuster son casque de poil. »

 

Le monde où on s’ennuie – La Presse, 30 janvier 1995

C’est bien connu: à l’exception de Bach, Claude Gingras n’appréciait pas beaucoup la musique baroque ou ancienne. Cette critique en est un parfait exemple.

« J’ai vu trop de gens bâiller à se décrocher la mâchoire, à l’entracte puis à la sortie – sans parler de ceux que j’ai vus dormir – , pour mettre sur le seule compte de mon allergie à une certaine musique ancienne l’ennui profond qui m’a accompagné pendant ces deux interminables heures.

Le concert tant attendu du Studio de Musique ancienne confié à Ton Koopman s’est donc soldé par une amère déception.

[…]

À quoi attribuer cet ennui ? Aux oeuvres elles-mêmes et à leur exécution, certes, mais d’abord, je le crains, à M. Koopman lui-même, qui a) les a choisies et b) n’a pas su y obtenir des choristes ce qu’en début de concert il était allé chercher avec tant de succès chez les instrumentistes.

Ces pages étant toutes assez semblables, c’est le travail du chef d’en faire quelque chose d’intéressant, de stimulant. M. Koopman s’est contenté d’une direction terne qui ne nous changeait guère du style Christopher Jackson – si on peut parler ici de «style»… »

 

 

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