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IN MEMORIAM | Le critique musical Claude Gingras est décédé

Par Caroline Rodgers le 30 décembre 2018

Claude Gingras en 1992, dans une entrevue accordée à l'émission "État critique".
Claude Gingras en 1992, dans une entrevue accordée à l’émission « État critique ».

C’est littéralement avec les mains qui tremblent que je reprends cette nouvelle annoncée sur le site de Radio-Canada : mon ancien collègue, Claude Gingras, est décédé ce matin, à 87 ans.

Vous lirez certainement des biographies plus détaillées de Claude, dans d’autres médias, mais je préfère témoigner ici de ce que j’ai connu de lui, pour le meilleur et pour le pire.

Nous le savions mal en point depuis quelques temps, car son cancer avait repris de plus belle. On m’a dit qu’avec son entêtement habituel, il refusait d’aller à l’hôpital. « Ils vont m’achever », disait-il.

Claude est entré à La Presse en 1953 comme journaliste de variétés. Peu de temps après, il devenait le critique de musique classique qui serait un jour le plus redouté, et, par certains, le plus détesté, mais aussi, des plus respectés.

On le sait: il avait, dans son appartement du Carré St-Louis, une immense collection de plus de 100 000 disques, dont certains étaient des raretés dont il ne se serait départi pour rien au monde, disait-il.

Au fil de sa longue carrière, Claude a publié des centaines de critiques musicales. Il couvrait tout: les grands orchestres, la musique de chambre et parfois les récitals d’ensembles et de musiciens peu connus qu’il contribuait à faire connaître. Certains musiciens, qu’il a suivis dès leurs débuts, lui doivent une fière chandelle. Pas une semaine ne passait sans qu’il se rende à moins de trois concerts, les soirs, les fins de semaine. Il ne s’arrêtait jamais.

C’est à contrecœur qu’il a pris sa retraite de La Presse en 2015, signant son dernier texte, une critique d’Elektra à l’Opéra de Montréal. 

Déjà, depuis deux ans avant son départ, il travaillait à mi-temps. On le voyait arriver, le lundi après-midi, à la salle de rédaction (où j’ai eu moi-même un bureau comme surnuméraire à la section des arts pendant toute l’année 2014). Il préparait sa chronique du lendemain, sa liste des concerts de la semaine, et critiquait encore un concert ou deux par semaine. Je dois avouer que je redoutais un peu ses visites, puisque, planté devant mon bureau, il commentait impitoyablement chacun de mes articles.

Souvenirs

Au fil des ans, Claude et moi avons eu des relations assez courtoises, qui se sont un peu gâchées vers la fin. Pendant sept ans, il a été assez respectueux à mon égard, et ses commentaires concernaient des petits détails, mais qui comptaient à ses yeux. Je me souviendrai toujours de la première fois où je l’ai vu arriver, cela devait être en 2009, alors que j’étais pigiste à la section Affaires. Sans poste permanent, j’avais élu domicile dans un coin de la salle où l’on tolérait ma présence. Je m’incrustais, comme on dit.

Me sachant diplômée en musique, on m’avait confié quelques articles sur le classique. J’avais fait une entrevue avec Manon Feubel. Quelques jours plus tard, je vois arriver Claude, son journal plié sous le bras, qu’il me brandit en disant :

« Aida, ça ne prend pas de trémas sur le i! Quand on met des trémas, ça veut dire que l’opéra est chanté en français! »

Quelques années plus tard, il me téléphonait chez moi. Il avait aimé ma critique du concert de l’OSM au Parc olympique.

« C’est comme si on y était », disait-il. J’étais bien fière de moi.

Et il en fut ainsi, pendant sept ans, avec des hauts et des bas. Claude était le critique de mes critiques. Il avait bien des défauts, mais il était le journaliste le plus rigoureux que j’ai jamais vu. Il n’en laissait pas passer une. Pas une faute d’orthographe, pas une fausse note. Il pouvait se lever, en pleine conférence de presse, pour souligner les fautes dans un communiqué, faisant honte aux relationnistes.

Ce que j’ai appris de lui, ou plutôt grâce à lui, c’est à tout vérifier, revérifier et contrevérifier. Faire une erreur dans mes articles devint une phobie, car je craignais les réprimandes de Claude. Je dois aussi l’avouer: lorsque j’étais incertaine d’une information, il m’arrivait souvent de « googler » les vieux articles de Claude, pour vérifier. Je savais que s’il avait écrit quelque chose, on pouvait s’y fier.

En 2015, la direction de La Presse lui a signifié qu’il était temps de partir. Il s’est retiré, chez lui, et on ne l’a plus jamais revu à un concert. Il écoutait des séries, dit-on. Il redécouvrait la télévision, qu’il n’avait presque jamais regardée pendant ses 60 ans de carrière. Il aimait Maggie Smith, dans Downton Abbey. Elle lui faisait penser à sa mère.

J’ai eu des sentiments contradictoires envers Claude pendant toutes ces années, et bien qu’il m’ait fait pleurer une ou deux fois, je ne l’en ai pas moins respecté. Claude m’a parfois dit des choses terribles que je ne saurais reproduire ici. Mais je me disais toujours « il est vieux, on ne doit pas lui en vouloir ».

Une fois, après sa retraite, je l’ai croisé sur la rue. Il portait un grand chapeau et semblait de belle humeur. Il m’a parlé comme si on n’avait jamais eu la moindre mésentente, et c’est ce souvenir-là que je veux garder.

Quoique l’on pense et dise de lui, il aimait la musique et s’était mis à son service. C’était le gardien d’une certaine tradition. C’était sa mission, dans la vie, d’exiger du monde musical un haut standard de qualité, représentant d’une espèce en voie de disparition, une race de critiques musicaux que l’on ne verra plus.

On dit que sa collection d’archives deviendra une sorte de musée. J’espère que c’est vrai, car Claude fut non seulement le témoin privilégié de la vie musicale montréalaise pendant des décennies, mais aussi, à sa façon, il fut un monument.

Repose en paix, collègue.

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