Depuis l’acquisition en 2015 par la Fondation Arte Musica d’un rare piano Érard fabriqué à Londres en 1859, les mélomanes montréalais peuvent savourer la sonorité particulière de cet instrument issu d’un autre siècle. Que le résultat nous laisse charmés ou dubitatifs, on ne peut nier que cela nous rapproche un peu de l’expérience musicale des pianistes qui en ont possédé, dont Chopin, Fauré, Liszt et Ravel.
En effet, si le mouvement de renouveau de l’interprétation de la musique baroque exerce aujourd’hui une influence généralisée dans le répertoire de J.S. Bach, Handel, Vivaldi et leurs contemporains, on assiste à des explorations stylistiques de plus en plus fréquentes dans les répertoires plus récents. Par exemple, René Jacobs laisse la belle part au pianoforte et autres instruments d’époque dans son enregistrement de la trilogie d’opéras Mozart-Da Ponte, tandis que Philippe Herreweghe, spécialiste de Bach, s’intéresse aux immenses messes et symphonies de Bruckner. Kent Nagano est également de la partie : il collabore depuis l’an dernier avec le Concerto Köln et la Musikhochschule de Cologne à une production de la Tétralogie de Wagner selon une approche « historiquement informée ».
Voici une courte liste qui vous fera peut-être découvrir la musique pour piano sous un jour nouveau.
Les concertos de Mozart
Toujours populaires auprès du public et des interprètes, les concertos de Mozart expriment tour à tour l’innocence, la contemplation, la douleur ou le plaisir le plus pur. La sonorité plus feutrée des instruments d’époque donne une couleur particulièrement intime aux mouvements lents (par exemple l’Andante un poco sostenuto du concerto no. 18 en si bémol, K. 456 dans l’enregistrement de Malcolm Bilson). Certains pianistes, dont Kristian Bezuidenhout, jouent parfois un rôle de soutien harmonique dans les introductions orchestrales, à la manière d’une basse continue, ou bien y ajoutent quelques fioritures non écrites.
Enregistrement suggéré : Mozart – The Piano Concertos (9 CD ou en téléchargement); Malcolm Bilson, Robert Levin, Melvyn Tan (pianoforte), The English Baroque Soloists (dir. John Eliot Gardiner); Deutsche Grammophon 0289 463 1112 7
Les sonates de Haydn
En 2011 paraissait sur Naxos le résultat d’un ambitieux projet baptisé The Virtual Haydn. Entre 2004 et 2007, une équipe de l’École de musique Schulich de l’Université McGill a voyagé sur les traces de Joseph Haydn, en Autriche, en Hongrie et en Angleterre afin de mesurer précisément l’acoustique de certaines pièces, de manière à pouvoir ensuite recréer ces acoustiques et les appliquer à un enregistrement. C’est donc le son de neuf pièces (de la salle d’étude au hall de cérémonie) et de sept copies d’instruments d’époque (clavicorde, clavecins et pianos) qui se retrouve cette intégrale des œuvres pour clavier seul de Haydn.
La composante acoustique, parfois marquée, peut rendre l’écoute assez déstabilisante pour des oreilles d’aujourd’hui. De plus, le pianiste Tom Beghin n’hésite pas à faire fluctuer la pulsation en ponctuant la partition d’effets rhétoriques. Il s’agit d’un exercice d’immersion fascinant dans ce que pouvait être le son de la musique pour clavier au 18e siècle. Au milieu de cette variété de sons, on retrouve un Haydn toujours plus humoristique et spirituel.
Enregistrement suggéré : The Virtual Haydn (12 CD + DVD ou en téléchargement); Tom Beghin (clavicorde, clavecins et pianos); Naxos Records 8.501203
Les variations Diabelli de Beethoven
Les imposantes 33 Variations Diabelli, un des sommets de l’art pianistique, peuvent intimider autant les mélomanes que les interprètes. Dans ce déluge de notes d’accents imprévisibles, un pianoforte vient ajouter du mordant par la distorsion aux notes accentuées d’un sforzando, mais Beethoven sait aussi se faire tendre. Dans la variation 8 (Poco vivace), les basses sont effleurées dans des arpèges délicats, pendant que la main droite chante doucement. On retrouve ces aigus légers comme des clochettes dans la variation 10 (Presto).
Notons, dans l’enregistrement d’Andreas Staier, l’utilisation amusante et judicieuse de technologies disparues des pianos modernes : le moderator, qui place un morceau de feutre entre les marteaux et les cordes; le jeu de basson, qui applique un morceau de papier sur les cordes pour produire un effet de bourdonnement; et la pédale « turque » qui actionne des petites percussions.
Enregistrement suggéré : Diabelli Variations (CD ou en téléchargement); Andreas Staier (pianoforte d’après Conrad Graf); Harmonia Mundi HMC902091
La Fantaisie en fa mineur de Schubert
« Schubert commence à jouer du piano, ce qui me trouble encore davantage. Mais à l’écoute de ses notes, mon cœur s’emplit encore un peu plus de nostalgie – il est probable que je me sente ici plus heureux encore qu’auparavant […] » (livret d’Harmonia Mundi HMM902227, notes de Karl Böhmer)
C’est ce qu’écrivait Anton von Spaun à l’écoute de la musique de Schubert. La nostalgie qu’il décrit semble encore plus poignante au son du pianoforte Graf sur lequel Andreas Staier et Alexander Melnikov. Dès les premières notes apparaît l’esprit à la fois douloureux et beau de la fantaisie en fa mineur.
Enregistrement suggéré : Fantasie in F minor and other piano duets (CD ou en téléchargement); Andreas Staier, Alexander Melnikov (pianoforte d’après Conrad Graf); Harmonia Mundi HMM902227
Les Variations sérieuses en ré mineur de Mendelssohn
L’adjectif « sérieuses » accolé à cette œuvre se voulait-elle une réaction aux nombreuses variations brillantes dont raffolaient les pianistes au début du 19e siècle? S’il est vrai que l’énoncé du thème est austère et grave, les 17 variations qui suivent développent le drame de manière spectaculaire.
Mendelssohn a bien connu les instruments de Conrad Graf, conseillant sa sœur Rebekka, son cousin Benjamin et son ami Julius Schubring dans l’acquisition de pianos du facteur viennois. Le moderator confère à la variation 11 une couleur spectrale, tandis que dans la variation 13, il rend les triples croches piquantes et pernicieuses.
Enregistrement suggéré : Mendelssohn : Lieder ohne Worte, Rondo Capriccioso, Variations sérieuses (CD); Annette Seiler (pianoforte Conrad Graf c. 1835); musikmuseum CD13021
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