Parmi les nombreuses fonctions d’une tournée, il y a celle, importante, de fabriquer pour nous des souvenirs. Le plus indélébile de ce concert à la Kölne Philharmonie (Cologne), hier soir, sera celui de Stéphane Tétreault, si bouleversant dans le Concerto pour violoncelle d’Elgar qu’il nous a fallu un jour complet pour s’en remettre.
Encore une fois, le public allemand a offert à l’Orchestre Métropolitain et à son chef un accueil enthousiaste, avec de longs applaudissements obligeant les solistes à revenir plusieurs fois sur scène. Le mot « triomphe » nous vient évidemment à l’esprit, mais avec encore cinq concerts devant nous, si la tendance se maintient, on craint un peu de manquer de superlatifs pour les suivants.
La journaliste doit ici faire une confession, celle d’avoir raté Exil intérieur, d’Éric Champagne, après s’être perdue dans les rues de Cologne grâce à son sens de l’orientation légendaire et aux indications nébuleuses (qui plus est, en allemand) de divers quidams apparemment peu mélomanes. Heureusement, un policier a fini par me mettre sur le droit chemin en disant tout simplement « left, left » et je suis arrivée juste à temps pour entendre Alexandre Tharaud, installée temporairement dans la dernière rangée, tout en haut de cette salle en pente abrupte, non sans sentir quelques regards désapprobateurs. Ah, les aventures de voyages! Ce n’est que partie remise pour le Champagne au Concertgebouw, demain soir.
La Kölner Philharmonie est une grande salle circulaire, moderne, avec beaucoup de personnalité. Construite en 1986, elle compte 2000 places, et apparaît remplie à 80% pour le concert. L’acoustique y est très correcte et le Concerto pour la main gauche, de Ravel, est éclatant sous les doigts d’Alexandre Tharaud qui démontre assurance, liberté, et une superbe vivacité, équilibrée par du lyrisme quand il en faut.
Le pianiste français se jette dans l’œuvre de manière décidée, presque fantasque, comme s’il s’agissait d’une joute amicale. Ce concerto, qui joue énormément sur les contrastes entre des motifs martelés et très rythmés (rappelant Gershwin), et des lignes mélodiques d’une douce poésie, va comme un gant à cet artiste polyvalent et bourré de contradictions, souvent à cheval entre l’humour et la mélancolie dans les chemins artistiques qu’il emprunte. Très apprécié du public, il reviendra pour jouer magnifiquement, en rappel, le Prélude op. 9 de Scriabine, également pour la main gauche seule.
Stéphane Tétreault
Après l’entracte, je retrouve la vraie place qui m’était assignée, découvrant avec bonheur que je suis dans la deuxième rangée, très près de la scène, du côté gauche, avec vue imprenable sur le chef et le soliste.
C’est un défi que de trouver les mots pour décrire l’émotion ressentie d’entendre et de voir d’aussi près Stéphane Tétreault dans son interprétation passionnée du Concerto pour violoncelle d’Elgar, en ces lieux. La richesse, la maturité et l’intensité de son jeu sont telles qu’on se sent inévitablement transporté avec lui, dans un moment unique qui restera inoubliable.
Il y a, bien sûr, aussi, un tel sentiment de fierté de le voir arrivé là que tout se mélange : émerveillement devant sa capacité à être tout entier dans la musique, sa concentration absolue, son attention pour tout ce que fait l’orchestre, sa communication avec Nézet-Séguin, et l’incrédulité, pour moi, d’avoir le privilège de vivre cet événement.
Longuement acclamé, il reviendra saluer quatre fois.
La Mer, de Debussy, sera grandiose, spectaculaire et tout aussi satisfaisante que l’étaient, la veille, les Variations Enigma. Une démonstration, par son savoir-faire, que l’Orchestre Métropolitain peut désormais, sans perdre son âme ni sa personnalité, se présenter avec fierté sur les grandes scènes internationales.
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