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CRITIQUE | The Exterminating Angel de Thomas Adès au Met : un enfer paradisiaque

Par Julien Bilodeau le 19 novembre 2017

Joseph Kaiser, Frédéric Antoun et Sally Matthews dans The Exterminating Angel, présenté au Metropolitan Opera. (Crédit: Ken Howard).
Joseph Kaiser, Frédéric Antoun et Sally Matthews dans The Exterminating Angel, présenté au Metropolitan Opera. (Crédit: Ken Howard)

Hier avait lieu la diffusion au cinéma de l’opéra The Exterminating Angel, de Thomas Adès, en direct du Metropolitan Opera, une production à laquelle le ténor québécois Frédéric Antoun prend part dans le rôle de Raul Yebenes. Notre auteur invité, Julien Bilodeau, a assisté à la représentation et nous livre ses réflexions de compositeur sur l’oeuvre de Thomas Adès.

C’est à l’époque où il compose son Quintette avec piano que Thomas Adès a l’idée de faire un opéra à partir du film The Exterminating Angel de Luis Buñuel (1962). Sujet de prédilection pour un esprit musical foisonnant qui voyage aisément entre la folie, l’exubérance, l’humour et l’intelligence avec un savoir-faire qui étonne.

Toutefois, c’est plutôt Shakespeare qu’il rencontre alors, actualisé par la plume de Meredith Oakes et qui procurera, tant à l’opéra, en tant que genre, qu’au classique littéraire anglais, une cure de jeunesse en créant un enthousiasme presque unanime à Londres (2004) et jusqu’au MET (2012) dans sa seconde production avec Robert Lepage de l’opéra The Tempest.

Ce deuxième opus lyrique –rappelons qu’Adès compose Powder her face à 24 ans, provoquant un petit séisme partout à sa création en 1995. Il ne fait alors que remettre à plus tard son désir de porter Buñuel sur scène. Ce sera aussi le moment de sa rencontre avec Thomas Cairn qui signera l’adaptation du livret de The Exterminating Angel en demeurant très fidèle à l’original, même si l’on passe ici de l’espagnol à l’anglais. Cairn prendra aussi la responsabilité de faire la mise en scène de l’œuvre.

Le classique de Buñuel suit Viridiana (primé à Cannes) et précède la dernière grande phase de création du cinéaste réalisée en France avec son précieux collaborateur, Jean-Claude Carrière. Au risque de réduire la richesse d’une vie consacrée à la création cinématographique, on identifie surtout Buñuel aux thématiques de l’anticléricalisme et de la lutte contre la classe bourgeoise à travers le prisme éclaté du mouvement surréaliste.

The Exterminating Angel met en scène une petite peuplade bourgeoise réunie dans un manoir après avoir assisté à un opéra de Donizetti. Quinze premiers rôles sont ici requis en tout temps sur la scène, dont le ténor québécois Frédéric Antoun, qui livre une performance de très haut niveau. Pour une raison mystérieuse, qu’Adès nous fait entendre et comprendre en utilisant l’onde Martenot, tous les convives ne peuvent se résoudre à quitter les lieux. Le drame de l’opéra se tient donc dans un huis clos en chute libre se déroulant sur plusieurs jours. Ce séjour confiné réveille petit à petit tous les bas instincts de la nature humaine.

Dans The Exterminating Angel, une petite peuplade bourgeoise est réunie dans un manoir après avoir assisté à un opéra de Donizetti. Quinze premiers rôles sont ici requis en tout temps sur la scène, dont le ténor québécois Frédéric Antoun, qui livre une performance de très haut niveau. (Crédit: Ken Howard)
Quinze premiers rôles sont ici requis en tout temps sur la scène dans The Exterminating Angel, dont le ténor québécois Frédéric Antoun, qui livre une performance de très haut niveau. (Crédit: Ken Howard)

Ce qui avait semblé plus difficile dans The Tempest trouve ici très naturellement sa place. Adès est un compositeur que l’on dit éclectique et qui aime beaucoup l’instabilité. En témoignent les constants changements de métrique ou encore les successions contrastantes d’atmosphères sonores. Il incarne un postmodernisme totalement décomplexé, couplé à un savoir-faire d’exception. Ces caractéristiques s’alimentent aisément les unes les autres, avec une grande liberté, voire un naturel qui force l’admiration de plusieurs et qui projette Adès depuis maintenant vingt ans sur les plus grandes tribunes, lui valant même des comparaisons avec les plus grands compositeurs. Il est difficile de ne pas reconnaître que cette force créatrice, aussi exigeante puisse-t-elle être, trahi un naturel étonnant, mystérieux et fascinant.

N’empêche qu’avec The Tempest, l’enthousiasme général laissait voir aussi un petit malaise. Cette grande synergie musicale, qui se dévore elle-même en temps réel à la vitesse de la lumière, tendait à s’isoler, à se refermer un peu sur elle-même et à se garder à distance du livret. Affres archi connues et cent fois vécues. Pas étonnant que le genre « opéra » ait été à l’index de certaines grandes démarches de la création musicale du XXe siècle. Il était devenu soudainement très difficile, pour certains, de trouver la concordance entre l’extrême singularité d’une démarche musicale et le genre « opéra », sinon par la mise en scène du drame que la musique, elle-même, représente, dans son héroïque combat pour s’affranchir d’une tradition bourgeoise et complaisante. On pense ici notamment à Luigi Nono. Aussi, l’écoute de The Tempest est apparue à plusieurs comme une épreuve d’audition peut-être un tantinet trop exigeante, probablement parce qu’elle s’isolait du drame littéraire qui se jouait devant nous.

Thomas Adès incarne un postmodernisme totalement décomplexé, couplé à un savoir-faire d’exception.

Or, avec The Exterminating Angel, Adès retrouve la même complicité que dans Powder her Face, c’est-à-dire cette sorte d’union implacable entre la nature d’une musique étourdissante et la spirale d’une situation surréaliste. Les lignes vocales, très souvent perchées dans les très hautes sphères du registre, semblent à la fois naturelles et cohérentes avec le drame qui se joue devant nous. Il faut dire qu’Adès a un sens de la prosodie absolument juste.

Mêmes impressions avec l’orchestre qui enchaîne furieusement des atmosphères hétérogènes indépendamment de la procession vocale, comme si le manoir était un radeau flottant emporté par des forces torrentielles de sons en cavale. On peut difficilement mieux mettre en musique une prise d’otage surnaturelle ! De même, aux moments où musique et voix s’agencent sans heurts, cette communion entraîne un souffle d’une grande ampleur qui déplace la perspective que l’on a de l’opéra. Dans les faits, Adès maîtrise à ce point son art que la musique passe d’un rôle de narrateur omniscient à celui du personnage exterminateur avec une fluidité qui confère à la forme de l’opéra le bon équilibre.

Il est déjà acquis que The Exterminating Angel a trouvé une place souveraine dans l’histoire de l’art lyrique. C’est une consécration qui n’est pas précipitée et qui ne cessera de se confirmer parce que l’œuvre révèle aussi une myriade de références dont la richesse souligne le modernisme, l’intelligence et même l’humour de son auteur.

Voici une œuvre que l’on voudra voir et revoir.

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