De Mahler à Bruckner, les symphonies monumentales ont souvent pour effet d’écraser l’auditeur en lui donnant l’impression d’être une fourmi insignifiante. Hier soir, à la Maison symphonique, la Huitième de Mahler, avec l’Orchestre symphonique de Montréal sous la direction de Kent Nagano, a plutôt su nous élever progressivement vers les hautes sphères, notamment grâce à l’émotion transmise par ses remarquables solistes.
On ne parle souvent de la Symphonie dite « des mille », qu’en termes de gigantisme. Surnommée ainsi en référence aux effectifs monstrueux de sa création, en 1910, avec mille participants sur scène, l’œuvre d’une heure et demie requiert huit solistes, un double chœur mixte et un chœur d’enfants, en plus de l’orchestre. Il est vrai qu’elle intimide, et ce, dès les premières mesures.
Cependant, il faut voir et entendre au-delà de ce côté spectaculaire et s’ouvrir aux pouvoirs spirituels et narratifs de la symphonie pour en goûter l’essentiel. C’est possible lorsque le chef d’orchestre cherche à communiquer une vision claire de l’oeuvre plutôt qu’à en détourner la magnificence pour se mettre lui-même en valeur, comme trop l’ont déjà fait.
Avec, comme guide, un Kent Nagano présent mais agissant en humble serviteur de la musique, s’attardant à nous montrer les moindres détails de ce chef-d’oeuvre avec une rigueur presque scientifique tout en ne perdant jamais de vue sa vision d’ensemble, cette expérience a été possible. Vécue comme une montée vers une finale quasi transcendante, cette heure et demie fort captivante nous a semblé passer en un éclair.
Solistes
Les solistes, bien choisis, ont porté sur leurs épaules une grande partie de cette réussite en représentant, par leur interprétation sentie, une porte ouverte vers le côté humain et accessible d’une œuvre tellement grandiose qu’elle dépasse le commun des mortels. La soprano allemande Sarah Wegener, solide comme un roc, a toute la stature vocale requise pour se faire clairement entendre et dominer de sa voix chaude l’imposant dispositif orchestral derrière elle. Si le ténor Michael Schade, pour sa part, semble plus ou moins à l’aise sur scène pendant la première partie, il s’avère de plus en plus investi à mesure que la symphonie progresse, pour conclure de façon bouleversante.
Les autres solistes principaux, Camilla Tilling, Marie-Nicole Lemieux, Allyson McHardy, Russell Braun et David Steffens, sont convaincants. Il faut dire, de plus, que le mélange de leurs voix, lorsqu’ils chantent ensemble, apporte une riche texture dont bénéficie l’ensemble de la prestation. L’apparition de la soprano Aline Kutan, à la fin, juchée au dernier balcon en digne « mater gloriosa », produit son petit effet magique. Les chœurs, fort bien préparés, sont solides et justes. Les intermèdes uniquement orchestraux, magnifiques, évoquent toute une imagerie poétique, un univers servant non seulement de trame de fond aux voix, mais intrinsèquement lié au destin des personnages du drame en jeu dans cette scène finale du Faust de Goethe.
Dans les dernières minutes, le « chorus mysticus », nous transporte dans un autre état, venant chercher les émotions enfouies en chacun pour ne faire qu’un avec la musique et les artistes sur scène. L’espace de brefs instants, cet état mystique commun certainement voulu par Gustav Mahler est atteint. Kent Nagano a bien compris comment vivre la Huitième, et nous l’a fait comprendre.
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