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CRITIQUE | Jenůfa à l'Opéra de Montréal : retour triomphal d'un opéra incontournable

Par Éric Champagne le 25 novembre 2025

(Photo : courtoisie Opéra de Montréal)

Enfin, Jenůfa de Leoš Janáček revient à l’affiche de l’Opéra de Montréal (la précédente production de cette œuvre datait de 1997) et ce spectacle est carrément l’une des grandes réalisations de l’institution.

Il y a d’abord l’œuvre, pas assez connue du grand public d’ici, (ce qui expliquerait peut-être que la salle n’était pas comble en ce soir de première : nous y reviendrons), mais puissante et captivante, contemporaine dans son propos et originale dans sa partition, sans pour autant être inaccessible. Car il faut bien le dire, la musique de Janáček, toute singulière qu’elle puisse être, est néanmoins d’une beauté envoûtante, avec un sens du théâtre subtil et brillant. On a beau souligner le génie de la partition, sa complexité et sa facture saugrenue, il n’en demeure pas moins qu’elle est d’une grande accessibilité : les amateurs d’art lyrique plus traditionnel ne seront pas rebuté·e·s.

Le propos est d’autant plus puissant qu’il résonne pour le public d’aujourd’hui. Bien que l’action se déroule dans une communauté est-européenne où le poids de la tradition affiche un traditionalisme folklorique ostentatoire, il ne faut pas se tromper, le drame humain est riche et complexe : les malheurs en amour, les violences domestiques faites aux femmes, l’infanticide ici présenté comme un geste désespéré pour lutter contre les jugements et pour sauver les apparences, le processus complexe du pardon, et on en passe et on en oublie. C’est bien là le rôle d’une œuvre d’art authentique : nous parler de la condition humaine avec ses nombreuses nuances, mais surtout avec une humanité profonde et touchante. Jenůfa est de cette trempe.

Mise en scène efficace

La mise en scène du réalisateur Atom Egoyan comporte de grandes qualités. Il faut dire que le projet est bien huilé, ayant été présenté au Pacific Opera Victoria en 2017. Egoyan a cependant effectué certaines adaptations, puisque le plateau de Wilfried-Pelletier est nettement plus grand que celui de Victoria.

Si les costumes s’ancraient dans un réalisme assumé, la scénographie plutôt épurée misait quant à elle sur quelques éléments symboliques. Outre quelques meubles et accessoires utilitaires (table, chaises…), c’est essentiellement une grande meule brisée (l’action se situe près d’un moulin, et cette brisure évoque la déchirure dans la relation entre Jenůfa et Števa, un meunier) qui forme le principal élément de décor. Cette imposante demi-lune occupe le fond d’une scène montée sur la scène. Sur le côté prend place le chœur, exprimant visuellement le poids du regard des autres, élément essentiel du drame.

Egoyan s’est attelé à rendre le plus limpide possible cette histoire qui comporte certains éléments complexes (les liens familiaux et amoureux entre les personnages ne sont pas toujours faciles à situer). Ainsi, l’équilibre entre la clarté dramaturgique et l’insertion symbolique était plutôt réussi.

Soulevons néanmoins un bémol concernant la conception des costumes : si les habits traditionnels côtoyent des vêtements plus contemporains, une étrange impression de dichotomie temporelle s’imposait à notre esprit. Était-ce une façon de distinguer les diverses classes sociales de l’histoire? Si oui, on veut bien croire que les villageois soient habillés différemment des personnages de la haute société, mais est-ce que les costumes traditionnels sont à ce point la norme dans un quotidien villageois que l’on devine récent, voire contemporain? Autrement, on pourrait croire que l’action se situe dans la première moitié du XXe siècle. Dans ce cas, ce sont les habits contemporains qui détonnent…

Excellente distribution

On a rarement vu une distribution vocale aussi intéressante et aussi bien distribuée, tant dans le choix des voix que dans la prestation théâtrale. Dans le rôle titre, la française Marie-Adeline Henry démontre une grande implication dramatique et émotive. Elle réussit à nous tirer des larmes au deuxième acte, au moment où elle apprend la mort de son enfant. La Kostelnička de Katarina Karnéus est musicalement solide, tout en abordant de front la complexité psychologique du rôle. Car ici, la « méchante » est humaine : rien n’est tout blanc ni tout noir, il y a beaucoup de gris!

Avec un naturel désarmant, Isaiah Bell personnifie un Števa plus vrai que nature, même si ce personnage est loin d’être sympathique puisqu’il est le lâche qui n’assume pas ses engagements et ses actes envers Jenůfa. Edgaras Montvidas ne donnait pas à Laca le vernis romantique que l’on a tendance à lui conférer, mais il portait le rôle avec toutes ses ambiguïtés, rendant la psychologie du protagoniste nettement plus profonde.

Les rôles secondaires étaient tous portés à bout de bras par des interprètes totalement investis et vocalement très convaincants. Soulignons travail admirable et appliqué du chœur, musicalement très bien préparé et scéniquement très à l’aise.

À la tête d’un Orchestre Métropolitain en grande forme, la cheffe Nicole Paiement dirigeait la partition avec un sens du drame et une vision d’ensemble vive, alerte, juste et précise. La puissance et le raffinement du jeu de l’orchestre ont quelque peu souffert de l’acoustique de Wilfrid-Pelletier (on a peur de se répéter en écrivant que cette salle est loin d’être optimale pour l’opéra), mais on a l’impression que Nicole Paiement réussit malgré tout à tirer le meilleur des musicien·ne·s.

Jenůfa est un incontournable, et on s’explique mal que le public ne soit pas plus nombreux à ce rendez-vous exceptionnel. Oui, c’est chanté en tchèque. Non, on ne sort pas du spectacle en chantant des airs. Oui, notre zone de confort est bousculée. Or, tant les véritables amateurs d’art lyrique que les néophytes curieux·ses seront comblé·e·s par cette production de haute qualité, qui devrait être la norme et non l’exception dans le paysage lyrique de la métropole.

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Éric Champagne
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