
Le Club musical de Québec débute sa saison 2025-2026 lundi prochain, le 13 octobre, par un récital consacré à Schubert par le baryton Matthias Goerne et le pianiste Daniil Trifonov. Ludwig van Montréal a saisi cette occasion pour poser quelques questions à la directrice artistique du Club musical, Marie Fortin.
LVM : La saison 2025-2026 du Club musical est particulièrement impressionnante. Que recherchez-vous en concevant une saison et comment trouvez-vous l’équilibre à travers les différentes propositions?
MF : C’est toujours étonnant de voir la réaction à l’annonce d’une saison. Chaque année on travaille à faire l’assemblage de concerts le plus intéressant possible et on soupèse les compromis à faire : équilibre des finances, du calendrier, des époques, des répertoires, des instruments, de la représentativité d’hommes et de femmes, de divers pays d’origine, d’âges, de stades de carrière, le tout croisé à la disponibilité des artistes et des projets sur une échelle de plusieurs saisons simultanément… Après contorsions et quelques entorses à nos principes de départs, on arrive à un tout fignolé qui nous convainc profondément à titre de directeur artistique et qu’on aime à peu près toujours autant d’une saison à l’autre. Puis on envoie au public le “cadeau” qu’on lui a préparé pendant deux ans ou plus, et on observe les réactions. Parfois c’est reçu précisément comme on s’y attendait, alors que d’autres fois les surprises se succèdent : ce qu’on percevait comme un grand succès potentiel ne rencontre pas l’enthousiasme escompté, et un autre événement qui ne remplissait pas au départ la fonction de “locomotive” dans la saison obtient une grande popularité.
Et même en connaissant bien son public, on obtient des surprises du genre. Car le public évolue, chaque personne qui le forme individuellement et en tant que groupe car, quoiqu’on en pense à l’occasion, il se renouvelle, du moins partiellement. On est aussi en partie responsable de cette évolution, puisqu’on travaille tellement fort au concert à fournir des outils au public pour qu’il soit informé et à lui faire découvrir de nouvelles choses (compositeurs, instruments, concepts artistiques). Aussi, qu’il se transforme avec le temps n’est peut-être pas toujours dans une perspective négative, car peut-être qu’après tout, on réussit aussi à le rendre curieux et le faire grandir avec tous les efforts déployés !
Donc pour en revenir à la saison 2025-2026, à mes yeux elle est tout aussi excitante que d’autres qui ont suscité moins d’étincelles. Il arrive toutefois que plusieurs projets qui étaient en gestation depuis plusieurs saisons trouvent leur dénouement en même temps : c’est assurément le cas pour Tabea Zimmermann et pour Philippe Jaroussky, sur le cas desquels je travaille depuis près d’une décennie! Un peu de la même manière, la tournée de Goerne et Trifonov se préparait depuis plusieurs saisons autour de leur album commun sorti en 2022, mais a subi des reports. Même chose pour Sidorova dont les projets se profilent depuis la pandémie, mais ont été ajournés par l’arrivée de ses enfants. Je dirais donc que d’une certaine façon, 2025-2026 est l’année où plusieurs belles idées longuement mûries sont tombées en place en même temps, tout en se complétant bien, pour le plaisir de tous. Pour ce qui était de les concrétiser, je dirais qu’on a eu la démonstration à quelques reprises dans les dernières années qu’à toutes les fois où nous avons tenté de contrer un certain marasme en maximisant l’investissement dans les cachets (de façon réfléchie il va sans dire!), cela s’est avéré fructueux, alors que le geste contraire ne faisait qu’empirer les choses. Il est vrai qu’on a peut-être les reins plus solides que d’autres pour prendre ce genre de risque calculé. Mais avec la qualité vient aussi la confiance et la fidélité, et on a la chance de pouvoir compter sur des personnes précieuses qui y croient aussi et que partager ce moment artistique en communauté rend profondément heureux.
.LVM : Qu’est-ce qui vous apporte une satisfaction particulière dans votre rôle de directrice artistique? De quoi rêvez-vous pour l’avenir du Club musical (artistes, partenariats, développement de public, etc.)?
MF : J’aime voir les gens qui sont heureux d’avoir passé un moment spécial. J’aime quand les artistes arrivent à se détendre parce qu’ils sentent qu’ils peuvent nous faire confiance et faire ce qu’ils ont à faire. J’aime quand je voyage à l’étranger pour rencontrer en personne un agent avec qui j’ai échangé 200 courriels, que la relation prend enfin forme et que le lien professionnel et amical se poursuit par la suite. J’aime collaborer avec les collègues de la capitale pour comprendre ce qui se passe et rendre ensemble notre ville intéressante.
Sinon j’ai plein de rêves de tous ordres, qu’il s’agisse de grands artistes ou de salles combles! Mais je dirais que le projet qui m’occupe le plus en ce moment, c’est vraiment de trouver une façon pour que les artistes québécois et canadiens trouvent leur place en récital à Québec. Plusieurs acteurs du milieu ont conscience d’à quel point l’accès aux diffuseurs n’est pas aisé pour présenter des projets musicaux dans un cadre professionnel. C’est un problème qui est malheureusement d’ordre financier pour tous ceux qui s’y attaquent, et trouver comment faire perdurer et développer les initiatives qu’on met sur pied à cet effet serait vraiment un beau dénouement.
LVM : Matthias Goerne est reconnu comme un grand spécialiste du lied allemand. Quelles sont les qualités nécessaires pour se distinguer dans ce répertoire?
MF : Je crois que l’une des qualités des interprètes du lied est de donner l’impression qu’il nous parle directement. Pour avoir moi-même étudié spécifiquement l’accompagnement du lied, je sais à quel point c’est une réflexion poétique et musicale vraiment pointue et profonde (sur le sens original du texte et ses sous-entendus provenant d’un contexte culturel et politique propre à une époque, ensuite l’interprétation qu’en fait le compositeur et le sens que lui en retient et décide subjectivement de mettre en lumière selon qu’il provient ou non du même milieu ou de la même époque, puis la façon que l’interprète va dire ces mots et transmettre cette musique après qu’ils aient déjà traversé tous ces filtres…). C’est une préparation et une gymnastique intellectuelle complexes mais, au même titre que le gymnaste aux Jeux olympiques, il faut qu’il ne reste au final que la grâce et l’impression de facilité, sans transmettre le poids de tous ces filtres précédents à l’auditeur. Cela vaut aussi bien pour le chanteur que pour le pianiste, qui sont indissociables pour former le paysage total. C’est la quête d’une vie pour un chanteur de lied !
LVM : Comment ce partenariat entre Goerne et Daniil Trifonov est-il né?
MF : À ma connaissance, il vient de leur cd de 2022, alors que Goerne était précédemment dans une phase de collaboration avec quelques pianistes solistes de haut vol. Goerne et Trifonov ont décidé d’en faire une tournée de concerts entièrement consacrés à Schubert. Selon les villes, ils offrent Die Winterreise ou Die schöne Müllerin. Le programme avec Der Schwanengesang était le seul à inclure une première partie entièrement consacré au piano solo, ce qui permet d’une part de faire un parallèle intéressant avec une autre œuvre de la fin de la vie du compositeur (la Sonate pour piano en sol majeur, D. 894, composée en 1826), tout en permettant d’autre part de vraiment profiter à plein de la présence de Trifonov en ville! Je trouve que c’est la formule qui permettait de rejoindre le plus de gens, tout en offrant au pianophile et à l’amateur d’art lyrique une façon de compléter leur expérience et de voir plus loin. Et Schubert a tout d’un point de vue mélodique et émotionnel pour rassembler tout ce beau monde!
LVM : Parlez-nous brièvement des autres concerts à venir et de ce qui en fait l’attrait.
MF : Le prochain concert a lieu le 3 novembre, avec la venue de l’accordéoniste Ksenija Sidorova : elle est fantastique, elle est rayonnante, elle collabore avec des musiciens éminents dans des formations surprenantes (en ce moment, Die Winterreise avec Thomas Hampson, à l’accordéon!). Il n’y a jamais eu de concert d’accordéon classique au Club musical, je ne voyais personne de mieux placé qu’elle pour nous montrer tout ce que ça peut signifier. Et ça fait écho à un souvenir que j’ai d’entendre un quatuor d’accordéon jouer une symphonie de Beethoven sur un coin de rue à Cologne… ça ne s’oublie pas!
Le 26 novembre, nous recevons Les Arts Florissants avec Théotime Langlois de Swarte : je suis très contente d’avoir Théotime qui est venu à Montréal, mais pas encore à Québec. Et entendre les Quatre saisons quand c’est par quelqu’un comme lui et un ensemble comme les Arts Florissants, ça nous permet de redécouvrir le plaisir d’entendre ces concertos et de se rendre compte qu’ils gardent leur fraîcheur.
Ensuite, on se retrouve le 17 mars, avec l’altiste Tabea Zimmermann et le pianiste Javier Perianes. Tous les musiciens allemands, tous instruments confondus, m’ont répété que Tabea Zimmermann devait venir tourner en Amérique, comme si elle était une perle cachée et qu’ils s’étaient tous concertés pour qu’elle ait la reconnaissance qu’elle mérite! Elle a enfin un peu plus de temps pour la tournée depuis que certains engagements de professeur ont diminué (on se souviendra qu’elle était à une certaine époque la plus jeune professeure d’instrument engagée dans un conservatoire allemand!).
On ne peut pas s’empêcher de parler des « deux Hamelin » pour faire référence à Marc-André Hamelin et à Charles Richard-Hamelin, qui donneront un récital de musique pour deux pianos le 31 mars. C’est un surnom qui peut semer la confusion, puisque les deux pianistes ne sont pas parents du tout, mais c’est tellement naturel de les voir réunis. Le tout vient évidemment de leur rencontre sur scène au Festival de Lanaudière en 2022. Heureusement, plusieurs villes vont pouvoir profiter de cet événement cette fois.
Pour le dernier concert de saison, le 4 mai, on trouve particulièrement excitant que Philippe Jaroussky vienne avec son propre ensemble, avec lequel il enregistre depuis une vingtaine d’années, avec qui il développe la plupart de ses projets artistiques, et qu’il dirige également. C’est comme si la soirée portait vraiment totalement sa signature. C’est un privilège.
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