
L’Orchestre classique de Montréal, auquel se joignaient le Chœur St-Laurent et son chef Philippe Bourque, terminait sa saison samedi dernier avec un grand concert à la Maison symphonique. La programmation intelligente offrait un éventail musical autour du thème de la joie, Affichant complet, l’événement aura été certes festif, sans pour autant occulter d’autres états d’esprits portés par la musique.
Difficile de statuer sur une bonne définition de ce qu’est la joie. Le Petit Robert propose celle-ci : « Émotion agréable et profonde, sentiment exaltant ressenti par toute la conscience. », tout en étayant son propos sur de nombreuses autres possibilités d’interprétation. La musique des trois compositeurs du programme reflétait ces nombreuses nuances de ce qu’est la joie.
La premier partie de programme, toute canadienne, regroupait des œuvres de Kevin Lau et Pierre Mercure. Dans Joy, pour violon solo et orchestre à cordes, Kevin Lau offrait une musique toute en tendresse et en douceur, portée par une partition très lyrique que le violon solo de l’orchestre, Marc Djokic, a interprétée avec grande maîtrise et sensibilité. On ne boudera pas son plaisir car l’œuvre était sincère et plaisante, bien qu’ultra consonante, mais elle restera un peu évanescente à notre esprit.
Musique chorale québécoise à l’honneur
Sur une autre tribune, je me suis récemment désolé que le répertoire choral québécois n’était pas assez valorisé, en soulignant à quel point la Cantate pour une joie de Pierre Mercure mériterait plus de considération et une meilleure diffusion sur nos scènes. C’était donc un véritable bonheur que de l’entendre à la Maison symphonique. Il faut souligner que le titre peut laisser place à une certaine confusion, car de la joie, il n’en est question que dans le dernier mouvement. L’ensemble de l’œuvre est sombre et oppressante : elle expose plutôt les craintes de l’être humain contemporain en quête de bonheur. Créée en 1955, cette cantate est bien ancrée dans son temps où la guerre froide et la menace nucléaire plombaient le moral de l’Occident. Le poème de Gabriel Charpentier est d’une justesse et d’une pertinence qui parle encore au public d’aujourd’hui, et la musique de Mercure est en phase avec cet esprit sombre qui cherche la lumière.
L’interprétation proposée avait de grandes qualités, notamment dans l’orchestre même, qui dévoilait des jeux de couleurs originales et éblouissantes, le tout propulsé par des dynamiques contrastantes et un jeu généreux. Pierre Mercure exploite une écriture vocale et instrumentale qui rappelle le meilleur d’Honneger, avec quelques touches rappelant Poulenc. On regrettera un peu certains choix de tempo, surtout dans le premier et le dernier mouvements, qui auraient gagné à être un peu plus alertes. Dans Les lions jaunes, mouvement d’ouverture, la crainte et l’effroi auraient été plus prenants avec un rythme plus mordant, ce que la battue posée a un peu gommé. Même constat pour le mouvement final, Le cri de joie, qui manquait un peu de sautillement et d’allégresse.
Le chœur bien préparé s’est acquis honorablement de sa tâche. Quant à la soprano Elizabeth Polese, son interprétation sentie et intime était quelquefois entachée par une projection inégale. Néanmoins, la Complainte, mouvement où la soprano dialoguait avec un alto en solo, était un moment d’une magnifique beauté et d’une émotion pure.
Encore la Neuvième de Beethoven!
Il ne se passe pratiquement pas une saison sans que la Neuvième symphonie de Beethoven ne soit à l’affiche de l’un ou l’autre des orchestres de la ville (et de la province). On reconnaît bien le statut de chef-d’œuvre de cette symphonie, mais l’effet de saturation commence à se faire sentir. Tout comme pour le Messie d’Haendel, la Neuvième de Beethoven est très (presque trop) présente et les chefs ne semblent plus savoir quoi faire pour se démarquer les uns des autres.
Bien que généralement respectueux de la partition, Philippe Bourque a surpris par certains tempos. Le premier mouvement était bien posé, sans trop d’élans fulgurants. On a souvent tendance à s’emporter dans ce mouvement : si cette version plus calme nous fait perdre un peu drame, elle a pour principal avantage de nous faire goûter plus à fond les sonorités de l’orchestre, qui était loin d’être avare, notamment dans les vents. En ce sens, une section de cordes plus fournies aurait créé un meilleur équilibre, mais on comprend bien que l’OCM n’a pas les mêmes moyens que l’OSM!
Si le deuxième mouvement resplendissait de vigueur rythmique, le troisième mouvement a été pris avec un peu plus d’élan que ce que l’on est habitué d’entendre. Philippe Bourque a donné un souffle vigoureux à une musique qui est plus souvent interprétée avec une langueur rêveuse. Le dernier mouvement, kaléidoscopique dans sa forme, était d’une très bonne tenue, avec une coda pas trop précipitée (et Dieu sait que les finales précipitées ont la cote en général!).
Le chœur semblait encore plus investi que dans la Cantate de Mercure, avec notamment les voix d’hommes plus présentes et plus solides. Quant au quatuor de solistes vocaux, très bien distribué, on soulignera l’éclat de caractère et la projection rayonnante du ténor Éric Laporte. Du côté de l’orchestre, nous avons grandement apprécié la section des cors et le jeu nourri de la timbalière Catherine Varvaro. Cette dernière a joué, ironie du sort (ou plutôt réalité des musiciens surnuméraires), aux côté de Julien Bélanger, ici attitré à la grosse caisse, mais qui fait des miracles aux timbales à l’Orchestre Métropolitain! Il faut croire qu’il se forme au Québec une sorte d’école d’interprétation qui renouvelle le jeu si distinctif de cette percussion emblématique, et ce pour notre plus grand bonheur.
Si la joie reste difficile à exprimer, il faut croire que la musique peut nous aider à mieux cerner et à mieux exalter ce sentiment. Et il faut en ce sens remercier l’OCM pour ce programme intelligent qui a clairement réchauffé le cœur du public.