
La Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) concluait sa 59e saison par un concert à la mémoire de la compositrice Jocelyn Morlock. Originaire du Manitoba, Jocelyn Morlock vivait et travaillait à Vancouver, et jouissait d’une carrière florissante quand elle est décédée subitement en 2023 à l’âge de 53 ans. Ce programme copieux lui rendant hommage était à la fois une célébration de sa musique et une célébration de son humanité.
Permettez ici ce témoignage très personnel. J’ai eu l’occasion de rencontrer et de côtoyer Jocelyn Morlock en février 2013, alors qu’elle et moi étions au programme d’un concert de l’ECM+. J’y ai découvert non seulement une compositrice de talent, mais aussi une personnalité radieuse à l’esprit vif. La nouvelle de sa mort subite et prématurée m’avait profondément attristé et j’ai alors constaté à quel point elle était une artiste appréciée de ses pairs. Ce concert dédié à sa mémoire m’est apparu tout aussi essentiel qu’incontournable.
Renouveler la formule du concert
On ne peut certainement pas reprocher à la SMCQ de s’encroûter dans la routine. À chaque événement, cette dernière cherche à redéfinir le décorum du concert traditionnel : on essaie de nouvelles formules, de nouvelles façons de vivre l’expérience de la musique. On a donc conçu ce concert comme une suite unifiée, notamment en demandant au public de ne pas applaudir entre les œuvres, « afin de préserver la fluidité du programme » peut-on lire justement dans le livret imprimé. L’intention est louable : on souhaite idéalement vivre un moment de réflexion, d’introspection, frôler l’expérience mystique peut être! Cependant, comme il y avait entre presque toutes les œuvres du concert l’entrée et la sortie de nombreux·ses musicien·ne·s, en plus des changements dans la configuration des lutrins et des chaises, force est de constater que malgré la retenue des applaudissements, la « fluidité du programme » était mise à mal.
À cela s’ajoute l’installation de ces nombreuses chandelles à batterie qui tente de recréer une ambiance empruntée aux concerts « Candlelight », sans pour autant convaincre. Effets pervers de la popularité de ces derniers, cette disposition rend l’exercice plus quétaine que réellement inspiré. Dommage, car la chapelle Notre-Dame-du-Bon-Secours offrait un bel écrin pour accueillir cette cérémonie sonore d’une grande sincérité.
Hommages sentis
L’événement commença par une création de Samy Moussa, une œuvre tout en recueillement plaintif jouée avec sensibilité par la hautboïste Mélanie Harel. Plongé dans l’obscurité de la chapelle, éclairé par les derniers feux du soleil qui rendaient les vitraux incandescents, nous avions l’impression de vivre une cérémonie proche des Vêpres, célébrant la vie sur la mort, la lumière sur l’obscurité, au moment même où cette dernière semble prendre les devants. Cette atmosphère mystique sera finalement de courte durée, car les œuvres qui suivront seront très différentes les unes des autres.
Avec Volador, le compositeur mexicano-canadien Luis Ramirez offrait une œuvre vivante de bonne facture. Or l’esprit rythmé et dionysiaque de cette musique cadrait mal avec l’hommage posthume à Morlock, mais comme cette dernière avait agi à titre de mentor pour la composition de cette œuvre, l’apport de Ramirez prenait du sens. D’autant plus que ce trio pour flûte, alto et harpe permettait d’introduire The uses of solitude de Morlock, œuvre conçue pour la même instrumentation.
Cette partition ambitieuse se déploie sur 20 minutes. Si la forme semble très libre, la narration sonore est si puissante qu’on se laisse emporter dans ce voyage complexe où le chemin bifurque abondamment vers des revirements saugrenus. Si la route n’est pas sans embûches, elle atteint néanmoins son but avec une section finale d’une beauté sublime. Est-ce une chaconne, je n’en suis pas certain (il faudrait plonger dans la partition pour l’analyser), mais cette musique comporte les traits caractéristiques de cette forme ancienne qui structure le discours avec une soudaine clarté, couplée à une émotion lumineuse et à un lyrisme généreux. Du grand art!
Musiques vibrantes
Sivunittinni de l’iconoclaste Tanya Tagaq suivait dans un tout autre registre. L’arrangement pour quatuor à cordes, signé Jacob Garchik, dévoilait tout le grondement viscéral de cette musique qui nous happe avec puissance. J’avoue ne pas avoir compris en quoi cette œuvre participait à la commémoration de la compositrice disparue, mais le plaisir de vivre une interprétation aussi engagée de cette musique justifiait amplement sa présence au programme.
Enchaînait ensuite you are a vessel for joy, création de Rita Ueda sur un texte de rogerallenward, une commande spécifiquement dédiée à la mémoire de Jocelyn Morlock. Cette partition pour quatuor à cordes, cor anglais et ensemble vocal usait avec intelligence de l’espace sonore des lieux et présentait une dramatisation musicale presque théâtrale du texte. Habile et foncièrement belle, cette œuvre souffrait néanmoins de quelques longueurs,
Retour à Morlock avec Exaudi, interprétée avec finesse par les chanteurs·euses de Voces Boreales, sous la direction d’Andrew Gray, auxquels s’est jointe la violoncelliste Chloé Dominguez, dont le jeu investi se mariait avec bonheur aux voix. Quelle musique bouleversante! C’est un exemple éloquent d’une écriture ancrée dans la tradition mais qui résonne avec une sensibilité toute contemporaine, ce qui résume bien la démarche créatrice de la regrettée compositrice.
Pour clore cette soirée riche, la reprise de l’œuvre de Moussa, cette fois entonnée en arrière scène, bouclait la boucle de cette cérémonie tout en musique et en humanité.
Et les lauréats sont …
Signalons qu’avant le concert, la SMCQ et le Centre de musique canadienne au Québec ont profité de la soirée pour dévoiler les lauréats de l’édition 2025 du Prix collégien de musique contemporaine. Le récipiendaire du 3e prix est Gilles Gobeil, électroacousticien au métier solide et à la démarche profonde. Le 2e prix, lui, est allé à la compositrice Marie-Pierre Brasset, dont l’art musical tout en finesse mérite d’être plus largement diffusé. Le premier prix a été remis à Alexandre David, dont le talent agile et l’esprit vif ont conquis les cégeppien·ne·s, juges impitoyables de ce concours. En plus d’une bourse, ce prix comporte une commande d’une nouvelle œuvre qui sera à l’affiche d’un concert de la prochaine saison de la SMCQ. Bravo aux lauréat·e·s!