
L’effervescente Alexandra Fol est organiste titulaire à l’Église unie Saint James sur la rue Sainte-Catherine, où elle organise entre autres la série de concerts hebdomadaires MusOrgue durant l’été. En plus de ses activités d’organiste, elle chante, dirige, compose, enseigne, suit un programme d’études en théologie et est l’autrice de nombreux articles dans des revues spécialisés. Lorsqu’absolument nécessaire, elle abandonne son vélo pour conduire sa voiture électrique Prissi. Et dans ses temps « libres », elle répare des souliers pour les donner aux démunis.
Ce mois-ci, elle est l’invitée de la série Slow Rise Music de Toronto. À cette occasion, ma collègue Anya Wassenberg s’est entretenue avec elle. Portrait d’une surdouée inépuisable.
La série de concerts de musique contemporaine Slow Rise Music, basée à Toronto, s’associe à Charles Street Video et à la commissaire invitée Alexandra Fol pour une vitrine multimédia intitulée Where the Eye Meets the Ear.
Deux représentations sont prévues le 23 mai, accessibles en personne ou en diffusion en direct depuis les studios de Charles Street Video.
Compositrice et organiste canado-bulgare, Alexandra Fol vit à Montréal. Elle est diplômée de l’Université de Boston, de l’Eastman School of Music et de l’Université McGill. Ses œuvres ont été interprétées notamment par l’Orchestre symphonique de Montréal, le Philharmonique de Sofia, et le New Score Chamber Orchestra. Son catalogue comprend plus de quarante compositions pour orchestre, musique de chambre et chœur.
Alexandra Fol vit avec une forme de synesthésie appelée chromestésie, qui lui fait percevoir les sons sous forme de couleurs. MuSyn, la pièce centrale du programme, propose au public une immersion dans cette perception sensorielle à travers une combinaison de musique de chambre, d’art visuel, de film et de poésie.
Le projet inclut des œuvres pour clarinette, trompette, violon et violoncelle, intégrant également des sons électroniques, des éléments vidéo, des jeux de lumière et des textes parlés. Parmi les collaborateurs d’Alexandra Fol figurent la poétesse et artiste visuelle Jessica Hiemstra, ainsi que les musiciens émergents Elias Doyle, Kailan Fournier, Joelle Crigger et Emma Schmiedecke. Des compositeurs canadiens comme Matthew Lane, Saadi Daftari, Ana Paola Santillán Alcocer et Tristan Zaba participent également au programme.
Entretien avec Alexandra Fol
Comment êtes-vous devenue compositrice ?
En Bulgarie, majoritairement orthodoxe, je n’avais jamais vu d’orgue de près avant l’âge de 18 ans. Les églises orthodoxes interdisent les instruments pendant les offices. J’étais déjà compositrice à ce moment-là. C’est en visitant Julian Wachner à la chapelle Marsh, à Boston, que j’ai découvert l’orgue. J’en suis tombée amoureuse immédiatement et, une semaine plus tard, je passais de piano à orgue comme instrument principal.
Enfant, je m’étais déjà interrogée sur l’harmonie d’une sonate de Mozart. Mon père m’avait dit : « Pourquoi ne pas écrire ta propre version ? ». Ce fut une révélation. J’ai commencé des cours de composition à l’âge de cinq ans.
La synesthésie influence-t-elle votre façon de composer ?
Oui. Mes sonorités favorites sont construites sur les ensembles de classes de hauteurs {0,1,3} et {0,1,4}, qui offrent un équilibre entre densité et éclat. En superposant ces accords dans différentes permutations, j’obtiens des couleurs auditives spécifiques. L’évolution harmonique lente, sur fond d’un premier plan plus rapide, traduit ma perception visuelle du son.
Comment décririez-vous votre style musical ?
Il est difficile à catégoriser. J’ai été influencée par la musique folklorique bulgare, le néoclassicisme, le minimalisme, entre autres. Des œuvres particulières m’ont marquée : Le Sacre du printemps de Stravinsky, les Nocturnes de Chopin, la Septième symphonie de Beethoven.
Qu’est-ce que MuSyn ?
C’est une œuvre joyeuse, bien plus virtuose que ses influences minimalistes ne le laissent supposer. J’aime laisser une texture sonore se développer lentement. Chaque instrument a son moment de mise en valeur. C’est une œuvre accessible à tous.
Comment avez-vous développé les éléments visuels avec Louis Horvath ?
Nous avons conçu un motif fractal avec les ressources technologiques disponibles. J’ai ensuite sélectionné la palette de couleurs pour chacune des cinq images accompagnant MuSyn.
Sur son site, la Fractal Foundation décrit les fractales ainsi :
« Une figure fractale est un motif qui ne finit jamais. Les fractales sont des motifs infiniment complexes qui sont similaires à eux-mêmes à différentes échelles. Ils sont créés en répétant un processus simple encore et encore dans une boucle de rétroaction continue. Entraînées par la récursion, les fractales sont des images de systèmes dynamiques – des représentations du Chaos. Géométriquement, elles existent entre nos dimensions familières. Les motifs fractals sont extrêmement familiers, car la nature en est pleine. Par exemple : les arbres, les rivières, les lignes côtières, les montagnes, les nuages, les coquillages, les ouragans, etc. Les fractales abstraites – tels que l’ensemble de Mandelbrot – peuvent être générées par un ordinateur calculant une équation simple encore et encore.«
Ainsi, ces motifs créent des résultats similaires, mais non identiques. Chaque feuille d’arbre est différente, les nuages se ressemblent, mais ne sont jamais les mêmes, etc. Je trouve que l’art d’Horvath réflète au mieux mon approche à une forme renouvelée de minimalisme : les motifs musicaux sont réitérés, mais ne sont jamais répétés exactement de la même façon. Nous sommes transportés dans un parcours musical constant que moi, la compositrice, je peux mener vers une certaine conclusion – mais jamais une fin. Des collègues ont remarqué que certaines de mes compositions semblent poursuivre une idée entamée dans une œuvre précédente, et ils ont raison. MuSyn ouvre la porte sur un univers, mais il est possible que cet univers se poursuive éventuellement dans une autre composition à venir.
Cet entretien a été mené et rédigé en anglais par Anya Wassenberg pour Ludwig van Toronto, et traduit et adapté par Béatrice Cadrin pour Ludwig van Montréal. L’article d’origine peut être consulté ici.