
Dimanche après-midi, la Salle Bourgie a de nouveau été le théâtre de la grande remise annuelle des prix Opus, dont c’est la 28e édition. Les lauréat·e·s ont été acclamé·e·s par leurs collègues dans une atmosphère conviviale et solidaire, sur fond d’inquiétude quant à la situation de la musique et des arts dans un monde instable.
La cérémonie reprenait le modèle instauré l’an dernier, annonçant les prix en blocs regroupés et invitant un représentant par ensemble lauréat à monter sur scène pour un bref échange avec l’animateur chevronné Jocelyn Lebeau. Dominic Trudel, président du Conseil québécois de la musique, accueillait pour sa part au bas de la scène les représentant·e·s des partenaires financiers contribuant à certains prix. Le gala était transmis pour la première fois en direct sur internet, accessible par l’entremise de la page Facebook du Conseil québécois de la musique.
Hommage à Michel Levasseur
Les émotions étaient fortes lors de la remise du prix Hommage à Michel Levasseur, directeur général et artistique du Festival international de musique actuelle de Victoriaville (FIMAV) depuis 40 ans. Dans un extrait d’une capsule vidéo réalisée par la Fabrique culturelle, des témoignages touchants de divers collaborateurs, dont les compositeurs et interprètes Jean Derome et René Lussier, le consultant en gestion des arts Pierre Lapointe, ainsi que la fille du lauréat Jordie Vézina Levasseur, ont salué l’engagement indéfectible de ce pionnier de la musique actuelle. Modeste, le récipiendaire a tenu à faire applaudir également les proches qui l’accompagnaient, dont sa conjointe, sa mère et sa belle-mère, donnant une démonstration de l’engagement et de l’esprit de solidarité indispensables pour maintenir un projet d’une telle ampleur avec succès pendant autant d’années.
Pour sa quarantième édition, le FIMAV peut se vanter d’avoir été le théâtre de l’Événement musical de l’année, l’épique saga Basileus, composée et dirigée par Pascal Germain-Berardi sur des textes de Sébastien Johnson. L’œuvre réunissait une instrumentation hautement originale formée de l’ensemble de guitares Forestare, Sixtrum Percussion, l’Ensemble Horizon, le Growlers Choir et les solistes Sarah Albu, Charlotte Gagnon, Dominic Lorange et Anthony Ornsby.
Déplacement ardu mais profitable pour Marianne Trudel
C’est de justesse que la compositrice et pianiste jazz Marianne Trudel a pu se présenter au gala, ayant été coincée aux Îles de la Madeleine par une tempête de neige et des rafales de vent intenses. « J’ai passé quatre jours à l’aéroport et 12 heures aux Îles, » a-t-elle illustré dans son style humoristique. Le déplacement en a cependant valu la peine pour la musicienne qui a été consacrée Compositrice de l’année, ce qui lui vaut un montant de 10 000 $ remis par le Conseil des arts et des lettres du Québec. Elle a également récolté le prix d’Album de l’année – musiques jazz pour son œuvre originale Time Poem: La joie de l’éphémère, projet inspiré par la mort subite de l’ingénieur de son Rob Heaney.
Roozbeh Tabandeh, découverte de l’année et prix Montréal – Inclusion et diversité
Le prix Montréal – Inclusion et diversité, soutenu à hauteur de 10 000 $ par le Conseil des arts de Montréal, a été remis au compositeur d’origine iranienne Roozbeh Tabandeh pour son projet Songs of the Drowning, réalisé en collaboration avec l’ensemble Paramirabo et Chants libres. En tant que Découverte de l’année, il se voit offrir la production d’une capsule vidéo par La Fabrique culturelle de Télé-Québec.
Autres Doublés
L’Orchestre Métropolitain a été récompensé pour deux moments forts de sa saison 2023-2024. Il s’est mérité le premier dans la catégorie Concert de l’année – Répertoire multiple pour le concert La symphonie Leningrad, qui faisait entendre, en plus de la Septième symphonie de Chostakovitch, le Concerto pour violon du compositeur norvégien Halvorsen interprété par Maria Duenas. Quant au deuxième, c’est le concert Aida en clôture de saison donné au Festival de Lanaudière qui lui a valu la distinction de Concert de l’année – Musiques classique, romantique, postromantique.
La joueuse de kanun Didem Başar a réussi une autre sorte de doublé, se voyant remettre les prix d’Album de l’année – Musiques de monde et Concert de l’année – Musiques du monde pour son projet Continuum. Pour le concert, elle était entourée de Patrick Graham aux percussions, d’Étienne Lafrance à la contrebasse et du Quatuor Andara, tandis que l’album du même titre a été enregistré avec l’orchestre I Musici et Jean-François Rivest. Ces derniers peuvent également se targuer d’être à l’origine du prix de la Création de l’année remis au compositeur Denis Gougeon pour la pièce Spassiba Yuli, pour deux violoncelles et cordes.
Leurs collègues cordistes de collectif9 réalisent également un doublé en recevant le prix d’Interprète de l’année, accompagné de 5 000 $ du Conseil des arts du Canada, tandis que leur contrebassiste Thibault Bertin-Maghit est nommé Directeur artistique de l’année.
Concerts de l’année
Pour les catégories de concerts de l’année que nous n’avons pas encore mentionnées, les lauréats sont :
- Musiques médiévale, de la Renaissance, baroque : Arion Orchestre Baroque pour Aci, Galatea e Polifemo
- Musiques moderne, contemporaine : Quatuor Molinari, pour Deux
- Musiques actuelle, électroacoustique : Ensemble SuperMusique pour Monnomest
- Musiques jazz : Hugo Blouin pour Sport national
- Musiques traditionnelles québécoises : Cédric Dind-Lavoie, Alexis Chartrand et Dâvi Simard pour ARCHIVES
- Impulsions anciennes, classiques, romantiques, modernes, postmodernes (nouvelle catégorie) : Jean-Félix Mailloux et Cordâme pour Fabula femina
- Production de l’année – Jeune public : Bon Débarras pour J’m’en viens chez vous!
Albums de l’année
Du côté des albums de l’année, la liste est complétée par :
- Musiques médiévale, de la Renaissance, baroque : Christopher Palameta et Notturna pour Calcutta 1789 : À la croisée de l’Europe et de l’Inde
- Musiques classique, romantique, postromantique : David Jacques pour 16 Histoires de guitares – Vol. III
- Musiques moderne, contemporaine : David Therrien Brongo pour Confluence
- Musiques actuelle, électroacoustique : Léa Boudreau pour Limaçon
- Musiques traditionnelles québécoises : Nicolas Pellerin et Les Grands Hurleurs pour Layon
- Impulsions anciennes, classiques, romantiques, modernes, postmodernes : Vanessa Marcoux pour Cendres
Prix spéciaux et Écrit de l’année
Hormis les catégories déjà mentionnées, les lauréat·e·s des Prix spéciaux sont :
- Prix Opus Québec : Festival Québec Jazz en Juin
- Prix Opus Régions : Festival Ripon trad
- Diffuseur pluridisciplinaire de l’année : Salle Pauline-Julien
- Diffuseur spécialisé de l’année : Domaine Forget de Charlevoix
- Rayonnement à l’étranger : Alain Bédard
- Écrit de l’année : Jimmie Leblanc pour « Du son vers la forme, le sens … l’autre … : pensée spectrale et art engagé dans les œuvres mixtes de Serge Provost », paru dans Circuit, musiques contemporaines
Habillage musical
L’habillage musical de l’événement, concept initié l’an dernier avec la présence de collectif9, était fourni cette fois par l’ensemble de guitares Forestare, rejoint par le chef Pascal Germain-Berardi pour les prestations d’ouverture (Une petite musique de nuit d’été de Denis Gougeon) et de clôture (un arrangement du troisième mouvement du Troisième Concerto brandebourgeois de J. S. Bach). Les guitariste Adam Cicchillitti et Steven Cowan ont interprété un Perpetuum mobile de Germaine Tailleferre, et Simon Duchesne a introduit la portion dédiée au prix Hommage par un numéro de guitare électrique. Trois duos de musique trad sont venus ajouter de la variété au contenu – quoique clairement pas à la représentation en diversité, l’entièreté du spectacle sur scène étalant une domination démographique difficile à ignorer de l’homme blanc dans plusieurs déclinaisons. Cédric Dind-Lavoie et Dâvi Simard ont enrobé de leurs apports au clavier et au violon un document d’archive joué sur bande magnétique, soit la pièce Tenant mon frère d’Alphonse Morneau (1946). Par la suite, Alexis Chartrand et Nicolas Babineau ont interprété Le Cyclone d’Isidore Soucy, suivis de Nicolas Boulerice et Frédéric Samson avec la chanson Trois beaux garçons.
Commentaire
Le CQM fait depuis plusieurs années des efforts manifestes pour reconnaître et encourager la diversité dans l’écosystème musical québécois, par l’ajout de catégories de prix reconnaissant une variété de styles et celui d’autres catégories accordant de la visibilité à des groupes minoritaires. Les résultats de ces mesures sont manifestes dans la richesse et la diversité du palmarès des lauréat·e·s. Il est d’autant plus frustrant de constater le contraste criant de ce palmarès avec le profil uniforme des participant·e·s au spectacle d’hier, l’inclusion de la forme féminine n’étant ici requise que pour rendre hommage à la présence de l’unique femme, Céline Rosa-Boily, guitariste membre de Forestare.
Quand la bonne volonté est présente, que des efforts sont faits, et que le résultat est malgré tout aussi frappant, on ne peut pas ignorer la nature fondamentalement systémique du problème. Le spectacle d’hier est la preuve éclatante que les mesures d’EDI (Équité, Diversité, Inclusion) sont encore nécessaires et indispensables, à la fois sur nos scènes locales et à l’échelle internationale.
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