
L’OSM et Rafael Payare débutent ensemble l’année 2025 avec un programme costaud : la Symphonie no 6 de Gustav Mahler. Après le succès en concert et au disque de la Symphonie no 5, cette soirée était attendue de pied ferme par les mélomanes. Malgré de grandes qualités, le résultat laisse un peu sur notre faim.
L’œuvre débutait avec un aplomb fort intéressant. La progression dramatique du premier mouvement laissait présager une certaine retenue pour mieux cibler des moments de forte intensité. Il en est ainsi pour le second thème, souvent nommé le « thème d’Alma », dont la première exposition semblait un peu retenue, tandis qu’il se déploya avec une passion débordante par la suite. Un choix quelque peu surprenant, mais qui démontre une logique fort à propos.
Payare a choisi pour deuxième mouvement l’Andante moderato, suivi du Scherzo. C’est un choix qui peut se justifier et qui a ses adeptes, mais qui ne nous convainc pas. Certes, le compositeur n’a pas tout a fait tranché la question, ce qui laisse le champ libre pour diverses configurations. Cependant, force est d’admettre que la courbe dramatique ne fait pas de sens dans cette mouture, et que le Scherzo trouble précédant le dernier mouvement aux proportions imposantes et à la charge émotive écrasante crée un déséquilibre difficile à absorber.
L’Andante moderato placé donc en deuxième mouvement était pris ici avec des tempos un tantinet trop vite, évacuant la rêverie et la poésie de cette musique sublime. Cette musique aurait mérité plus de souplesse et d’élasticité. Expédié ainsi, le mouvement ressemblait plutôt à un intermède qu’à un réel portrait onirique des pensées du compositeur. Il faut néanmoins souligner la beauté des interventions des vents : clarinette basse moelleuse, cor anglais profond et chaleureux, cor élégiaque et magique, flûtes, hautbois et clarinettes inspirés, bassons et contrebasson grondants. Les musiciens avaient de quoi mettre en valeur leurs talents.
Le Scherzo déployait ses contrastes déroutants, allant d’une ambiance cauchemardesque à des épisodes d’une naïveté désarmante. Il a été dirigé avec beaucoup d’aplomb, ce qui ajoute à la tension qui déséquilibrera le reste de la symphonie.
Le Finale, mouvement complexe et puissant, est une odyssée de 30 minutes qui confronte directement le destin comme une tragédie immuable – d’où le titre de « Tragique » souvent donné à cette symphonie, qui n’est cependant pas un titre choisi par le compositeur. Le talent narratif de Mahler y est à son apogée. On se laisse emporter par les multiples soubresauts de la partition, tant le souffle est épique et captivant. Avec un orchestre en grande forme, une masse sonore puissante et maîtrisée, l’effet est réussi. Et cerise sur le gâteau, il faut souligner que les célèbres deux coups de marteau étaient aussi spectaculaires que totalement satisfaisants dans leur rendu sonore. Ce n’est pas anodin : il y des interprétations complètement ratées uniquement à cause de ces deux interventions mal calibrées.
La recette marche. On reste peut-être un peu sur notre faim, en ayant l’impression que les volets puissants et sonores font mouche, tandis que les moments d’évocations et d’évasions manquaient un peu de poésie. Il y a peut-être encore un peu de maturité à apporter à cette lecture d’une symphonie emblématique du corpus mahlérien.

En première partie, cinq Lieder d’Alma Mahler étaient interprétés par la mezzo-soprano écossaise Beth Taylor, le tout présenté dans l’orchestration de Colin et David Matthews. La voix riche et profonde de Taylor impressionne beaucoup, surtout dans les graves vibrants qui nous laissaient croire qu’on avait plutôt affaire à un contralto. Des médiums un peu effacés ont réduit l’impact des troisième et quatrième lieder au programme, mais l’interprétation sensible de l’artiste a pallié ce voile sonore. L’orchestration très réussie de ces Lieder ajoute un vernis délectable à ces œuvres qui méritent plus d’attention
Une question cependant demeure. Avec ses 80 minutes bien remplies et très intenses, est-ce que ça vaut vraiment la peine d’ajouter d’autres œuvres au programme lorsque l’on joue la Symphonie no 6 en concert? Ici, les Lieder ajoutaient 17 minutes, en plus d’une pause, à un concert déjà passablement long et exigeant. L’agencement des Mahler, Alma et Gustav, est conceptuellement solide et pertinent, mais est-ce nécessaire? D’autant plus qu’on pourrait clamer ici que l’œuvre d’Alma se trouve – encore – dans l’ombre de celle de son mari. À bien y penser, ce n’est peut-être pas lui rendre justice.
La précédente Symphonie no 6 entendue à Montréal date de juin 2024. Cette fois-là, l’Orchestre Métropolitain avait programmé en guise d’introduction Alap & Gat de José Evangelista (en fait, seulement Alap, car le diptyque avait été amputé de son second mouvement). Encore une fois, on se retrouve avec une petite entrée avant le copieux plat principal.
En a-t-on vraiment besoin? La Symphonie no 6 ne peut-elle pas être l’unique œuvre au programme? La charge émotive est telle que l’œuvre devrait se suffire à elle-même, et les auditeurs en seraient tout autant rassasiés. Les programmateurs devraient méditer (ou digérer) la question.
Inscrivez-vous à notre infolettre! La musique classique et l’opéra en 5 minutes, chaque jour ICI
- CRITIQUE | Émotions et décibels à l’OSM - 24 février 2025
- NOUVELLE | Une première « Journée de la billetterie » concluante - 14 février 2025
- CRITIQUE | Deux Mahler entre l’arbre et l’écorce - 17 janvier 2025