La Salle Bourgie était pleine à craquer pour ce récital très attendu de la soprano canadienne Barbara Hannigan et du pianiste Bertrand Chamayou, et la prestation offerte par ces deux musiciens hors normes marquera les esprits pour longtemps.
Le programme, présenté comme un périple mystique et spirituel, débutait par le cycle Chants de Terre et de Ciel d’Olivier Messiaen, une œuvre de la première phase créatrice du compositeur, antérieure au célèbre Quatuor pour la fin du temps. Ici, tout le solennel et le recueillement de circonstance est présent. Messiaen est de ces compositeurs qui mettent en musique leurs propres mots, et sa poésie est sans surprise fortement teintée d’un mysticisme catholique. L’amour pour sa première femme ainsi que la joie qu’apporte la naissance de leur fils donnent corps et chaire à des méditations qui font écho à une vision parfois naïve du divin.
Les défis de la prononciation
Ici, une (très) petite déception : la prononciation française un peu molle ne nous permettait pas de bien saisir les paroles. Quiconque avait assisté à sa performance de La Voix humaine de Poulenc en février dernier était resté bouche bée devant la qualité de sa prononciation. Or il faut être honnête et admettre que l’écriture vocale de Messiaen est à des années-lumières de celle de Poulenc et que les problèmes de compréhension du texte sont intrinsèques à la partition.
À défaut de bien percevoir les paroles, il est clair que Barbara Hannigan les comprend. Son interprétation est une symbiose parfaite entre la musique et le texte, et l’émotion pure qui s’en dégage ne peut qu’envoûter le public. Chaque motif, chaque trait, chaque mélopée sont incarnés, ressentis au plus profond d’elle-même et exprimés avec un naturel désarmant. Il faut souligner ici le travail colossal du pianiste Bertrand Chamayou qui est loin d’être relégué au rôle de simple accompagnateur. La partition recèle des défis de taille qu’il a relevés avec une maîtrise et une musicalité exemplaire.
Intermède pour piano solo
Bertrand Chamayou a aussi fait grande impression avec deux œuvres de Scriabine placé au cœur du récital, comme une parenthèse entre les deux cycles de mélodies. Le vaporeux et onirique Poème-nocturne, op. 61, était d’une volupté envoûtante, interprété avec des gestes fluides et un doigté satiné. Quant à Vers la flamme, sommet de l’ésotérisme mystique scriabinien, la construction dramatique solide et la gradation des tensions créées par le pianiste nous ont propulsés vers une émotion exaltée et spontanée que le public a vivement applaudie.
Œuvre kaléidoscopique
C’est dans l’œuvre de John Zorn que la Barbara Hannigan spectaculaire et audacieuse a pris le devant de la scène, pour notre plus grand plaisir! Ceux qui ont été époustouflés par sa Voix humaine, ou encore par son interprétation du Mystère du Macabre (l’air de concert extrait de l’opéra Le Grand Macabre de Gyorgy Ligeti, dont la captation vidéo a enflammé internet) ont retrouvé l’artiste capable des performances les plus énergiques tout en conservant les plus hauts standards musicaux.
Le cycle Jumalattaret est une œuvre riche en contrastes, passant de motifs consonants désarmant de simplicité à des traits explosifs atonaux et féroces. La palette esthétique et expressive de John Zorn est extrême, riche et colorée, décoiffante et éblouissante. Si la virtuosité de l’écriture impressionne, le naturel des interprètes qui navigue dans cet univers est tout aussi impressionnant.
On sent peut-être que la thématique est un peu forcée avec le reste du programme. Bien que l’œuvre puise son inspiration dans le Kalevala, la saga nationale finlandaise, la démarche créatrice de Zorn est éloignée de la spiritualité de Messiaen et de l’ésotérisme de Scriabine. Mais ce sont franchement des considérations insignifiantes quand nous avons des interprètes aussi investis au service de cette partition .
Soirée éblouissante qui enthousiasma le public, charmé autant qu’impressionné par une démonstration éloquente du talent de ces deux artistes hors du commun.
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