
Mardi soir, le Quatuor Molinari, en collaboration avec la Fondation Guido Molinari, présentait à la salle Bourgie un concert soulignant les 20 ans de la disparition du célèbre peintre qui a donné son nom au quatuor spécialisé dans la musique des XXe et XXIe siècles. Une soirée mémorable digne du peintre, mais aussi digne de l’engagement de ces musicien·ne·s pour le répertoire contemporain, et plus particulièrement celui de nos créateurs québécois et canadiens.
Musique et arts visuels ont toujours fait bon ménage. Dans le cas de Guido Molinari, dont le père était musicien, c’est une association toute naturelle. L’attachement du quatuor envers le peintre qui lui a donné son nom s’est toujours manifesté dans de nombreuses activités de l’ensemble : concerts à la Fondation de l’artiste, pochettes de disque illustrées par ses œuvres, etc. La présentation de ce concert hommage était donc une évidence, et il reflétait dans sa programmation tant les goûts du peintre que ses collaborations et son influence sur des compositeurs d’ici.
Soulignons d’ailleurs la magnifique collaboration avec la Fondation Guido Molinari, qui permit la projection des œuvres du peintre pendant la première partie du concert. Si les projections en concert sont aujourd’hui courantes, il faut noter que la cohabitation des univers sonores et visuels n’est pas toujours réussie. Ici, la sobriété était la formule gagnante : on pouvait prendre le temps d’observer l’œuvre sans être dérouté·e par des animations ou des mouvements de caméra qui, forcément, influencent notre perception. Et la musique y gagnait, n’étant pas reléguée au second plan par des stimuli visuels qui détournent inutilement notre attention.
Sokolović et McKinley
Le programme du concert était intelligemment construit. Il débutait par deux œuvres québécoises inspirées par l’univers visuel du peintre montréalais. Blanc dominant d’Ana Sokolović date de 1998, mais nous y retrouvons les caractéristiques et la signature si personnelle qui font la renommée de la compositrice. Les courts mouvements dévoilaient une écriture espiègle, une attention pour les détails qui ne sont jamais anodins et surtout une vivacité d’esprit qui donne à cette musique un pétillement jubilatoire.
Espaces fictifs de Maxime McKinley a été créé en 2020, soit en pleine pandémie. Il est aisé d’imaginer le contexte d’intimité forcée lors de la première exécution de l’œuvre, qui ici se déployait dans la magnifique acoustique de la salle Bourgie pour notre plus grand plaisir. Conçue en un seul mouvement, mais aux sections claires et structurantes, cette partition dévoile des univers cohérents qui font écho à la démarche créatrice du peintre. Ici, la juxtaposition entre la musique et les images permettait une évasion poétique très agréable, enrichissante et stimulante.
Il est à noter que l’on peut découvrir (ou redécouvrir) ces deux œuvres en ligne sur la Vidéothèque québécoise du Quatuor Molinari ( https://vqqm.ca/ ), consacrée au répertoire d’ici pour quatuor à cordes, le tout magnifiquement enregistré en présence des tableaux de Guido Molinari. Un plaisir pour les yeux et les oreilles!
Guido Molinari et Webern
Peintre mélomane, Molinari disait aimer particulièrement la musique d’Anton Webern. Il est vrai que les deux artistes font preuve d’un idéal perfectionniste presque maladif, l’un dans le découpage parfait des formes et des couleurs, l’autre dans l’application stricte des procédés d’écriture dodécaphonique. Et peut-être que dans les deux cas, les artistes prouvent que le langage d’une œuvre n’est pas un frein à l’émotion, mais uniquement un procédé structurant dans le processus de création. Avec une interprétation minutieuse et sensible du Quatuor op. 28, les musiciens ont dévoilé les zones de lyrisme et de douceur d’un compositeur encore mal compris aujourd’hui.
Murray Schafer : un happening sous forme de quatuor
Après une première partie classique dans la formule, la seconde partie du concert nous en a mis plein la vue avec le Quatuor no 7 avec soprano obligé de R. Murray Schafer, une œuvre qui sort des sentiers battus! Des quatuors avec soprano, ce n’est pas nouveau, Schoenberg et Ginastera l’ont fait avant lui. Mais cette œuvre n’a de quatuor que le nom, car c’est en réalité une performance hors normes, un happening à mi-chemin entre le monodrame lyrique et le théâtre musical. Imaginez : soprano et instrumentistes qui se déploient dans l’espace, jouant sur scène, en arrière-scène, dans la salle, ajoutant à l’instrumentation quelques percussions, le tout dans une mise en scène d’un personnage certes incarné par la soprano (sur des textes d’une patiente souffrant de schizophrénie!), mais dont les quatre musiciens sont en quelque sorte des échos, voire des évocations oniriques.
Lors de la création scénique de ce quatuor en 1999, Guido Molinari avait participé à la scénographie du spectacle par la présence de quatre sculptures/installations auxquelles s’intégraient les interprètes, portant des chemises aux couleurs unies rappelant ces éléments visuels. La reprise de cette performance dans la scénographie d’origine était donc le clou de cet hommage à l’artiste visuel, et certainement l’élément le plus spectaculaire. Non seulement la partition est captivante (rappelant parfois Black Angels de George Crumb, mais aussi Adieu, Robert Schumann de Schafer lui-même, ce dernier était particulièrement habile à donner de l’étoffe à des textes troubles), mais la performance des interprètes était carrément renversante. Nous saluons tout particulièrement le violoncelliste Pierre-Alain Bouvrette, dont la partition renfermait un grand épisode soliste joué dos au public qui comportait, en plus de son instrument, la manipulation d’un chapeau/sculpture à la fois amusant et déroutant.
La jeune soprano Odile Portugais incarnait avec force et tonus cette partition riche et complexe. Elle insufflait à son personnage une sorte de naïveté qui n’avait rien d’angélique, cachant tant bien que mal le trouble qui l’anime intérieurement. Elle démontrait ainsi un sens dramatique maîtrisé, que ses capacités vocales soutenaient avec panache.
Le Quatuor Molinari offrait donc un concert en deux temps, dont la seconde partie marquera assurément le public, mais qui dans son intégralité fait état de l’engagement exemplaire de ces quatre musiciens pour la musique de création, pour l’art contemporain et pour le soutien aux artistes d’ici et d’ailleurs. Ils n’ont pas froid aux yeux et c’est tout à leur honneur. En quelque sorte, le Quatuor Molinari poursuit en musique – mais pas uniquement – le legs du peintre Molinari, enrichissant notre culture et notre milieu artistique avec intelligence et sensibilité. C’est là le plus beau des hommages.
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