par Catherine Harrison-Boisvert
Samedi dernier, la saison 2024-2025 de l’Opéra de Montréal s’est ouverte sur la présentation du Barbier de Séville, de Gioachino Rossini (1792-1868), dans une production qui fut à l’origine le fruit d’une collaboration entre le Canadian Opera Company, le Houston Grand Opera, l’Opéra national de Bordeaux et l’Opera Australia.
L’équipe de direction artistique, entièrement espagnole et dont la dernière visite à l’Opéra de Montréal remonte à la présentation de La Cenerentola en 2017, est constituée de Pedro Halffter à la direction d’orchestre, de Joan Font Pujol à la mise en scène, de Xevi Dorca à la chorégraphie, de Joan Guillén à la scénographie et aux costumes, et d’Albert Faura à la conception des éclairages originaux. La conception des éclairages à Montréal est assurée par Anne-Catherine Simard-Deraspe, dont on a récemment pu admirer le travail dans Enigma, de Patrick Burgan et Éric-Emmanuel Schmitt, lors de la saison 2023-2024.
La dernière présentation du Barbier de Séville à Montréal remonte quant à elle à 2014, avec Étienne Dupuis dans le rôle-titre. On peut supposer que cette nouvelle production était grandement attendue, notamment en raison du relais assuré par le baryton Hugo Laporte, dont la carrière est en pleine ascension, et qui bénéficie par ailleurs de l’appréciation marquée du public montréalais et québécois.
La scénographie et la conception des costumes par Guillén annonçait – à juste titre – une production pétillante et très colorée, à travers une inspiration espagnole non dissimulée, mais rendue plus fantaisiste par des couleurs vives et des lignes géométriques évocatrices de l’univers clownesque et circassien. La table était mise pour une interprétation ludique de l’œuvre de Rossini, accentuant le côté comique et légèrement caricatural des personnages et des imbroglios qu’ils traversent. Soulignons ici l’intérêt des scènes comiques se déroulant parfois en parallèle des airs, interprétées par des figurants, qui présentaient l’avantage d’ajouter de l’action dans des segments musicaux rendus parfois longuets par la répétition – la faute de la musique, que peut-on y faire.
Il en a découlé une représentation fort divertissante et de grande qualité, avec ses moments inégaux, cependant. Dès le début, le public a pu se régaler des qualités vocales d’Alasdair Kent en Comte Almaviva, dans l’air d’amour « Ecco ridente in cielo », destiné à Rosina, interprétée par la mezzo-soprano Pascale Spinney. Kent a fait preuve tout au long de la représentation d’une agilité vocale absolument sublime. L’exigence technique de la partition semble cependant avoir nui à l’aisance de son jeu scénique, qui s’est néanmoins assoupli dans les scènes plus comiques de l’opéra. Je soulignerai ici l’hilarant numéro de la leçon de musique, dans le deuxième acte, durant lequel le Comte Almaviva, déguisé en précepteur pour duper Bartolo – le tuteur de Rosina, aussi épris d’elle –, accompagne sur un clavecin plus grand que nature un air chanté par cette dernière, dans une gymnastique absolument délirante.
L’entrée en scène de Laporte en Figaro, dans le fameux « Largo al factotum », était visiblement très attendue et a suscité l’engouement général de l’assistance. Il est vrai que le baryton québécois a livré une interprétation tout à fait convaincante et assurée du barbier vantard et malicieux, mais il a un peu donné l’impression de jouer et de chanter comme si c’était gagné d’avance; il y aurait eu place, au moins dans cet air, à plus de mordant, à plus de folie.
L’enthousiasme du public pour l’entrée en scène de Hugo Laporte mettait la barre haute pour celle de Pascale Spinney dans le tout aussi célèbre « Una voce poco fa », qui s’est avéré quelque peu décevant par son manque d’espièglerie, de vivacité, et quelques problèmes de justesse dans l’aigu. Le public a applaudi, mais n’a pas crié, ce qui était assez éloquent. Il s’agissait néanmoins essentiellement d’un faux départ, l’ensemble de la performance de Spinney s’étant avérée tout à fait juste.
Dans ces circonstances, l’entrée en scène du baryton Omar Montanari en Bartolo a insufflé un grand vent de fraîcheur à l’ensemble, celui-ci faisant preuve d’une aisance et d’un naturel désarmants dans son personnage de tuteur contrôlant et fourbe. Montanari ne jouait pas Bartolo, il était Bartolo, et par je ne sais quelle magie, il entraînait ses collègues avec lui dans son exubérance. Je citerai en exemple la scène de duo – et de duel – entre Bartolo et Almaviva déguisé en soldat ivre dans le premier acte, un vrai régal d’humour.
La mise en scène et la chorégraphie de Font Pujol et Dorca ont donné une solide charpente à l’opéra de Rossini, lui permettant en quelque sorte de se dépasser lui-même. Seule ombre au tableau à cet égard : l’ensemble final du premier acte, dont le statisme et le rendu assez peu créatif n’ont fait qu’amplifier le sentiment de longueur découlant des répétitions inhérentes à la musique, sans compter un décalage rythmique assez important entre l’ensemble des chanteurs et l’orchestre dans l’un des derniers passages rapides.
Mais dans l’ensemble, Le Barbier de Séville a mis en scène des interprètes aguerris, au sommet de leur art vocalement et musicalement parlant, soutenus par une mise en scène hautement créative et réjouissante. Les inégalités soulevées ici, qui concernent essentiellement le jeu scénique, se résorberont assurément dans les prochaines représentations. Cette joyeuse fête artistique et musicale nous laisse partir le cœur léger et plein d’entrain.
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